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Limiter la propagation du Covid19 en réanimation : une tâche immense

Publié le 12/06/2020

La crise du coronavirus a entraîné de nombreuses modifications dans les organisations de santé. Des changements qui ont été décuplés dans les services de réanimation qui ont fait l’objet d’un afflux de patients sans précédent. Rachel Lutz-Guiche, cadre de Santé en réanimation au Centre hospitalier Alpes Léman (CHAL), revient pour nous sur les procédures drastiques qu’elle a mis en place afin de préserver la santé de ses équipes et fournir la meilleure prise en charge aux patients infectés. Dans une seconde partie, à paraître ultérieurement, elle évoquera l’accompagnement des soignants et des patients et fera un bilan de l’organisation générale.

La crise sanitaire, aussi inédite que violente, a nécessité pour les services de réanimation, particulièrement exposé au COVID19, d'anticiper afin de définir une stratégie spécifique pour la prise en charge des patients et la protection des personnels.

Le CHAL est un établissement de santé (ES), pivot de la réponse du système de santé du département de Haute Savoie. Son service de réanimation de 12 lits, dont 2 lits de soins continus, accueille en permanence des patients afin de leur prodiguer des soins de haute technicitéé.

La nécessité de s’adapter vite et bien

L’épidémie de COVID-19 a nécessité de la part du service de réanimation des adaptations rapides et anticipatives. L’exposition des soignants paramédicaux et médicaux au risque infectieux est avérée, notamment lors des prises en soin avec risque d’aérosolisation (intubation-ventilation, masques haute concentration, aspirations trachéales, kinésithérapie, gestion des voies aériennes supérieures et de la sphère ORL). En regard de ces risques, les locaux et les moyens de protection individuelle (EPI) ont dû‚ être adaptés. Les soignants ont dû être formés et entraînés à l’utilisation des EPI et à la reconfiguration rapide du service. La prise en charge de patients COVID-19 est complexe et l’éventuelle pénurie des ressources (RH, DM, logistique, pharmacie, matériels biomédicaux, ...) a dû‚ être également anticipée.

En amont du contexte de l’alerte internationale liée au nouveau Coronavirus SARS-CoV-2, et de la mobilisation du système de santé par le ministère des Solidarités et de la Santé pour faire face à cette épidémie dans le cadre du plan ORSAN REB, le service de réanimation a décidé de s’organiser dès les premiers clusters de Contamine Monjoie et de la Balme de Sillingy pour assurer la prise en charge des patients "cas suspects" et "cas confirmés". Il était prévisible que le nombre de cas au niveau de notre département et la dissémination du virus allaient augmenter. L’anticipation et la planification du service de réanimation a été immédiate afin de s’y préparer plus que jamais.

Ma fonction de cadre de santé (CDS) du service de réanimation du CHAL et ma formation en Mastère spécialisé en gestion des risques et menaces NRBCE, m’ont permis de mettre en application des nouveaux savoirs et de considérer cette épidémie dans un contexte de menace biologique en s’inspirant de la doctrine NRBCE. Cette doctrine, issue du monde militaire et de la médecine tactique, est d’assurer la mise en œuvre effective de mesures particulières de sécurité, c’est-à-dire de protéger, sécuriser l’action des soignants avec des moyens de protection, afin de réduire le risque d’exposition. D’isoler la source (les patients infectés), réhabiliter l’environnement. Cette doctrine permet également d’assurer la continuité des soins indispensable tout en assurant un risque de non contamination des personnels et d’éviter une escalade d’une épidémie non contrôlée par la mise en place d’une sectorisation.

Anticipation et définition d’une stratégie du service de réanimation

La stratégie initiée par le binôme médecin chef du service/CDS a été d’empêcher l’introduction et la propagation du virus au sein du service tout en offrant une qualité des soins (ALS : Advanced live support) identiques au quotidien. Les points clés abordes ont été :

  • La réorganisation du service en appliquant la doctrine NRBCE, afin d’assurer la prise en charge des patients atteints du covid-19 tout en préservant les patients non covid, garder un certain quotidien, des repères, en navigant dans l’incertitude, assurer la qualité et la robustesse du dispositif, endiguer la propagation du virus en mettant en œuvre les mesures de biosécurité requises par le patient et la transmission interhumaine patients et soignants. (sectorisation et la protection des personnels médicaux soignants), répondre aux besoins capacitaires en regard des besoins sanitaires du territoire (capacité en lits de réanimation, en personnels et en moyens logistiques) afin de faire face à une montée en puissance graduée et structurée et enfin prendre en compte les contraintes logistique et technique, et proposer une astreinte des services supports (technique, logistiques, biomédical, hygiène) ;
  • La mobilisation de tous les acteurs du système de santé en assurant la qualité de la réponse par une coordination adaptée des différents acteurs fondée sur un travail de préparation effectué en amont. Entrainement, conditionnement des esprits aux difficultés prévisibles ;
  • La pérennisation du système dans le temps ;
  • La communication adaptée, l’information et l’accompagnement des personnels ;
  • La formation adaptée pour les professionnels de santé ;
  • La préservation du lien patients et familles.

Organisation architecturale et extension du service de réanimation

Au 1er mars 2020, le service de réanimation polyvalente du CHAL était doté de 9 lits marqueur Réa fonctionnant avec un effectif de 21 ETP IDE, 9 ETP AS, 4 ETP ASHQ, 1,30 ETP secrétaire, 1 ETP CDS, 6 ETP médecins, 3 ETP Internes. Le service a une autorisation habituelle pour 12 lits dont 2 de Soins Continus (SC). La structure architecturale du service pouvait permettre la prise en charge potentielle de 16 patients (10 réa + 6 SC). Le service est donc rapidement monté en charge capacitaire (Upgradé) à 16 lits de réanimation covid-19, puis 32 lits (16 lits en Unité de soins intensifs) pour atteindre au total 44 lits de réanimation (12 lits en SSPI) covid-19. L’interdiction totale des visites a été mise en place dès le 1er cas covid-19. Il s’est agi d’exploiter l’architecture existante pour mettre en œuvre et appliquer la doctrine NRBCE.

Stratégie mise en place selon la doctrine NRBCE:

Application et mise en œuvre : le service a d’abord été divisé en 2 secteurs : un secteur covid+ ou suspect et un secteur non covid. Le secteur covid+ a été séparé par des bâches le plus étanches possible en polyane permettant une zone d’entrée/sortie patient et une zone d’entrée et de sortie du personnel de soins. La zone d’entrée du personnel a été matérialisée par un SAS d’habillage et un SAS de déshabillage. La zone d’entrée et de sortie des patients a été matérialisée par une bâche à fermeture juste après le SAS d’ambulance à l’entrée du service. Devant chaque chambre ont été placées des Unités Mobiles Patients (UMP) dédiées avec le matériel et EPI nécessaires pour entrer dans la chambre. Une procédure d’affichage a été réalisée et apposée devant et dans chaque chambre de patient. Le SAS de sortie des personnels de la zone covid prise en charge patient a été réalisé de façon à être mobile pour pouvoir adapter la montée en puissance des prises en charge patient covid. Une semaine plus tard, le service est passé entièrement covid.

Une signalétique du circuit en réanimation pour les patients et les soignants a été réalisée

Un sas ambulance dédiée à l’entrée du service avec une procédure d’accueil et de désinfection après chaque passage a également été mis en place. Les bureaux des médecins, du CDS et des secrétaires ont fait l’objet d’un secteur sanctuarisé non accessible par le service. Une bâche fixe de séparation a été posée. La salle de repas et de pause ont également étaient sectorisées par un sas d’entrée permettant d’être considérée comme une zone propre. Une sortie marche en avant a été réalisée afin de pouvoir entrer dans le service par le circuit originel dédié. Afin de permettre une communication efficiente, un dispositif de communication entre la chambre et l’extérieur de la chambre (couloir, salle de soins) est présent dans chaque chambre (téléphone et interphone)

Anticipation et gestion de la pénurie potentielle des protections des personnels

Compte tenu de la pénurie des EPI, nous avons réfléchi à l’utilisation pertinente des EPI en secteur à haut risque covid, anticipé, calculé la pénurie des EPI (masques, blouses, tyvec, gants, charlottes) en adaptant nos pratiques afin que la sécurité des personnels ne soient jamais impactée. Nous avons privilégié la sécurité en préservant les protections des personnels à la zone d’exclusion.

Maitrise des flux d’air

La maitrise des flux d’air dans les chambres des patients a consisté en un arrêt des systèmes de soufflage permettant de supprimer le régime habituel de pression positive en maintenant l’extraction et le renouvellement d’air. Le service dispose de 2 chambres sassées à pression négative (dépression) et de 14 chambres qui ont été mises en pression iso 0. Tous les patients ont été immédiatement placés en isolement avec un renouvellement d’air de 7 volume/10 mn.

Mise en place de mesures barrières drastiques

La protection des soignants médicaux et paramédicaux (EPI), a été mise en place. L’habillage avec des EPI adaptés a été réalisé en binôme. En effet il a été utile de faire appel à des « observateurs » lors des phases d’habillage et déshabillage afin de sécuriser le processus. Les mesures d’hygiène pour les patients covid+ ou suspect ont été les précautions standards et les précautions complémentaires de type "contact" et "air". Pour le patient non intubé, un masque chirurgical ainsi qu’une friction avec une solution hydro alcoolique (SHA) ont été prescrits.

Mesures de protection pour le personnel médical soignant

Pour les soignants d’un patient classé "cas possible" ou "cas confirmé", les précautions standard et précautions complémentaires de type "air" et "contact" (précautions REB renforcées), doivent êtres appliquées selon les modalités suivantes avant de rentrer en chambre :

  • Le port d’un appareil de protection respiratoire (APR) FFP2 en vérifiant l’étanchéité au visage (réalisation d’un fit check) pour tout soignant avant d’entrer dans la chambr
  • Protection maximale avec un EPI de type 3 classe 3 ou 4 (Tyvec) pour les gestes invasifs
  • La protection de sa tenue professionnelle par une sur-blouse à usage unique à manches longues : ajout d’un tablier plastique imperméable si réalisation de soins mouillants ou souillants ;
  • La prévention d’une éventuelle projection dans les yeux par le port systématique de lunettes de protection ;
  • Le port d’une protection complète de la chevelure (charlotte, calot couvrant) ;
  • La réalisation, conformément aux recommandations de la société Française d’hygiène, des gestes d’hygiène des mains par friction hydro-alcoolique avant la mise en place de la tenue et entre chaque geste de déshabillage ;
  • Les indications du port de gants aÌ€ usage unique systématique. Gants manchettes pour les soins aÌ€ risques (IV, prélèvements situations de contact ou de risque de contact avec du sang, des liquides biologiques, une muqueuse ou la peau lésée) et mouillants ;

Procédure de sortie de la chambre du patient "cas possible"

  • Enlever les gants selon procédure ;
  • Enlever la sur-blouse selon procédure ;
  • Se frictionner les mains avec une solution hydro-alcoolique (SHA), après être sorti de la chambre, entre chaque geste se frictionner les mains avec une SHA ;
  • Retirer l’appareil de protection respiratoire (masque FFP2), la coiffe et les lunettes en dehors de l’atmosphère contaminée ;
  • Se frictionner les mains avec une SHA ;
  • La désinfection et la remise en état des chambres se sont effectuées de façon journalière ainsi qu’aÌ€ la fin de la prise en charge du patient. Cette activité était effectuée par le personnel du patient au sein du secteur dédié (prévention de la contamination croisée inter-secteur) La désinfection des locaux et des circulations a été réalisée par l’ashq dédié au secteur.

Le service de réanimation a réalisé, en collaboration avec le service d’hygiène, une vidéo interne pour la formation aux précautions d’hygiène "air et contact" du patient covid-19. 

Gestion et élimination des déchets afférent au soin et fluides corporels

L’élimination des EPI s’effectue en DASRI avant la sortie de la chambre. Les lunettes, l’APR et la coiffe ont été retirés après la sortie de la chambre du patient. La gestion des déchets, fluides corporels et matériels utilisés a suivi le principe du matériel à usage unique et du traçage de la filière DASRI. Tout le matériel médical utilisé dans la pièce d’isolement, a été dédié à la prise en charge du patient unique.

Gestion des patients décèdes

Une procédure de gestion stricte des corps a eété réalisée, réévaluée et mise à disposition de l’équipe de soins. Un lien direct avec les personnels de la chambre mortuaire a été mis en place.

Mise en place d’une traçabilité

Avant que le service n’ait été entièrement covid+, les personnels devaient remplir une fiche de traçabilité correspondant a la prise en charge du patient covid. Chaque chambre dispose d’un ordinateur pour la traçabilité du dossier informatisé patient.

Organisation et impact sur les soignants

Il a été important de communiquer, d'expliquer aux professionnels de santé les principales lignes directrices de notre stratégie afin qu’ils adhèrent aux mesures mises en place et prévenir ainsi tout risque de panique et stress. Un accompagnement psychologique de tout instant a été réalisé par le binôme CDS/Médecin chef de service auprès des professionnels paramédicaux et médicaux afin de les préparer à la crise. Les mesures de protections citées plus haut ont permis aux personnels médicaux et soignants de se sentir en sécurité tout au long du processus de prise en charge des patients et ainsi de prévenir les transmissions secondaires, mais surtout de permettre à tous de travailler dans un environnement adapte et sécuritaire. En effet le service a dû‚ faire face à une montée en puissance des RH. Le nombre de professionnel a été adapté en fonction de la montée en charge des patients et se rapprochant des recommandations de l’ARS, soit 6 IDE pour 16 patients + 1 IDE Technique, ainsi que 6 AS pour 16 patients. Des formations continues ont été effectuées.

Dans le cadre d’un management opérationnel, il devenait nécessaire que le CDS "expert" NRBCE soit au plus près des équipes, sur le terrain, au cœur des opérations, afin de garantir la mise en œuvre de la stratégie opérationnelle, fixant ainsi les objectifs intermédiaires et secondaires et organisant les priorités de fonctionnement. Le CDS expert SSE a également interpellé la DSI pour bénéficier d’un renfort managérial CDS de manière a asseoir la gestion chronophage des RH en augmentation. Pour les équipes de terrain, le CDS a demandé également un appui pour les équipes de terrain dans la gestion des produits pharmaceutiques, des DM ou de la logistique, détachant ainsi les professionnels clefs au sein de leur cœur de métier. Pour mener aÌ€ bien ces missions, il a fallu faire preuve d’agilité, d’adaptabilité et organiser une communication transverse au sein du service et les services supports. Les services supports ont été d’un appui précieux. Il a fallu lister l’ensemble des moyens utiles au fonctionnement : les lits, les matériels médicaux, biologiques, logistiques, organiser la distribution des moyens à partir de la durée prévisible d’hospitalisation, modéliser l’optimisation des lits et moyens lourds, travailler en évaluant les points de rupture et innover pour la recherche de nouvelles solutions et apporter un soutien psychologique pour l’ensemble du personnel afin de monitorer l’état de fatigue des équipes.

L’appui du CDS RH a permis la gestion et la réalisation complémentaire du planning grâce à  l’anticipation par le CDS opérationnel des besoins en personnel mais aussi d’accueillir les étudiants impliqués et inclus dans le planning. Le CDS RH a pu remettre au fils de l’eau les badges des nouveaux intervenants, gérer la mise à disposition des vestiaires, demander les codes d’accès aux logiciels du service. Il a été important de créer et d’établir de nouveaux plannings adaptés aux scenarios décidés et agrémentés de nouvelles lignes, nouveaux personnels. Les lignes médicales ont également été dédoublées pour garantir l’efficacité du dispositif et la qualité/sécurité des prises en charge, ainsi que de d’éviter la fatigabilité, l’épuisement et la charge mentale autant que possible.

Nous avons choisi de façon réfléchie de ne pas disperser les compétences de réanimation dans les services d’extension et de privilégier la réanimation historique comme un lieu d’accueil des malades covid les plus graves et les plus techniques. Cela a permis également d’accueillir au début de la crise sanitaire de nouveaux professionnels (anciens IDE de réanimation, anciennes compétences de réanimation

Cette organisation a permis une adhésion sans faille des équipes face à cette crise sanitaire. Elle a également permis d’éviter le chaos tout en naviguant dans une certaine incertitude. Cette organisation a permis de maitriser notre anxiété, d’apprendre à dompter les risques et de se préparer à la confrontation tout en évitant la panique. Cela a permis d’éviter la submersion, l’extension au sein même de la structure d’une paralysie rapide ainsi que la capacité à prodiguer efficacement les soins. Il a été  nécessaire de prendre conscience des risques posés par la pandémie en améliorant les mesures et procédures pré-existantes tout en faisant preuve de créativité et contenir les règles de bonnes pratiques.

Rachel Lutz-Guiche
Cadre de Santé
Service de réanimation,
Centre Hospitalier Alpes Léman, Contamine-sur-Arve (74)


Source : infirmiers.com