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ETHIQUE

L'homosexualité en EHPAD : un double tabou qu'il nous faut briser

Publié le 11/09/2020
femme ehpad

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La démarche holistique du soin ne doit plus se résoudre à faire l'impasse sur le respect de l'orientation sexuelle et la liberté d'aimer. Face à cet immense défi socio-professionnel, le soignant retrouve ici sa fonction première de garant du mieux-être et d'ardent défenseur des besoins fondamentaux de l'Homme. Réflexions sur ce que devraient être aujourd'hui l'accueil et l'accompagnement du senior LGBT en Ehpad.

Conformément à ce que nous sommes, nous professionnels de la santé, cela interroge sans aucun doute nos pratiques et nos attitudes car, au-delà du simple aspect déontologique et juridique inscrit dans plusieurs textes de références, l'accueil et l'abord transculturel de la personne soignée demeurent des invariants relationnels propres à bâtir une solide relation d'aide.

Considérer que la sexualité et la vie affective soit un besoin de l'être humain est un fondamental de tout humanisme soignant. En effet, c'est par là même que le professionnel de santé exprime le mieux une de ses valeurs cardinales : la tolérance. Ainsi, accepter que deux personnes se rencontrent par delà la seule enveloppe charnelle évoque la transcendance d'un sentiment appelé pudiquement "amour". Pour autant, de cette tolérance de l'amour universel, même si chacun en admet la nécessité, beaucoup n'en reconnaissent pas l'évidence, notamment dans le cadre éminément restreint d'un établissement de soins. Parmi ceux là, s'il y a bien un endroit où le sujet des relations amoureuses fait florés, c'est en EHPAD. Tues ou moquées, encouragées ou préservées, les réactions soignantes et familiales ne manquent pas d'être paradoxales devant les dernieres ardeurs de certains résidents arrivés à l'automne de leur existence. Or, si l'EHPAD est apparenté à un lieu de vie, il est également le reflet de notre société dans laquelle apparaît être encore la norme d'une orientation sexuelle, celle d'être hétéro.

On imagine bien que, s'il est déjà difficile d'épanouir son hétérosexualité en institution, assumer une orientation sexuelle différente s'avère être un véritable secret affectif sur lequel l'on vient placer définitivement plusieurs cadenas émotionnels pour éviter toute forme de discrimination. Par conséquent, ignorer que, dans ces "lieux de vie" en somme, se diffuse donc, quelqu'en soit l'âge, la pathologie ou la catégorie sociale, l'eros, la philiae et l'agapé, c'est détourner le regard sur ce qui constitue l'essence relationnelle même de notre condition humaine. Alors, homosexuel en EHPAD, vit-on heureux en vivant caché ? Telle est la question !

Les histoires d'amours finissent mal, en... France !

En France, l'amour, lorsqu'il se loge au coeur du soin, est un vaste débat maintes fois repris dans des sujets de travaux de fin d'études, maintes fois aprêment discuté sous différents angles philosophiques, éthiques, sociologiques... Allons droit au but. Cette multiplicité des questionnements professionnels lève une particularité bien française : c'est un réel tabou social, qui plus est pour celles et ceux qui représentent d'autres comme la maladie, la vieillesse, le handicap... Un comble dans un pays où "On ne badine pas avec l'amour !" A contrario, dans beaucoup d'autres pays, l'amour est, a minima, une réalité accessible à tous et ce, quelle que soit sa condition psychique et/ou physique !

Plus particulièrement en ce qui concerne la vie affective des seniors (mais nous pourrions évoquer le désert affectif que traversent beaucoup de personnes en situation de handicap institutionnalisées), il y a déjà bien longtemps, par exemple, qu'en Suisse, en Allemagne ou aux Pays-Bas, les assistants sexuels ont un droit d'entrée dans les EHPAD ! Ah ! Je vous vois venir en relevant la notion "d'assistant sexuel" : "Quelle honte ! C'est dégueulasse !" Hélas, le simple fait que vous fassiez l'amalgame entre relations sexuelles (pénétration, relations bucco-génitales...) et relations affectives (câlins, toucher, caresses...), témoigne bien de notre difficulté française à se dire que l'un ne va pas sans l'autre, que l'un est un besoin primaire, que l'autre est une nécessité charnelle... Dans la continuité de leur démarche humaniste, ces mêmes pays ont adopté en même temps du mobilier adapté, comme les lits médicalisés pouvant accueillir deux personnes, le suivi d'une démarche d'intimité par la mise en œuvre de dispositifs simples à la façon de panneaux "Ne pas déranger". Toutefois, une fois que l'on a soulevé une partie du problème d'ordre moral, nous levons un lièvre beaucoup plus grave, celui de la discrimination. Dans un rapport sur "le vieillissement des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transexuelles et des personnes vivants avec le VIH" (2013) rédigé, entre autre, par SOS homophobie, un triste constat s'oppose à nous soignants : la plupart des seniors LGBT (Lesbiennes, Bi, Gay, Trans) en EHPAD cachent leur orientation sexuelle afin de limiter les moqueries.

On imagine bien que, s'il est déjà difficile d'épanouir son hétérosexualité en institution, assumer une orientation sexuelle différente s'avère être un véritable secret affectif sur lequel l'on vient placer définitivement plusieurs cadenas émotionnels pour éviter toute forme de discrimination.

Une génération homosexuelle empreinte de souffrances et de secrets

Il ne faut pas être un grand sociologue pour dresser rapidement le portrait des personnes âgées LGBT résidents en EHPAD de nos jours. Ils appartiennent à la cruelle génération d'une société qui les a longtemps considérés comme "malades" (ce n'est que depuis le 17 mai 1990 que l'homosexualité a été rayée de la liste des" maladies mentales" par l'OMS). Ils sont celles et ceux qui ont connus les années SIDA et sont peut-être atteints de ce que l'on improprement étiqueté en son époque comme le "cancer gay". Alors, évoluant une grande partie de leur existence dans une société les rejetant totalement pour ce qu'ils étaient, vivant tout ou partie cachés afin de s'épanouir dans une communauté homosexuelle très protectrice, comment ne pas se sentir à nouveau marginalisé lors d'une admission en EHPAD ? Soit, vous avez déjà lu la réponse : vivre caché, à nouveau. Jouer le jeu de la comédie humaine. Reproduire le schéma social de toute une vie en dépit du fait que l'on ne devrait plus, à l'aube de la sienne, être contraint de retourner au placard jusqu'à la fin..

Conformément à ce que nous sommes, nous professionnels de la santé, cela interroge sans aucun doute nos pratiques et nos attitudes car, au-delà du simple aspect déontologique et juridique inscrit dans plusieurs textes de références (Code Civil, Code de l'Action Sociale et des Familles, Charte des Droits & Libertés de la Personne Agée dépendante...), l'accueil et l'abord transculturel de la personne soignée demeurent des invariants relationnels propres à bâtir une solide relation d'aide. C'est ainsi que se placer dans une posture soignante "gay-friendly" n'est pas une obligation tandis que l'accompagnement sous toutes ses formes est un devoir soignant.

Accompagner le senior LGBT en E.H.P.A.D : pistes de réflexions & initiatives

En 2013, le rapport de SOS homophobie, préconisait de permettre et accompagner la mise en place de lieux d'accueil communautaires expérimentaux conçus, construits et gérés par les personnes les premières concernées en lien avec l'Etat et les associations. A cet égard, tout comme Berlin et sa "Lebensort Vielefalt" ou bien Madrid qui a ouvert son premier EHPAD public, la capitale française pourrait accueillir un EHPAD destiné aux personnes L.G.B.T d'ici 2021. Bonne nouvelle sur la forme pour tous les seniors qui en bénéficieront, cette décision laisse tout de même subsister un débat éthique de fond : doit-on réunir la différence ou doit-on unir les différences ?

La place du senior L.G.B.T doit être regardée par le prisme de la société. En effet, une politique sanitaire et sociale est le fruit de ce qu'une société veut offrir (ou non) à une catégorie sociale. De sorte que, imaginer des lieux dédiés aux personnes âgées L.G.B.T c'est bien, leur permettre de sentir bien partout, c'est mieux ! En d'autres termes, les formations "transculturelles" à destination des professionnels de santé ne doivent plus se limiter aux seules subtilités des trois religions monothéistes, elles doivent être l'occasion d'aborder les différentes expressions de la sexualité pour tous ces futurs résidents L.G.B.T.T.Q.Q.I.A.A.P.O (Lesbian, Gay, Bi, Transgender, Transexual, Queer, Questionning, Intersex, Asexual, Allies, Pansexual and Others), selon la formule américaine consacrée. Ces derniers fréquenteront progressivement les structures du grand âge car, en tout état de cause, le vieillissement est aussi universel que l'amour. En revanche, si la génération précédente a pêché par excès de discrétion, le souci légitime de visibilité et d'inclusion est le combat de l'actuel. Pourtant, sept années après ce premier rapport rempli de bons voeux, les avancées humanistes en la matière peinent à s'inscrire dans la durée dans la "manière d'être" de nos établissements français...

En définitive, la démarche holistique du soin ne doit plus se résoudre à faire l'impasse sur le respect de l'orientation sexuelle et la liberté d'aimer. Face à cet immense défi socio-professionnel, le soignant retrouve ici sa fonction première de garant du mieux-être et d'ardent défenseur des besoins fondamentaux de l'Homme. Puissions-nous ne pas continuer à en enfermer certains dans de nouveaux placards sur lesquels sont inscrits un seul mot : TABOU.

Alexis Bataille
Etudiant en soins infirmiers L1 (2019-2022), Aide-soignant
@AlexisBtlle


Source : infirmiers.com