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AU COEUR DU METIER

L’histoire des soins : une histoire de femmes ?

Publié le 30/04/2020

Repéré sur France Culture, l’interview de l'historienne Nathalie Sage-Pranchère1 sur la question suivante : "l’histoire des soins est-elle une histoire de femmes ?" Cette interrogation et les réponses qui lui sont données prêtent au partage et à la poursuite de l’argumentation à l’heure de la pandémie mondiale au COVID19 où l’on parle le plus souvent des soignants au féminin et où le mot "infirmière" n’a jamais autant été utilisé par les medias. Mais ce vocabulaire, encore très genré, ne sert pas vraiment la reconnaissance professionnelle attendue, celle qui place le mot compétence avant celui de bienveillance...

Pour Nathalie Sage-Pranchère, utiliser aujourd’hui encore un vocabulaire genré montre sans doute là "une volonté de faire perdurer une image des femmes comme dévouées à soulager la souffrance, tandis que la figure du médecin va être tirée du côté du héros, de la recherche, de l'action..."

Alors oui, bien sûr, une première constatation comme une évidence. Les acteurs du care sont très majoritairement des actrices. Qui administre des soins aux bébés, aux personnes âgées et en perte d’autonomie dans les familles ? Qui s’occupe des patients, dans les hôpitaux, dans les Ehpad, en ville ? Qui assure le maintien à domicile et les soins portés aux plus vulnérables ? Le plus souvent ce sont des femmes, des soignantes, des aidantes… Les femmes auraient-elles des aptitudes naturelles pour assister les plus fragilisés de notre société ? Seraient-elles plus naturellement capables d’empathie, de sollicitude, de bienveillance que les hommes ? Auraient-elles des aptitudes innées dans ce domaine ? Ce que l’on observe sur le terrain porterait à le croire si l’on s’en tient à leur seule représentativité, mais il n’en n’est rien. Les hommes "soignants", moins de 20 % encore aujourd’hui pour les infirmiers, par exemple, sont tout aussi porteurs de belles valeurs et de compétences dans le prendre soin.

Alors, quel intérêt devons-nous porter aux hommes soignants qui, entre autres, investissent la profession infirmière aujourd’hui, tout comme hier, s’interrogent Bernard Roy, Dave Holmes et Vincent Chouinard1 . Pourquoi faut-il s’intéresser particulièrement à eux? Parce qu’ils ont investi une profession historiquement et profondément inscrite dans le féminin et qu’ils contribuent, entre autres, au souhait de dégenrer les soins infirmiers. Cette dégenrisation contribuerait à ouvrir une irrémédiable et essentielle brèche dans le mur du sexisme.

Histoire des identités de genre, histoire des savoirs féminins et des modalités de leur transmission, histoire de l’éducation, histoire de la santé publique, histoire du travail, histoire des pratiques sociales, l’histoire des infirmières est tout cela à la fois. Elle se présente comme une quête active de reconnaissance sociale, par les femmes et pour les femmes, qui ne défie pas sciemment le consensus social sur la définition des rôles sexuels.  Yolande Cohen2

Donc, éduquer et soigner, leurs supposées "destinées naturelles", constituent aujourd'hui encore le coeur d'une large part des métiers pratiqués par les femmes. Durant des siècles pourtant, comme le rappelle Xavier Mauduit, producteur de l'émission Le Cours de l'histoire, sur France Culture, elles ont pratiqué ces activités qui n'étaient alors ni considérées comme des métiers, ni même rémunérées. Aux côtés des malades, des personnes âgées, vulnérables, des femmes en couches, il semble qu'une présence féminine ait toujours été attestée, en vertu de ces qualités considérées comme "féminines", l'altruisme, la patience, la douceur. Ainsi, faire l'histoire du soin serait faire également une histoire des femmes.  Xavier Mauduit a souhaité poser la question à Nathalie Sage-Pranchère3, docteure en histoire contemporaine, archiviste-paléographe, professeure en lycée et chercheuse associée au CRM (Paris-Sorbonne et CNRS).

L’inscription du soin dans une nature féminine s’inscrit dans l’histoire des identités de genre, des savoirs féminins et des modalités de leur transmission, ainsi que dans l’histoire des infirmières. La genrisation contribuera à la quête active de reconnaissance sociale, par les femmes et pour les femmes. Yolande Cohen

Nathalie Sage-Pranchère s’est beaucoup intéressée aux sages-femmes3, comment, au travers des siècles, elles ont construit leur identité sociale avant que d’être professionnelle. Comment elles se sont émancipées progressivement des médecins, défendant ainsi un métier acquis à l’issue d’une solide formation actant des compétences spécifiques et qui mérite rémunération. La question de la rémunération entre progressivement en ligne de compte pour les sages-femmes formées à partir de la fin du XVIIIe siècle, en France et en Europe. Ces jeunes femmes considèrent que dès lors qu'elles ont un savoir particulier et officiellement reconnu, il est normal qu'elles vivent de ce métier, explique-t-elle.

L’historienne va au-delà de la figure particulière de la sage-femme pour s’interroger sur le rôle des femmes, une constante dans le monde du soin : toujours à côté du malade, infirmière ou garde-malade. Il n'y a pas de destinée naturelle qui pousserait les femmes à s'occuper des malades et des plus vulnérables, mais il y a de manière assez nette une habitude à confier aux femmes ces rôles-là. Ils sont liés à la question de la famille, au fait de s'occuper des enfants en bas âge... Cela pousse les femmes à prendre en charge de manière plus générale les soins aux plus fragiles, de façon bénévole dans le cadre familial mais aussi au-delà, par exemple dans le cadre de l'aide entre voisines, notamment dans les accouchements, mais aussi dans les soins du quotidien... Il y a une forme d'assignation de genre des pratiques du soin aux femmes.

Francine Saillant, anthropologue québécoise, l’écrivait également4 : Les soins que prodiguent les femmes communiquent un autre langage que le langage médical traditionnel par rapport à la santé et à la maladie. Ce langage est celui qui refuse le corps-objet aseptisé, mesuré, éloigné, dont l'âme et l'affect ne sont, ultimement, que des sources d'erreur pour un diagnostic à établir. Le langage du corps porté par les soins est un langage qui transporte les réalités de la vie en mouvement : l'intimité, la peur de souffrir, l'incertitude, la fragilité, le non-contrôle, la transgression des normes...

Quand on évoque le personnel soignant aujourd'hui, on se rend compte que le vocabulaire est encore très genré...

Pour Nathalie Sage-Pranchère, utiliser aujourd’hui encore un vocabulaire genré montre sans doute là une volonté de faire perdurer une image des femmes comme dévouées à soulager la souffrance, tandis que la figure du médecin va être tirée du côté du héros, de la recherche, de l'action... 

Est–ce que la pandémie au COVID19 change la donne avec toutes les louanges attribuées aux infirmières - et aux infirmiers - même s’ils ne sont que très peu cités ? Car oui, ce sont elles les héroïnes, que l’on encense et remercie à tout bout de champ . Ce sont elles que l’on montre, meurtries par le port du masque, que l’on interviewe et dont on dresse les portraits dans tous les medias. Une reconnaissance, certes, mais pas celle voulue par la profession. L’historienne le relève très bien pour conclure cet entretien : on utilise en effet beaucoup la notion d'héroïsme, on valorise le dévouement, jusqu'à l'épuisement  ; là où tous ces soignants étaient déjà épuisés bien avant l'épidémie. Mais les soignants, lorsqu'ils ont l'occasion de parler, soulignent que c'est du professionnalisme, qu'il s'agit de faire leur travail et qu'il doit y avoir à ce titre une reconnaissance matérielle, concrète, de ce travail, et pas seulement symbolique pour ce dévouement. On observe finalement la coexistence d'un discours très moral qui s'appuie sur des valeurs et sur l'idée de sacrifice, et en face des professions qui travaillent, même si elles ne produisent pas.

Récemment, un infirmier, Alex Ollivier, chef de projet télémédecine au sein du Groupement régional d’appui au développement de la e-santé (GRADeS), à Caen, écrivait ceci dans un article intitulé Le piège des mots : Ramener, par la force des mots, les IDE à la condition féminine à notre époque, c’est leur faire subir tout ce que subissent les femmes. Les salaires inférieurs, l’absence de considération pour les compétences, les plafonds de verre pour la progression professionnelle, la subordination tacite au corps médical, lui, masculin dans l’imaginaire collectif. La profession infirmière ne pourra se soustraire à ces subordinations implicites qu’en luttant pour l’égalité des droits entre humains, quels que soient leur sexe ou leur genre. C’est en se battant pour les femmes que les professions du care pourront reprendre la place qui devrait être la leur et montrer la haute valeur qu’elles ont pour l’ensemble de notre société.

Nous accueillerons avec intérêt vos commentaires sur cet article qui, sans nul doute, devrait en susciter.

Notes

    1. Contribution à une éthique de la sollicitude - Masculinités et genre dans la profession infirmière , Bernard Roy, Dave Holmes et Vincent Chouinard dans Recherche en soins infirmiers 2011/4 (N° 107), pages 38 à 48
    2. Yolande Cohen, "Profession infirmière. Une histoire des soins dans les hôpitaux du Québec", Presses de l’Université de Montréal, 2000.
    3. Nathalie Sage-Pranchère, "L'école des sages-femmes. Naissance d'un corps professionnel (1786-1917)", Tours, PUFR, 2017, 458 p.
    4. Francine Saillant, International Review of Community Development. Revue internationale d’action communautaire. "La part des femmes dans les soins de santé".

Bernadette FABREGASRédactrice en chef Infirmiers.combernadette.fabregas@infirmiers.com @FabregasBern


Source : infirmiers.com