A l’heure où l’Italie se retrouve face à une menace d’épidémie bien réelle de coronavirus et que le nombre de cas progresse en France, les scientifiques continuent d’étudier de manière intensive le phénomène. Le taux de contagion, les modes de transmission, les pistes thérapeutiques envisageables, les spécialistes ont du pain sur la planche. Les études publiées se succèdent : si certaines s’avèrent rassurantes quant à la létalité du pathogène, d’autres le sont moins notamment au niveau de sa contagiosité.
La France compte désormais cinq nouveaux cas de coronavirus rebaptisé SARS-Cov-2 dont un nouveau décès et une personne en état grave : un homme de 55 ans hospitalisé à Amiens. L’Hexagone poursuit donc le déploiement de mesures préventives afin d’éviter de nouvelles contaminations ayant pour origine l’Italie, Etat limitrophe et pays aujourd’hui le plus touché d’Europe avec 374 cas confirmés et 12 décès dont la grande majorité (96%) se situe en Lombardie, en Vénétie et en Emilie-Romagne. L’inquiétude est de mise étant donné que l’Italie ne comprend pas exactement comment le virus est apparu sur son sol et continue de chercher le patient 0
premier individu infecté dans le pays.
Le problème des "porteurs sains"
Cela pose beaucoup de questions sur les modes de contamination du virus et le risque potentiel de pandémie. Deux commentaires publiés dans la célèbre revue scientifique britannique The New England journal of Medicine apportent quelques éléments de réponses. Certaines personnes sont porteuses du virus mais demeurent asymptomatiques ! Une nouvelle découverte qui risque de compliquer davantage la tâche des autorités sanitaires. En effet, le premier article du NEJM évoque le cas d’un groupe de 126 citoyens européens notamment des Allemands qui ont été rapatriés d’Hubei (épicentre de l’épidémie chinoise) à Francfort début février. Pendant le vol 10 passagers ont été mis en isolement parce que, soit ils avaient été en contact avec un patient infecté soit ils présentaient des signes cliniques. Sur les 116 restants, 115 sont restés asymptomatiques mais certains ont montré suite à des analyses de dépistage virologique par RT-PCR, qu’ils étaient porteurs du SARS-Cov19 malgré tout. Un diagnostic confirmé par des tests sophistiqués et la culture du virus a prouvé un potentiel infectieux élevé. Pourtant, sur les deux personnes, une seule a fini par développer une légère pharyngite avec absence de fièvre et une éruption cutanée, et l’autre est resté complètement asymptomatique ! Les limites du dépistage uniquement via les signes cliniques sont ainsi démontrées…
En outre, le second article paru dans cette même revue, évoque également des travaux tentant d’évaluer le pic de transmission du virus en estimant le moment où la charge virale est la plus importante chez les patients atteints, mais là encore, faut-il savoir qui est touché. Plus précisément, des scientifiques ont surveillé la charge virale des voies aériennes supérieures de plusieurs personnes, toutes hospitalisées dans la région Zhuhai (sud de la Chine à la frontière avec Macao), dont une qui est restée asymptomatique malgré le fait qu’elle ait demeuré en contact étroit avec un patient présentant, lui, des signes cliniques. Au fil des prélèvements, ils ont pu remarquer des charges virales élevées dès le stade précoce de l’infection notamment dans les voies nasales. Des données qui n’ont pas différé entre l’individu non malade et les autres. Ceci démontre que la transmission potentielle de SARS-Cov19 peut bien être indépendante des symptômes au point que le contrôle de l’épidémie pourrait s’avérer plus complexe que prévu. En tous les cas, il n’est pas garanti avec l’application seule des mesures qui avaient été mises en place en 2003 avec le coronavirus SARS-Cov.
De même, les autorités locales chinoises évoquent un temps d’incubation probablement plus long que celui avancé lors des premières évaluations (on passerait de 14 à 24 voire 27 jours). Si ce chiffre se confirme, l’existence de porteurs sains
même rare présente un potentiel de contagiosité non négligeable. Les spécialistes semblent s'accorder sur le fait que chaque malade infecterait entre deux et trois personnes en l'absence de mesures de contrôle. C'est ce qu'on nomme le "taux de reproduction de base" du pathogène. C'est plus que la grippe mais nettement moins que la rougeole (plus de 12), et comparable au SRAS (estimé à 3).
Quant aux personnes qui sont susceptibles de décéder ce sont les personnes âgées. Dans la série publiée de 45 000 patients chinois, 80% des décès concernaient les plus de 60 ans - Arnaud Fontanet
Des infections majoritairement bénignes et un profil des personnes en état critique
Auditionnée au Sénat le 26 février l’épidémiologiste Arnaud Fontanet a avancé quelques éléments. Si on donne des ordres de grandeur, 10% des personnes infectées par le SRAS décèdent, par comparaison, pour ce coronavirus l’estimation pour les formes cliniques est de 1% et pour la grippe saisonnière on est plutôt autour de 1 pour 1000. Ces chiffres peuvent être amenés à être révisés notamment quand on aura une meilleure appréciation des formes réellement bénignes voire asymptomatiques des infections, auquel cas ce taux pourrait encore diminuer un petit peu.
En effet, le taux de létalité ne cesse d’être réévalué mais heureusement plutôt à la baisse. Une autre étude de grande ampleur, menée en Chine et citée par l’OMS, indique que l’infection serait bénigne de 80,9% des cas. Elle s’avérerait néanmoins grave dans 13,8% des cas voire critique pour 4,7% des personnes touchées avec une mortalité qui était estimée cette fois à 2,3%. Ce qui était déjà nettement plus faible que le chiffre avancé aux prémices de l’épidémie en Chine. En effet, les descriptions cliniques publiées sur les premiers patients infectés à Wuhan et en périphérie suggéraient une mortalité de l’ordre de 11% à 15%. Cette étude offrait donc des données plus rassurantes et surtout relativement fiables vu qu’elles portent sur plus de 70 000 cas confirmés, cas suspects ou asymptomatiques.
Ainsi, non seulement elle montre une létalité plus faible de ce nouveau coronavirus par rapport au SARS-Cov ou au MERS-Cov, mais elle donne également des éléments sur les personnes les plus à risque de développer des complications. Plus précisément, le taux de mortalité augmente avec l’âge et atteint 14,8% pour les plus de 80 ans. Le pronostic s’assombrit aussi pour des personnes avec des comorbidités comme des maladies cardiovasculaires, du diabète ou ceux souffrant de pathologies respiratoires chroniques (BPCO…) ou d’hypertension. A l’inverse, les enfants sont relativement épargnés. Même si deux nouveau-nés ont été contaminés in utero, aucun décès d’enfant de moins de 10 ans n’a été recensé jusqu’ici. En réalité, le SARS-Cov19 semble épargner davantage la population jeune : toujours lors de ces mêmes travaux, le taux de mortalité est évalué à 0,2% jusqu’à 39 ans, puis il augmente progressivement avec l’âge. Les hommes sont davantage touchés que les femmes (70% contre 40% environ) et présentent une létalité plus importante (2,8% contre 1,7%).
Des chiffres en partie corroborés par une autre étude du Lancet qui se concentre sur les patients en état critique. Les auteurs soulignent que les éléments suggèrent que les hommes d’un certain âge sont les plus susceptibles de contracter l’infection
. De même les travaux remarquent que le symptôme de fièvre permet d’identifier beaucoup plus vite les patients porteurs. Quand la température n’augmente pas, les patients sont diagnostiqués plus tardivement.
Des pistes thérapeutiques plus ou moins prometteuses
Pour l’instant aucun traitement spécifique n’est trouvé mais plusieurs pistes thérapeutiques son envisagées. La plus récente : la chloroquine, qui n’est autre qu’un antipaludique ! Selon des travaux réalisés en Chine parus dans la revue BioScience Trends, cette molécule aurait montré des signes d’efficacité
. Nous savions déjà que la chloroquine était efficace in vitro contre ce nouveau coronavirus et l'évaluation clinique faite en Chine l'a confirmé
, clarifie Didier Raoult, directeur de l'Institut Méditerranée Infection à Marseille et spécialiste des maladies infectieuses. De son côté, Arnaud Fontanet a un point de vue plus modéré. Il y a très peu d’information dans ce papier. On nous dit juste que ça raccourcit la positivité des tests et peut-être la guérison des patients mais pour l’instant, c’est extrêmement faible comme niveau d’information
.
La difficulté aujourd’hui, c’est qu’il n’y a pas de médicament qui ait fait réellement la preuve de son efficacité. Il y a des pistes de réflexion
, corrobore Catherine Leport, infectiologue également auditionnée au Sénat. Toutefois, elle juge le candidat chloroquine intéressant à tester
car il laisse entrevoir des perspectives de recherche thérapeutique
. En effet, dans l’attente d’un vaccin, les chercheurs tentent plusieurs stratégies. Ils étudient notamment des médicaments utilisés face à d’autres pathogènes pour savoir s’ils sont efficaces face à ce nouveau virus. Un anti-VIH a été testé ainsi qu’un antiviral déjà examiné dans le passé face au SARS-Cov et Mers-Cov.
Quant à la solution vaccinale, cela s’annonce long. L’épidémiologiste a souligné que son développement pourrait prendre 18 mois en France. Notre expérience avec les vaccins, c’est qu’il y a beaucoup de maladies pour lesquelles malheureusement on n’a pas réussi à avoir de vaccin efficace. Je rappelle que pour le MERS, le coronavirus qui circule dans les pays du Golfe, ça fait six ans qu’ils cherchent un vaccin qu’ils n’ont pas encore réussi à le mettre au point.
Enfin, en ce qui concerne les prévisions plus qu’optimistes du président américain Donald Trump : D'ici avril, ou au cours du mois d'avril, la chaleur en général tue ce genre de virus.
Arnaud Fontanet est resté perplexe face à cette hypothèse. Il a rappelé que le MERS-Cov résistait bien aux températures élevées.
Roxane Curtet Journaliste infirmiers.com roxane.curtet@infirmiers.com @roxane0706
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