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PORTRAIT / TEMOIGNAGE

"Les Monocyclettes" : des vêtements glamours et asymétriques pour les Amazones

Publié le 23/07/2021
"Les Monocyclettes"

"Les Monocyclettes"

Les Monocyclettes

Les Monocyclettes

"Les Monocyclettes"

"Les Monocyclettes"

Angélique Lecomte, 39 ans, n’est pas spécialement "mode addict" comme elle dit, elle n’avait pas non plus de compétences spécifiques dans ce domaine et pourtant : après l’épreuve du cancer du sein, cette habitante de la-Bastide-des-Jourdans (dans le sud du Lubéron) crée sa ligne de vêtements à la fois féminins et asymétriques "conçus pour les corps asymétriques". Son site, "Les Monocyclettes", connaît un vif succès, en France et même à l’étranger. Entretien.

Alors qu’Angélique ne trouve pas d’alternative au port de prothèse, ou au bricolage de ses tenues après une mastectomie, elle lance sa ligne de vêtements asymétriques.

Infirmiers.com : Pourriez-vous nous préciser où et combien de temps vous avez exercé le métier d’infirmière ?

Angélique : J’ai travaillé comme infirmière pendant 15 ans, essentiellement à Marseille et à Aix-en-Provence, en hôpital psychiatrique. J’ai arrêté en 2016, lorsque j’ai eu mon cancer.

Infirmiers.com : Comment avez-vous vécu la maladie ? Et où en êtes-vous aujourd’hui ?

Angélique : C’est une épreuve très difficile : le diagnostic, le traitement… C’est un tsunami. En 2016, on m’a diagnostiqué un angiosarcome du sein, une tumeur maligne d'origine vasculaire, très rare. Aujourd’hui, je suis en rémission, sous surveillance. Je passe des scanners, des échographies et une série d’examens tous les 6 mois. Le traitement a entre autres consisté en une mastectomie du sein gauche, car j’avais sans cela trop de risques de récidives. Une fois l’opération réalisée, mon oncologue m’a conseillé d’attendre deux ans avant d’entamer une reconstruction mammaire. Finalement, j’ai assez vite décidé de la refuser. Pendant ces deux ans, j’ai pris du recul, je ne me sentais plus de subir des opérations, de subir encore des douleurs, je n’avais plus envie de ça. Je m’étais aussi habituée à ce corps. C’est ce cheminement qui m’a amenée à refuser. A vrai dire, j’étais surprise moi-même par cette décision, je ne pensais pas être capable de ce cheminement-là. Je me suis étonnée moi-même de cette capacité à la résilience. J’ai alors entamé des recherches. En tant que citoyenne et même en tant que soignante, j’étais persuadée que la plupart des femmes choisissaient de faire une reconstruction. Or, j’ai découvert que 70% d’entre elles prenaient en réalité la même décision que moi. Et là, en passant de l’autre côté, je comprenais les raisons qui poussaient à refuser : le fait d’avoir envie de tourner la page, la peur de l’intervention (une opération n’est jamais anodine et comporte sa part de risques infectieux, de risques anesthésiques et en tant qu’infirmière j’étais très consciente de ça, le risque de rejet de greffe, et le risque aussi que le résultat ne soit pas à la hauteur des attentes…) la peur que la prothèse puisse cacher une récidive éventuelle aussi, les douleurs enfin (j’avais eu ma dose de douleurs, plus que je ne pouvais supporter). Oui, car la mastectomie, c’est douloureux. C’est subjectif et on ne la ressent pas tous de la même manière, mais pour ma part ça a été extrêmement douloureux donc là me retrouver avec plusieurs interventions, des drains… l’idée d’une prothèse (un corps étranger), je le refusais totalement.

Sur le plan psychologique et émotionnel, dans tous les cas, la mastectomie implique des étapes de deuil à franchir au niveau du schéma corporel. Personne, à aucun moment, ne parle de ce sujet. Je l’ai découvert à mes dépens, mais j’avais en tout cas déjà enclenché ce processus, j’étais dans une phase d’acceptation. Si à ce moment-là on fait une reconstruction, ça veut dire qu’on repart dans ces étapes. Je n’avais pas la force de reprendre ce chemin. J’avais l’impression d’être arrivée à un équilibre. J’ai appris aussi à accepter mon corps. J’ai peut-être perdu en esthétique mais j’ai gagné en estime de soi.

Alors que le cancer du sein est le cancer le plus fréquent en France, les femmes subissent souvent une double peine : la maladie, et le regard que la société porte sur leur corps.

Infirmiers.com : Vous dites que le regard des autres vous a aussi encouragée.

Angélique : Le regard des autres m’a aidé à accepter les changements, celui de mon mari, et celui de ma fille aussi. Les enfants sont extraordinaires dans ces cas-là : ma fille, rapidement, a pu regarder la cicatrice et verbaliser.

Enfin, la réaction de mes proches, celles de mon cercle intime, de mes parents à l’annonce de mon refus de la reconstruction, m’a fait du bien : personne n’a essayé de me convaincre du contraire. Ils m’ont simplement dit : c’est ok, c’est toi qui vois. Ils avaient eu peur de me perdre. Ça m’a soutenue alors que pour certains, le retour à la normalité est un aboutissement. Ce n’était pas mon cas. C’est un chapitre qui fait partie de mon histoire.

La féminité ne se résume pas à une paire de seins ! Avec ou sans prothèses mammaires, avec un ou deux seins et même pas du tout, chaque femme est belle, unique, attachante et singulière.

Infirmiers.com : Vous faites aujourd’hui des vêtements asymétriques ? Racontez-nous comment a germé cette idée ?

Angélique : Elle a germé à cette époque où j’avais cette réflexion sur la reconstruction, en 2017. Je me disais : cette prothèse, est-ce qu’elle me convient ? J’ai 35 ans, je n’ai pas envie de la porter encore pendant des années… Je remettais en cause ce qui m’était proposé. Je trouvais ça désagréable. Certaines femmes s’en accommodent très bien. Moi, je fais partie de celles qui n’aimaient pas ça. Je cherchais donc des alternatives. Il n’existait rien. Soit les femmes bricolent leurs vêtements ou leurs soutien-gorge, soit elles portent une prothèse. Je me suis dit : ce n’est pas possible qu’à notre époque on n’ait pas de proposition plus audacieuse, alternative, plus libre. De recherche en recherche je m’aperçois que ça n’existe pas et je me dis : eh bien je vais le faire.

Ça paraît un peu fou parce que je n’avais pas du tout les compétences en la matière. Je n’étais même pas spécialement mode addict, mais j’aimais les fringues. Or, à cette époque, je ne m’achetais plus rien. Je me suis dit que c’était affreux, que l’image de soi en avait vraiment pris un coup – se trouver à nouveau jolie prend beaucoup, beaucoup de temps. Vous avez été amputée, vous ne vous trouvez pas jolie, votre féminité en prend un coup et vous ne pouvez même pas aller faire de shopping pour vous remonter le moral ! C’était difficile à accepter.

J’avais plein d’idées. Je ne savais pas comment passer de celle-ci à la réalisation. A l’époque j’étais devenue assistante maternelle et je cherchais des cours du soir. Je suis tombée sur une association d’Aix-en Provence dont les membres m’ont accompagnée dans la réalisation de mon projet : DFEA (De Fil En Aiguille) fais ta mode Je leur ai exposé mon projet et elles m’ont énormément aidée. Elles m’ont dit : on n’a jamais fait ça mais c’est parti. Elles m’ont donné des clés. D’un point de vue stylisme, création, réalisation…

Infirmiers.com : Vous vous êtes alors lancée ?

Angélique : En octobre 2018 : c’est le premier déclencheur. Ces cours du soir me permettent de réaliser une première petite collection. En octobre 2019, je lance une première campagne de crowdfunding qui me permet de récolter l’argent pour créer mon entreprise grâce à des dons de particuliers. L’entreprise naît officiellement le 2 janvier 2020. J’ai alors sorti mon premier modèle, un sweat asymétrique (car on était en hiver). J’ai aussi créé le site Les Monocyclettes (j’ai d’ailleurs dû aussi me former au site, au e-commerce, aux réseaux sociaux, à la communication...) C’était très riche en apprentissage. Le lancement de ma première vraie collection était prévu pour mars avril 2020, mais j’ai reporté à cause du confinement. Tout sera prêt pour le mois d’octobre. Pour le shooting photo, j’ai fait appel à des clientes, afin de montrer que mes vêtements conviennent à tous les corps. Après un cancer, il y a celles qui ont perdu des seins, d’autres qui sont en cours de reconstruction de leur poitrine… Je voulais aussi m’adresser à des femmes de tous les âges.

Infirmiers.com : Les Monocyclettes, pourquoi ce nom ?

Angélique : Je voulais un nom de marque qui évoque la problématique mais pas la pathologie. Je voulais quelque chose qui reste léger, qui ne soit pas ancré dans la pathologie.

Infirmiers.com : Aujourd’hui quels sont les retours de la part des femmes qui achètent vos vêtements ?

Angélique : J’ai souvent des retours. Ils sont très positifs. Beaucoup de témoignages vont dans le sens de vêtements jugés alternatifs, plus jeunes, et surtout une autre vision de la femme après le cancer. De la femme qui peut s’assumer et qui reste féminine. Les produits qui sont proposés les aident à accepter leur corps.

Infirmiers.com :  Comment voyez-vous l’avenir ?

Angélique : J’adore ce projet qui me tient beaucoup à cœur. Au-delà de l’aspect créatif, il y a aussi les valeurs que je défends qui sont importantes à mes yeux. L’année prochaine, j’aimerais ouvrir à l’international. Je vends déjà à l’étranger (Suisse, Belgique, Angleterre), mais je souhaite me faire connaître davantage à l’international. J’ai également l’intention de développer les ventes à domicile. J’aimerais que la marque puisse être l’occasion de se réunir entre femmes qui partagent la même expérience dans un esprit : on passe un bon moment et on essaye des fringues. Même si je vends essentiellement en e-commerce, j’ai vraiment envie de développer l’aspect humain.

Retrouvez les vêtements asymétriques d’Angélique sur LesMonocyclettes.com

Propos recueillis par Susie BOURQUINJournaliste susie.bourquin@infirmiers.com @SusieBourquin


Source : infirmiers.com