De mi-mars à mi-mai, la France entière était cloîtrée chez elle. Si pour la plupart, le confinement a été vécu comme une obligation (plus ou moins difficile à tenir), certains, au contraire, choisissent délibérément de se confiner, et ce, pendant de très longues périodes. Ce n’est pas tant qu’ils sont casaniers, non c’est bien au-delà ! Décrit par les scientifiques japonais pour la première fois il y a une vingtaine d’années, le syndrome d’Hikikomori n’est pas si rare qu’on pourrait le croire…
Quand les reclus ne sortent pas ! Il existe des confinés volontaires
, des individus qui vivent coupés du monde. Ce phénomène notamment décrit au Japon est appelé syndrome d’Hikikomori. Plus précisément, ce terme Hikikomori
dérive du japonais et se compose du verbe hiki (hiku)
, qui signifie reculer, et komori (komoru)
, qui signifie entrer. En effet, c’est surtout au pays du soleil levant que ce phénomène a été étudié même si en France on commence (un peu) à en parler.
Il s’agit souvent d’adolescents ou de jeunes adultes, des hommes la plupart du temps, qui décident d’abandonner tout lien avec la société pour s’enfermer loin de l’extérieur devenu oppressant. Ils se cloîtrent le plus souvent dans leur chambre. Un enfermement volontaire qui peut durer plusieurs mois, voire même plusieurs années… la définition du syndrome évoque dans tous les cas au moins six mois de confinement. En France, il n’existe pas de terminologie spécifique pour appréhender et qualifier ce phénomène, alors qu’au Japon il est clairement repéré, largement étudié, et fait l’objet de politiques ciblées de prévention et de prise en charge
, peut-on lire sur le blog animé par le Dr Marie-Jeanne Guedj Bourdiau, psychiatre qui se sert de cet outil notamment pour soutenir les parents quelque peu démunis face au comportement de leur enfant.
L’usage immodéré d’Internet n’est plus considéré comme une cause mais il est associé à l’enfermement.
Un manque de données pour estimer une prévalence
Si, au Japon, les recherches sont plus avancées, là aussi les données manquent notamment concernant l’épidémiologie. Les scientifiques déplorent l’absence de statistiques robustes permettant d’évaluer le nombre de sujets atteints. Au Japon, les évaluations les plus pessimistes suggèrent que les personnes touchées sont entre 200 000 à plus d’un million, soit presque 1% de la population totale… Cependant, selon une méta-analyse récente, les chiffres les plus fiables proviennent de trois études basées sur la population nippone. Parmi elles, une enquête menée par des chercheurs d'Okinawa auprès de plus de 1600 familles en 2002 a révélé 14 cas. Or, si on extrapole et applique ce ratio à l'ensemble du pays, on peut estimer le nombre de personnes atteintes à 410 000. En France, on parle de dizaines de milliers de jeunes concernés mais c’est un chiffre à prendre avec grande précaution.
En parallèle, si ce syndrome se caractérise par un retrait social impliquant généralement de rester à la maison presque tous les jours, certains experts ont proposé deux sous-catégories de comportement : la première, le dur
, comprend les jeunes qui ne quittent jamais leur chambre et ne parlent jamais à leurs familles. Puis, la seconde plus légère
, comporte les cas qui sortent de chez eux et ont occasionnellement des conversations. Plus récemment, une autre subdivision a été suggérée en distinguant les cas qui vivent avec leur famille (la majorité des sujets) et ceux qui vivent seuls, représentant environ 11% des individus atteints. Le profil type décrit par la communauté scientifique est celui du jeune homme adulte, fils aîné d'une famille ayant un bon niveau socio-économique et culturel.
Qu’est-ce qu’un tel phénomène dit de nos sociétés contemporaines, des chemins sinueux vers l’âge adulte, des injonctions et idéaux de performance et d’autonomie, des espaces scolaires, des formes de communication et des troubles qu’ils peuvent induire ?
Phénomène sociologique ou trouble mental ?
Ces comportements insolites interrogent : est-ce un phénomène de société ? Est-ce une réaction liée aux difficultés actuelles pour les jeunes générations notamment la pression scolaire (phénomène connu au Japon) ou la problématique de trouver un emploi stable en cette période de crise économique ? Est-ce l’expression d’une crainte face à un avenir incertain ? Est-ce que tout cela ne pousserait pas ces personnes à se retirer de cette course à la performance, de jeter l’éponge
et se réfugier dans l’isolement ?
Apparemment, les personnes touchées semblent répondre à toute injonction ou attente sociale qui leur est adressée, un déroutant "je préfèrerais ne pas"
. Ni véritablement contestataires, ni malades, ils évitent d’assumer les rôles attendus d’eux, suspendent le temps, se désynchronisent et mobilisent un espace-temps singulier, laissant perplexes leurs proches autant que les acteurs des mondes de l’éducation, ou de l’intervention médico-psychologique
, lit-on également sur le blog de la psychiatre et de ses associés.
Au Japon, si de manière similaire une approche sociologique a été généralement privilégiée, la possibilité qu’il s’agisse tout de même d’un trouble psychiatrique n’est pas à exclure pour certains scientifiques. Il convient de noter que les sociologues occidentaux ont suggéré que le Hikikomori n'est pas du tout un état psychologique ou psychiatrique ; il s'agit plutôt d'un phénomène fondamentalement transitoire causé par des facteurs sociaux. Nous n'approuvons pas ce point de vue. Nous soutenons que la majorité des Hikikomori souffrent d'une forme de trouble établi
, expliquent deux chercheurs américains dans une revue de la littérature récente. Selon eux, les cas recensés de Hikikomori sont souvent, mais pas toujours, classés comme une variété de troubles psychiatriques existants dans le DSM-IV. Ils suggèrent que ce repli social est potentiellement en lien avec les spécificités culturelles, mais aussi avec des troubles mentaux obsessionnelles ou phobiques. L’étude cite l’exemple d’un adolescent de 14 ans qui refuse d’aller à l’école. Sa claustration va durer deux ans. Ce cas illustre certaines caractéristiques typiques de ce syndrome qui le distinguent d'autres troubles sur le diagnostic différentiel. L’obsession du patient était assimilée à son système de pensée, il ne reconnaissait pas sa répugnance à sortir comme déraisonnable ou excessive, et ne craignait pas d’agir d’une manière qui serait humiliante ou embarrassante. Cela distingue ce trouble à celui d’anxiété sociale
.
Psychopathologique ou purement sociologique, la réponse est probablement double. Les personnes diagnostiquées semblent chercher constamment à trouver refuge. Mais contre quoi ? Les autres ? Les normes sociales ? La vie ? Beaucoup de recherches sont nécessaires pour avoir des pistes d’éclaircissements face à ce syndrome encore méconnu.
Roxane Curtet Journaliste infirmiers.com roxane.curtet@infirmiers.com @roxane0706
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