Le 9 décembre 1905 était votée la loi sur la séparation des Églises et de l’État. Et voilà 115 ans que politiques et concitoyens s’interrogent sur la manière de l’appliquer. Mais qu’en est-il dans un établissement de santé ? Pour qu’un soignant se sente à l’aise face aux pratiques religieuses dans son exercice quotidien, voici quelques éléments concrets sur les droits et devoirs des patients.
En France, le cadre juridique et politique qui régit la laïcité repose sur deux principes : tout d’abord la liberté de conscience et de religion. Chacun est libre de croire ou non, de se convertir à une autre religion, de pratiquer ou non son culte. Peu importe son choix, les lois de la République se conforment à la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, selon laquelle nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi (Art. 10). S’ajoute à cela : l’État respecte toutes les croyances, assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion1 et les institutions publiques doivent afficher une neutralité absolue envers les différentes communautés religieuses ; tout citoyen enfin, croyant ou non, de nationalité française ou autre, résident ou de passage en France, a l’obligation de respecter les règles de laïcité.
Les patients sont garantis par la loi de pouvoir pratiquer librement leur culte et de manifester leurs convictions religieuses dans l’enceinte d’un établissement de santé
Pratique religieuse des patients
Les établissements de santé, qu’ils soient publics ou privés, doivent respecter croyances et convictions des personnes accueillies : Dans la mesure du possible, un patient doit pouvoir suivre les préceptes de sa religion (recueillement, présence d’un ministre du culte de sa religion, liberté d’action et d’expression…) à condition que des droits s’exercent dans le respect de la liberté des autres
2. Ainsi, les patients sont garantis par la loi de pouvoir pratiquer librement leur culte et de manifester leurs convictions religieuses dans l’enceinte d’un établissement de santé3. C’est pourquoi tous les établissements de santé doivent disposer d’une équipe pluriconfessionnelle d’aumônerie (catholique, protestant, musulman, israélite…) à l’image de leur patientèle. Ces renseignements peuvent être affichés à l’attention des usagers dans les locaux, ce qui n’exonère pas l’établissement de les faire figurer dans son livret d’accueil ainsi que l’emplacement du lieu multicultuel.
Autorisations, interdictions : comment s'y retrouver ?
Les établissements de santé ne sont ni des hôtels, ni des lieux de culte, mais des centres de soins. Voilà pourquoi des limites à la pratique religieuse y existent. Le Code de la santé publique précise : « il va de soi que les règles de neutralité doivent demeurer compatibles avec les exigences d’une bonne dispensation des soins telle que définie par l’équipe médicale. […] À cet égard, il convient de veiller à ce que l’expression des convictions religieuses ne porte atteinte ni à la qualité des soins et aux règles d’hygiène (le malade doit accepter la tenue vestimentaire imposée compte tenu des soins qui lui sont donnés) ; ni à la tranquillité des autres personnes hospitalisées et de leurs proches ; ni au fonctionnement régulier du service »4.
Pratiquer
La chambre est apparentée au domicile privé ; en somme, un deuxième « chez soi ». Les patients peuvent y prier, se recueillir, méditer librement dans la limite du fonctionnement régulier du service, sans entraver la réalisation d’actes médicaux et infirmiers (à titre d’exemple, impossible de déplacer le lit en direction de La Mecque à la demande d’un patient musulman). Lorsque la chambre est partagée avec d’autres patients, on veillera à leur tranquillité (prière silencieuse le jour, pas de prière la nuit, respect des horaires des visites et du nombre de visiteurs). Néanmoins, il est interdit d’empêcher un patient de prier, bien que la pratique dans les lieux communs (couloir, salle d’attente, jardin…) ne soit pas tolérée comme d’allumer des bougies ou des bâtons d’encens, de faire des offrandes alimentaires, ce pour des raisons d’hygiène et de sécurité, y compris pendant les périodes de fêtes. Si un patient était importuné par la pratique d’un voisin de chambre, charge au personnel du service de rechercher une solution amiable selon l’infrastructure du lieu et l’état de santé des patients : déplacement, mise à disposition momentanée d’un lieu sans danger, invitation à se rendre en salle de culte polyvalente5. Le personnel doit permettre aux patients désireux d’assister à la messe de s’y rendre soit individuellement, soit accompagnés d’un membre de l’équipe ou d’un bénévole. À défaut de se déplacer, le patient doit pouvoir assister à la messe (ou tout autre émission religieuse de son choix confessionnel) retransmise à la télévision ou à la radio. Quant aux accompagnants, ils ont l’autorisation de prier discrètement dans la chambre de leur proche, sans toutefois que cela netrouble les actions de l’ensemble des personnels et le repos des autres malades. Les objets de culte seront laissés à portée de main du patient - sur la table du chevet ou autre - et déplacés par lui-même en cas de besoin ou par le soignant après autorisation de l’intéressé. Attention à ne pas les placer « en situation d’impureté », c’est-à-dire mis à terre, déposés sur la partie inférieure du corps du patient, vers le bas du lit ou encore dans le cabinet de toilettes.
Se nourrir
Sur le chapitre de l’alimentation et du jeûne, les établissements proposent des alternatives à la nourriture que ne consommeraient pas certains patients dans les limites des préconisations de l’équipe soignante et du bon fonctionnement du service. En revanche, aucune obligation ne leur est donnée de proposer des repas casher ou halal, des aliments issus de l’agriculture biologique, des plateaux végétariens… ce qui n’autorise pas pour autant la livraison ou l’introduction des nourritures provenant de l’extérieur (sauf autorisation écrite du médecin ou de la diététicienne). Celles introduites en fraude sont restituées aux visiteurs, ou à défaut détruites6. Enfin, le jeûne strict, c’est-à-dire l’abstinence totale pendant un laps de temps donné7 de nourriture, boisson (y compris l’eau) et médicament (par voie orale ou perfusion) doit être découragé par les équipes - voire par l’aumônier dédié - chez le patient hospitalisé, âgé ou atteint d’une maladie chronique, conformément aux prescriptions de toutes les religions.
Afficher sa croyance
La liberté d’action et d’expression est également encadrée. Le port de signes religieux ou de tenues vestimentaires traditionnelles fait partie de la liberté d’expression des usagers. Il ne doit pas pour autant entraver la qualité des soins. Si le patient refuse de se conformer au strict protocole, l’équipe soignante doit l’informer des difficultés occasionnées sur le plan de sa prise en charge ; s’il persiste dans son refus, l’infirmier peut renoncer à pratiquer le soin en consignant les faits dans le dossier du patient et doit en informer le corps médical. Les règles de l’identitovigilance, mises en œuvre pour fiabiliser l'identification des usagers et le référencement de leurs données de santé, induisent l’interdiction de dissimuler son visage, quel que soit le sexe, l’âge ou la nationalité8. En cas de nécessité médicale ou de crise sanitaire comme celle du Covid-19, l’obligation est assouplie ; mais la délivrance d’un certificat médical pour port de masque, si elle est médicalement injustifiée, peut être considérée comme un certificat de complaisance et un motif de mise en cause du praticien, qui peut être poursuivi devant ses pairs, voire devant les tribunaux.
Choisir son aumônier
En dehors des cas d’urgence, le malade est autorisé, lui-même et non un parent ni un proche ni la personne de confiance, au libre choix de son praticien si cela ne met pas à mal plusieurs impératifs : organisation du service, planification des consultations, délivrance des soins, tour de garde des médecins, exigences sanitaires. Par ailleurs, si toutes les religions recommandent la pudeur aux femmes comme aux hommes dans leur tenue, leur comportement et leur expression, aucune d’elles n’interdit la prise en charge par un personnel de santé du sexe opposé, a fortiori si le malade se trouve dans une situation médicale délicate9. Un patient n’a pas non plus le droit de s’opposer à ce qu’un soignant, à cause de sa religion ou de ses origines supposées, procède à des soins. Il s’agirait d’un cas grave de discrimination, qui ne peut être admis ou passé sous silence par la hiérarchie du professionnel. En cas de désordres persistants occasionnés par un patient, le directeur de l’établissement prend, avec l’accord du médecin chef de service, toutes les mesures appropriées - voire prononce la sortie ou le transfert de l’intéressé pour motif disciplinaire si l’état de santé du patient le permet.
Accepter librement le soin
En cas de conflit entre spiritualité et soin, les personnels doivent signaler au patient la présence de l’aumônier de son culte dans l’établissement et lui conseiller de le rencontrer, à défaut son représentant en ville (après avis médical en psychiatrie). S’ils sont appelés à intervenir lors de l’échange, les personnels se limiteront à un discours strictement médical ou infirmier sur la prise en charge proposée (interruption thérapeutique de grossesse, pose d’une valve cardiaque d’origine porcine, traitement à base de morphineou d’alcool…). Après cet entretien, le patient reste libre d’accepter ou non le soin proposé, conformément au Code de la santé publique, qui stipule qu’aucun acte médical, ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et que ce consentement peut être retiré à tout moment. (Article L.1111-4).
Notes
- Constitution du 4 octobre 1958
- Circulaire DHOS/G no 2005-57 du 2 février 2005 relative au respect de la laïcité dans les établissements de santé
- De même pour les personnes atteintes de troubles mentaux et hospitalisées sans leur consentement
- Article L. 6143-7 du code de la santé publique repris dans la Circulaire du 2 février 2005 précédemment mentionnée
- Obligatoire dans les établissements de santé et non pas une chapelle susceptible d’accueillir que des catholiques
- Article R. 1112-48 du code de la santé publique
- Du lever au coucher du soleil pour le Ramadan pendant 29 ou 30 jours selon les années, pendant 25 heures pour le Yom Kippour (Grand Pardon)… Le Carême chrétien prône une abstinence de gourmandise, pas de nourriture
- Loi du 11 octobre 2010
- Pour en savoir plus, Menaces religieuses sur l’hôpital, Presses de la Renaissance, 2011
Isabelle Levy, conférencière - consultante spécialisée en cultures et croyances face à la santé, elle est l’auteur de nombreux ouvrages autour de cette thématique.
@LEVYIsabelle2
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