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La Veilleuse : l’aide-soignante qui a sauvé 11 résidents d’un incendie se confie dans un livre

Publié le 20/02/2020
La Veilleuse : l’aide-soignante qui a sauvé 11 résidents d’un incendie se confie dans un livre

La Veilleuse : l’aide-soignante qui a sauvé 11 résidents d’un incendie se confie dans un livre

Halima Taïbi Lamali, aide-soignante au foyer Perce-Neige de Mareil-sur-Mauldre, dans les Yvelines (78), a sauvé 11 résidents en situation de handicap d’un incendie en 2018. Elle publie aujourd’hui son livre, La Veilleuse, aux éditions Michel Lafon. Nous avons évoqué avec elle la nuit de l’incendie, son ouvrage mais aussi le métier d’aide-soignant et la situation préoccupante de certains établissements de soin…

"J’ai toujours eu peur du feu, donc dans les établissements, je regarde toujours où se trouve la sortie, la configuration des lieux… En réalité, ce scénario, je l’avais vécu plusieurs fois dans ma tête". Halima Taïbi Lamali.

Pour tous, Halima Taïbi Lamali, aide-soignante depuis 10 ans, mère de deux enfants, est une héroïne. Pour l’intéressée, elle n’a fait que son devoir, et c’est tout ! se plaît-elle à assurer en riant au téléphone. Il y a deux ans, la nuit du 23 février 2018, alors qu’elle travaille dans un foyer d’accueil médicalisé et qu’elle a -seule- la responsabilité de 11 résidents lourdement handicapés, un incendie se déclare. Sans hésitation, elle se jette dans les chambres et parvient à les sortir, un par un, les extirpant de leurs lits, parfois endormis, parfois à moitié nus (elle prend néanmoins toujours le temps de les envelopper et parfois même d’attraper leurs chaussons au vol), pour les mettre à l’abri. Même si cette action très courageuse, effectuée avant l’arrivée des pompiers, lui a paru durer une éternité, elle n’aura pris en réalité que 7 minutes. 7 minutes pendant lesquelles Halima Taïbi lamali a sauvé 11 personnes des flammes. Depuis l’incendie, tout s’est enchaîné très vite, raconte-t-elle. Si elle ne souhaitait pas que son nom soit dévoilé, il a finalement été prononcé, puis, elle a reçu une médaille, la médaille du courage (il a fallu la convaincre de l’accepter au nom de tous les aides-soignants) et Michel Lafon lui a proposé de raconter son histoire dans un livre. La Veilleuse (c’est ainsi qu’on appelle les aides-soignantes de nuit), s’ouvre sur cet épisode de l’incendie, qui aurait pu être dramatique.

Pourtant, Halima Taïbi Lamali se défend de tout acte de courage. Moi je ne voulais pas de médaille, confie-t-elle. C’était normal de faire ce que j’ai fait. Si je n’avais pas agi, c’est comme si j’avais laissé mes propres enfants dans l’incendie. Je n’avais pas le choix. Je n’allais pas partir et les laisser ! J’ai donc accepté la médaille comme un hommage à mon métier explique-t-elle. Je ne m’en serais jamais remise si j’avais perdu quelqu’un.

"Dans d’autres établissements, je doute que j’aurais pu sauver tout le monde"

Si elle exerce comme aide-soignante depuis dix ans (un métier qu’elle aime comme elle le raconte dans un chapitre intitulé une vocation), Halima Taïbi Lamali a travaillé pendant 5 ans dans différents établissements - maison d’accueil spécialisée, foyer d’accueil occupationnel et foyer d’accueil médicalisé, Institut Médico-Educatif et maison de retraite – ce qui lui donne une vision assez exhaustive de leur fonctionnement. Elle est, depuis le mois de septembre 2019, devenue éducatrice spécialisée dans un foyer de protection de l’enfance et travaille à présent pendant la journée, tout en exerçant comme aide-soignante, moins régulièrement qu’avant. Plus à l’aise dans le soin, elle projette aujourd’hui de devenir infirmière.

L’incendie m’a vraiment choquée, marquée. J’avais décidé de changer de métier. D’exercer comme aide-soignante de temps en temps, pour savourer chaque moment que je passais avec les résidents. Ça me manquait, se souvient-elle. Aujourd’hui pourtant, elle choisit les lieux dans lesquels elle travaille. L’incendie m’a fait réaliser que ce n’était pas possible pour moi de travailler dans certains établissements, parce que ça me semblait trop dangereux. Dans l’un d’eux (que je ne citerai pas), si la même chose était arrivée, je doute que j’aurais pu sauver tout le monde. Les bâtiments sont en bois et les chambres disposées en cercle. Si le feu prend quelque part, on se retrouve rapidement encerclé. En tant que déléguée syndicale, j’ai alerté la directrice de l’établissement, mais rien n’a été fait et la direction m’a ri au nez en disant que j’exagérais. Ça m’a décidée à arrêter...

Si je n’avais pas agi, c’est comme si j’avais laissé mes propres enfants dans l’incendie. Je n’avais pas le choix.

La veilleuse tire la sonnette d’alarme

De manière générale, Halima Taïbi Lamali n’est pas tendre avec l’institution et avec les structures dans lesquelles elle a eu l’occasion de travailler. L’incendie n’est pas le seul risque encouru, assure-t-elle. Il y a deux ans, j’ai eu une grosse douleur au ventre. J’ai continué à travailler toute la nuit. Personne ne pouvait me relayer en pleine nuit. L’astreinte, c’était la directrice de l’établissement, (qui n’était pas formée) et qui n’aurait de toute façon pas pris la peine de se déplacer... Des anecdotes dans le même genre, Halima Taïbi Lamali en a à la pelle. Il y a 10 ans, quand je suis arrivée dans un établissement, j’ai remplacé une jeune femme. On m’a dit : hier, la veilleuse a fait un malaise. Les résidents sont restés sans surveillance plusieurs heures, peut-être même toute une nuit ! Par chance cette nuit-là, rien ne s’est produit…

Il y a de très bons établissements, nuance l’aide-soignante. Tout y est transparent et les chosent fonctionnent. On y voit moins de turn-over et même les vacataires s’y sentent bien. Dans d’autres au contraire, les vacataires ne font pas plus d’une matinée ! Ils sont 2 au lieu de 5. Mais la professionnelle dénonce des conditions plus graves. Parfois les personnels sont uniquement entre remplaçants… ce qui peut conduire à des erreurs dans l’administration des traitements ! C’est pour ça que je tire la sonnette d’alarme. Dans certaines maisons d’accueil spécialisées, les médicaments sont mis directement ‘en bouche’ (au lieu de les placer dans la main pour éviter tout risque d’étouffement). Ce n’est pas le bon mode d’administration ce qui peut provoquer des erreurs graves, voire mortelles. Et les médicaments sont parfois administrés par des aides-soignantes ou des aides médico psychologiques au lieu des infirmières… C’est même devenu régulier. Il va y avoir –il y a déjà- des choses graves dans certains établissements, regrette-t-elle.

Malheureusement, ces mauvais fonctionnements ne sont pas l’exception mais sont les plus courants, selon Halima Taïbi Lamali, qui n’hésite pas à dénoncer de sérieux dysfonctionnements. Tant que je fais bien mon travail, je ne vois pas pourquoi j’aurais peur de quoi que ce soit. Tout ce que j’ai fait, je l’ai toujours fait dans le sens du résident.

On devrait être plus rigoureux avec les établissements de soin, avec davantage de contrôle sur la sécurité, sur les budgets et sur les conditions de travail - Halima Taïbi Lamali

"Plus de rigueur, plus de contrôle…"

On devrait être plus rigoureux avec les établissements de soin, avec davantage de contrôle sur la sécurité, sur les budgets et sur les conditions de travail, assure Halima Taïbi Lamali. Les petites structures surtout, qui représentent de nombreux établissements sur le territoire et qui passent trop souvent à travers les mailles du filet, devraient être davantage surveillées selon l’aide-soignante, témoin de situations préoccupantes. Contrat de travail mal rédigé (pour que l’établissement n’ait pas à payer les primes de précarité), portes coupe-feu mal isolées (depuis plusieurs années, et malgré des signalements). Plus grave encore (et plus décourageant aussi) : même après le passage d’inspection, rien n’est fait.

Matériel manquant, vétuste ou inadapté (un canapé finalement remplacé après des mois dans un établissements n’était pas adapté, si bien que les résidents ne pouvaient même pas s’y asseoir)… Les exemples ne manquent pas. Dans l’un des établissements où j’ai travaillé, j’ai mis 4 ans à obtenir un charriot pour entreposer mes poubelles. Avant cela, je les trainais derrière moi, raconte l’auteure de La Veilleuse. Et dans tout cela, le métier d’aide-soignant ne permet pas toujours de vivre décemment. On est obligé de cumuler plusieurs emplois pour survivre. Pour avoir une vie décente. On a des enfants, il faut payer les dettes… Passer aux yeux de tous pour une héroïne, obtenir une médaille, Halima Taïbi Lamali s’en fiche… si c’est pour que sa voix ne soit pas entendue.

La veilleuse,
Halima Taïbi Lamali,
aux éditions Michel Lafon.

Susie BOURQUINJournaliste susie.bourquin@infirmiers.com @SusieBourquin


Source : infirmiers.com