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A la télé - A l'école de la relation : quand le médecin doit soigner ses mots...

Publié le 21/02/2020
a la télé humaniser l

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médecin documentaire

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Ce documentaire intitulé "Humaniser l'hôpital", écrit et réalisé par Gil Rabier, diffusé le 24 février sur France 3 Ile-de-France, nous plonge au coeur de cette relation singulière qui se noue entre le médecin et le patient, nous donnant à voir toutes ses couleurs et nuances, étayée par des scènes "sur le vif" et des réflexions livrées "en off" par les médecins ou lors d'un groupe de réflexion et d'étayage des pratiques. Ou comment montrer, au plus près du sujet, les pouvoirs et les limites de la parole du médecin qui se doit de soigner ses mots autant que la pathologie du patient... Lumineux, ces médecins le sont. Humbles et humains avant toute chose, ils s'efforcent de l'être et ce qu'ils nous montrent d'eux ne peut que nous redonner confiance en la médecine, aujourd'hui malmenée, parfois tout autant que ceux qui la dispensent...       

Un documentaire qui, au-delà des murs jugés parfois hostiles de l'hôpital, nous plonge au coeur de la relation qui se noue entre le médecin et la personne malade.

Un "colloque singulier", unique et très singulier même que celui qui s'opère entre un médecin et un patient. Défini par Georges Duhamel en 19371 comme la rencontre d'une confiance (du patient) et d'une conscience (du médecin), ce "colloque singulier" est marqué par la confidentialité de ce qui est échangé et protégé par le secret médical. Aucun des deux ne choisit la rencontre et pourtant, elle s'avère précieuse pour le médecin comme pour le patient dans le cadre d'une consultation, au décours d'une maladie naissante lors de son "annonce" ou en cours d'évolution lors de son suivi. De fait, les premiers instants de ce rendez-vous, les premières attitudes déployées, le premier regard, les premiers mots prononcés, seront déterminants pour instaurer, ou non, une relation de confiance, d'autant lorsqu'il s'agit d'annoncer une mauvaise nouvelle. Ce moment est particulièrement difficile car il s'agit bien là de quelque chose "que quelqu’un n’a pas envie de dire à quelqu’un qui n’a pas envie de l’entendre". Cette situation, complexe, peut engendrer beaucoup de tensions, de gène de part et d'autres, voire de maladresse qui en font alors un rendez-vous manqué.

A l'école de la relation, certains sont plus doués que d'autres, dans une empathie naturelle. Mais cette relation, pour un médecin, se travaille également. Elle s'analyse au regard de sa propre expérience, à la lumière de ses réussites mais aussi de ses échecs, qui viennent l'enrichir et la rendre meilleure. 

Quand le malade est en confiance, tout se passe mieux, car il sent qu’il s’agit d’un médecin à qui l’on peut poser des questions. Cela change tout.

Tout au long de ce sujet de 52 minutes, Gil Rabier par ailleurs co-auteur avec Martine Ruszniewski, psychologue et psychanalyste, de l'ouvrage "L’annonce - Dire la maladie grave"2, et diffusé le 24 février sur France 3 Paris Ile-de-France3, magnifie - sans rien ajouter - le travail et la réflexion de quatre médecins (cancérologues, gastro-entérologue et gynécologue)4 qui se demandent simplement comment mieux accueillir les malades, comment communiquer avec eux, comment restaurer un peu de confiance entre la médecine et les patients. Il s’agit d’une attention à l’autre, d’une écoute de quelques secondes, d’un soin apporté aux mots employés, aux attitudes. Des petits riens essentiels pour que le malade reste une personne et non un corps humain ballotté de services en services. Ce que l'on voit ce sont des praticiens concernés, humbles et attentifs qui font leur possible pour préserver cette rencontre, parfois douloureuse, parfois tendue, tout simplement humaine.

Le sens de la nuance mais aussi des priorités dans une seule phrase... "Ne vous inquiétez pas, quelque chose a changé"... vaut mieux que "quelque chose a changé" énoncé d'emblée et qui donne une couleur plus dramatique au propos médical

L'un d'entre eux l'explique ainsi je n'aime pas l'effet de surprise en face du patient lors de la découverte d'une image suspecte ou d'un chiffre anormal. Le patient va ressentir que je suis surpris et cela va instaurer d'emblée une ambiance, une intention, une anxiété dont aucun d'entre nous n'a besoin. Si je suis préparé, si je prends quelques secondes avant le rendez-vous pour regarder le dossier, m'en saisir, cela change tout. Dans mon esprit, je suis prêt. Je saurai quoi dire, quoi écouter et cela sera plus facile En effet, explique Martine Ruszniewski, psychologue et psychanalyste à l’Institut Curie, pour un médecin, savoir qu'il a une mauvaise nouvelle à annoncer est déjà pour lui une mauvaise nouvelle et je dirais tant mieux car cela veut dire qu'il ne banalise pas ce qu'il va dire à la personne malade qui est en face de lui. Il est donc riche d'humanité, ce qui va favoriser une relation et donc une rencontre à ce moment précis.

En suivant tour à tour ces médecins au coeur même de leur consultation, soutenant par les mots, mais aussi par une attitude générale d'écoute tendue vers les besoins de la personne malade, ce fameux "colloque singulier, on s'interroge. Aurions-nous la chance, si le besoin s'en faisait sentir, de tomber sur eux, ses "sachants" bienveillants pour qui la qualité de la relation compte ? Il y a certes leurs mots, authentiques, sans tabou, parfois sans détours, mais aussi leurs encouragements, leurs objectifs à partager, parfois même leur incapacité à répondre à ces questions parfois récurentes "combien me reste-t-il Docteur ?" Il y a surtout la place de leurs silences, parfois nécessaires pour ponctuer un discours, laisser entendre, donner place à la parole de l'autre, reformuler, avancer sur un fil, certes tendu, mais solide...

Le plus difficile en consultation, c'est d'être synchrone avec le patient, dans sa temporalité, en cernant au plus près ses craintes, ses attentes, ses désirs... on ne peut jamais se mettre à sa place...

Et puis, il y a cette séquence de partage et d'interrogations collectives lors d'un groupe Balint5 où ces médecins dans cet espace privilégié, discutent entre eux, libèrent leur parole, livrent leurs expériences parfois teintées de doutes, voire d'échecs quand la rencontre au moment voulu avec un de leur patient n'a pas eu lieu. Se soutenant les uns les autres, supervisés par une psychanalyste, ils en ressortent plus forts, plus libres aussi, délivrés de ce qui ferait frein à leur investissement émotionnel. Médecins, certes, mais hommes avec des résonances à ce qu'ils sont ou ont déjà vécu à titre personnel qui peuvent être douloureuses.

Ces enseignements collectifs, ils peuvent ensuite les partager avec leurs étudiants, dans leurs services, insistant sur l'idée qu'un médecin se présentant avec sa blouse blanche face à un patient est déjà "tout puissant" mais qu'il lui faut savoir échapper à ce piège. Apprendre à être humble, à dire parfois "je ne sais pas", "c'est difficile à prévoir", "aucun cas ne ressemble à un autre" quand la situation l'impose car toute parole "malheureuse" est très dure à rattraper ensuite. Le patient va la retenir et donc tout le reste du discours n'aura pas de prise.

Ce documentaire nous entraîne finalement à mieux comprendre "l'école de la relation", cette école qui, pour tout soignant, se construit au fil de son expérience, dans le respect de ses valeurs éthiques et de ce qu'il est au plus profond de son être. Une école de l'humilité qui nous plonge au coeur d'un hôpital plus humain que celui que l'on nous présente trop souvent. Reste à le faire savoir au plus grand nombre pour restaurer l'équilibre !

Humbles et humains avant toute chose, ces médecins s'efforcent de l'être et ce qu'ils nous montrent d'eux ne peut que nous redonner confiance en la médecine, aujourd'hui malmenée, parfois tout autant que ceux qui la dispensent...

Notes

  1. Georges Duhamel (1884-1966) : le colloque du médecin et du malade est essentiellement un colloque singulier, un duo entre l'être souffrant et celui dont il attend délivrance. Entre ces deux personnages existe presque toujours un secret in Paroles de médecin 1946 ; Entre le médecin de famille et l'homme souffrant s'engageait ce qu'il m'est arrivé d'appeler déjà “un colloque singulier”, un colloque d'homme à homme in Problèmes de l’heure 1957 ; Paul Ricœur parlera de rencontre singulière et de pacte de soins : P. Ricœur, "Les trois niveaux du jugement médical", in P. Kemp (dir.), Le Discours bioéthique, Cerf, 2004, p. 35-49 et Esprit, n° 227, décembre 1996, p. 21-33.
  2. Martine Ruszniewski, psychologue et psychanalyste à l’Institut Curie où elle écoute et forme les soignants – et auteure avec Gil Rabier du livre L’annonce - Dire la maladie grave
  3. Humaniser l'hôpital, un documentaire écrit et réalisé par Gil Rabier, coproduction Kami Productions et France 3 Paris Ile-de-France avec le soutien du CNC et de la Procirep-Angoa, diffusion le lundi 24 février sur France 3 Ile-de-France à 23h05.
  4. Pr Pascal Hammel, chef de service d'Oncologie digestive, hôpital Beaujon (AP-HP), Dr Pierre Pannel, chef de service de Gynécologie-Obstétrique, Centre hospitalier de Versailles, Dr Carole Bouleuc, oncologue, Soins de Support, Institut Curie (Paris), Dr Alain Livartowski, oncologue, Institut Curie (Paris). 
  5. Le déroulement d’une séance de travail se construit autour de la présentation par un membre du groupe, d’une situation clinique. Les autres membres du groupe écoutent sans l’interrompre. Puis ils peuvent réagir et intervenir en questionnant, en exprimant leur avis, voire leurs émotions. Le narrateur entend et cherche à répondre aux questions tout en découvrant un autre éclairage de sa relation à ce patient là.

Le film sera en Replay 30 jours après la diffusion sur idf.france3.fr ►replay ►La France en vrai

Bernadette FABREGASRédactrice en chef Infirmiers.combernadette.fabregas@infirmiers.com @FabregasBern


Source : infirmiers.com