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La Guyane sous "haute tension" : l’épidémie de coronavirus en pleine progression

Publié le 26/06/2020
clara de Bort ARS Guyane

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Guyane

Guyane

Guyane clara de bort

Guyane clara de bort

La Guyane, département d’outre-mer français, vit aujourd’hui une situation sanitaire compliquée. Le coronavirus y circule de façon importante et le stade 3 de l’épidémie a été déclaré le 15 juin dernier. Clara De Bort, directrice de l’ARS Guyane, nous explique la stratégie mise en place afin de faire face à la multiplication des contaminations, arriver à la contraindre tout en prenant en charge les patients les plus gravement touchés.

La Guyane vit une situation épidémique difficile, passée au stade 3 de l'épidémie au COVID19 depuis le 15 juin dernier.

Infirmiers.com - Où en est l'épidémie en Guyane aujourd’hui et pourquoi ce nombre de cas en augmentation ?

Clara De Bort - L’épidémie s’est en effet intensifiée en Guyane, avec toutefois une intensité variable de la circulation virale sur le territoire. Kourou est la ville de Guyane la plus touchée en nombre de cas par habitant. Nous avons des cas regroupés avec une diffusion communautaire où le retraçage des chaînes de contamination n’est plus possible. La proximité et la frontière longue de 700 km avec le Brésil, fait vivre l’épidémie en même temps que l’Amérique du Sud. En date du 25 juin, 3033 cas sont déclarés positifs, avec une forte hausse depuis 2 semaines et au jour le jour (+206 en 24h) traduisant l’intensification de la circulation. De fait, la Guyane est depuis le 15 juin passée au stade 3 de l’épidémie. Les hospitalisations pour COVID-19 ont elles aussi nettement augmentés et entre une et deux admissions en réanimation a eu lieu chaque jour depuis le 10 juin. 102 personnes sont actuellement hospitalisées dont 17 en réanimation. 4 patients ont été évacués vers le CHU  Martinique et 2 vers le CHU Guadeloupe. 10 décès sont à déplorer.

Le préfet de Guyane a renforcé le couvre-feu dans la ville spatiale de Kourou, commune du littoral guyanais la plus touchée en nombre de cas de Covid-19 par habitant.

Infirmiers.com – Face à cette forte circulation du coronavirus, la population est-elle amenée à être à nouveau confinée ou seules les mesures barrières sont applicables ? La vie sociale a t-elle repris ?  

Clara De Bort - A ce jour, certaines communes - Saint-Georges et Camopi à la frontière du Brésil - sont confinées. Une cité du littoral subit aujourd’hui la même règle depuis la découverte d’un important foyer. Les écoles ne sont toujours pas ouvertes, sauf une école primaire d’Awala Yalimapo, à l’ouest de la Guyane, pour quelques enfants. Je précise que cette commune est actuellement épargnée par le virus. Le télétravail est très fortement préconisé en complément des gestes barrières et des mesures de distanciation physique. Cependant, face à l'épidémie de Covid-19 qui s'accélère, le préfet de Guyane a renforcé le couvre-feu dans la ville spatiale de Kourou, commune du littoral guyanais la plus touchée en nombre de cas de Covid-19 par habitant. À Kourou, le couvre-feu est étendu de 19 heures (au lieu de 21 heures) à 5 heures en semaine, et le week-end du samedi 15 heures (au lieu de 19 heures) au lundi 5 heures. Cayenne, Rémire et Matoury formant "l'île de Cayenne" sont soumis à ce régime depuis le 19 juin. Macouria - entre Cayenne et Kourou - est concernée par ces dispositions depuis le 21 juin notamment à Cayenne, les Autorités renforcent les mesures de restrictions de circulation  avec l'allongement du couvre-feu - de 19h (au lieu de 21h) à 5h en semaine, et le week-end du samedi 15 h (au lieu de 19h) au lundi 5h.

Préparer les hôpitaux à une accélération rapide des hospitalisations, y compris en réanimation, par un travail conjoint sur l’armement de lits supplémentaires et la mise en route d’évacuations sanitaires prudentielles.

Infirmiers.com - Quelle est la situation dans les hôpitaux ? Connaissent-ils une vive tension avec des hospitalisations accrues ?

Clara De Bort – Il nous faut préparer les hôpitaux à une accélération rapide des hospitalisations, y compris en réanimation, par un travail conjoint sur l’armement de lits supplémentaires et la mise en route d’évacuations sanitaires prudentielles. L’ensemble des personnels soignants doit pouvoir aborder la crise sanitaire avec des lits disponibles pour éviter l’épuisement et faire face à un afflux soudain d’un grand nombre de patients. Concernant le profil des patients, toutes les classes d’âge sont représentées parmi les personnes hospitalisées, les personnes de plus de 80 ans représentent seulement 8% des cas. Les tranches d’âge les plus représentées concernent des personnes relativement jeunes : 60/69 ans (20,2%), 40/49 ans (18%) et 30/39 ans (15,7%). Parmi les 15 personnes admises en réanimation depuis début mars, 75% étaient âgées de moins de 65 ans et 94% ont présenté un syndrome de détresse respiratoire aiguë. Toutes présentaient au moins une comorbidité : l’obésité (81%), l’hypertension artérielle (33%) et le diabète (56%) étaient les plus fréquentes.

Infirmiers.com – Face à cette situation, avez-vous dû faire appel à des renforts venus notamment de métropole ?  

Clara De Bort – J’ai demandé que la Réserve Sanitaire soit activée. La semaine dernière 66 réservistes sont ainsi arrivés sur le département, ils sont positionnés dans les hôpitaux (3 en Guyane) ou les centres de santé en communes isolés et d’autres sont mobilisés sur les nombreuses opérations de dépistage et repérage dans les quartiers d’habitats spontanées et zone ou le virus circule plus activement. La Sécurité civile rapide d’intervention médicalisée est également venue renforcer les capacités d’accueil du centre hospitalier de Cayenne et 2 médecins réanimateurs de l’AP-HP  spécialisés en gestion de crise viennent d’arriver en renfort avec comme mission d’accompagner les hôpitaux et les équipes médicales, les outiller et les soutenir face au choc épidémique attendu. Le 23 juin, Annick Girardin, ministre des Outre-mer, est arrivée en Guyane afin de se rendre compte, sur le terrain, de la réalité de la crise sanitaire et de rencontrer les forces vives du pays pour décider, ensemble, de la suite à venir et notamment de la décision de reconfiner tout le territoire ou de poursuivre un reconfinement.

Infirmiers.com – Comment voyez-vous la suite des événements ? 
Clara De Bort –L’épidémie va très vite et nous devons être très agiles. Prendre bien en compte les retours d’expérience de la métropole, tout en adaptant à notre territoire si différent. Après des mois d’épidémiologie de terrain, d’intervention très active sur chaque démarrage de chaînes de contamination, en Amazonie, à la frontière du Brésil, nous arrivons au pied de la vague tant redoutée. Nous ne pouvons pas savoir quelle sera son ampleur réelle, et nous faisons tout pour casser la courbe. Mais les faits sont déjà là : des afflux en hospitalisation, des afflux en réanimation. Il nous faut armer en urgence de nouvelles unités chaque semaine, nourrir massivement nos stocks en « bataillant » pour le fret, équilibrer la charge entre les acteurs de soins. Heureusement nous avons pu pendant la préparation vider des lits médico-sociaux, les armer avec les équipes de la HAD, basculer des patients du secteur public vers le secteur privé, et bien sûr faire monter en charge massivement la télémédecine. Le tout en embarquant les professionnels hospitaliers et libéraux déjà très fatigués mais aussi la population, qui subit des restrictions de libertés très douloureuses depuis des mois, mais qui s’accroche et que je veux encourager. Notre organisation des soins est totalement transformée, tendue vers l’absorption de nouveaux patients, la préparation et l’organisation d’évacuations sanitaires. Nous travaillons en ce moment à concevoir des modèles inédits de renfort RH massif. Une période de crise qui représente un saut immense, à tous points de vue, pour le système de santé guyanais. 

La Préfecture et l’Agence Régionale de Santé de Martinique apportent leur appui à la Guyane dans la gestion de l’épidémie qui s’intensifie sur l’ensemble du territoire.

"Nous avons tous au moins un patient COVID dans notre patientèle"

Mylène Mathieu est infirmière libérale dans la région Centre littoral de l’île de Cayenne, en Guyane. Présidente de l’URPS Infirmiers guyannais , elle nous livre son sentiment sur la situation sanitaire en plein pic épidémique au COVID19.

"En tant qu’infirmiers libéraux et donc soumis à l’obligation de la continuité des soins, nous avons, dès que le virus a commencé à circuler, fin mars 2020, constitué au niveau de l’URPS un comité de pilotage afin d’anticiper la vague épidémique que nous redoutions et surtout ses effets sur notre patientèle si elle venait à être touchée. Nous connaissons en effet les faibles moyens de l’offre de soins ici en Guyane, seuls les patients les plus gravement atteints étaient hospitalisés, il était donc primordial pour les professionnels de santé de proximité que nous sommes - 300 IDEL sur le département - de nous organiser, en amont, pour que les soins que nous prodiguons au quotidien à nos patients à domicile ne souffrent d’aucune carence. 

Nous avons constitué des "pool d’IDEL" pour la prise en charge des patients COVID+. La médecine de ville nous adressait des patients en sortie d’hospitalisation et stabilisés, avec ou sans antécédents ou comorbidités connues, mais qui nécessitaient un suivi soit en présentiel soit via la téléconsultation. Pour ce faire, bien sûr, et nous n’avons pas échappé à ce que nos collègues ont vécu en métropole, les équipements individuels de protection (EPI) n’ont pas toujours été disponibles pour assurer notre sécurité et celle de nos patients. Cela a créé bien des angoisses : peur d’être malade, peur d’être vecteurs de la maladie et donc de contaminer à notre tour. A ce moment là, nous avons constitué une cellule d’écoute afin de drainer ces peurs et aider les IDEL à mieux faire face.

Nous nous sommes organisés pour doter les soignants de masques, de gel hydroalcoolique, de surblouses, les dotations de l’État s’avérant, comme ailleurs, insuffisantes. La solidarité sur place a joué à plein, les associations, les entreprises, les collectivités locales nous venant en aide pour constituer des stocks de matériel et ainsi mettre à la disposition de tous les IDEL des kits complets de protection. A l’heure actuelle, alors que chaque IDEL compte au moins un patient COVID+ dans sa patientèle, nous ne disposons que de 24 masques par professionnels et par semaine dont 10 uniquement FFP2. C’est encore insuffisant d’autant que l’épidémie flambe.

Nous contribuons également aux tests de dépistage, d’autant plus à l’heure actuelle où le virus circule activement, en collaboration avec l’ARS mais aussi avec Médecins du Monde ou la Croix Rouge. Là encore nous avons constitué un pool d’IDEL dédié qui peut faire des prélèvements à domicile. La cadence est très importante alors que nous observons quelque 200 tests positifs par jour à l’heure actuelle. Si des IDEL sont eux mêmes infectés et mis de fait en quarantaine, nous avons également au niveau de l’URPS organisé leur remplacement par un de leur consœur ou confrère proche afin qu’il n’y ait pas rupture de la continuité des soins au sein de leur patientèle.

J’ajouterai que ce qui nous tient à coeur, ici en Guyane, c’est de pouvoir soigner les Guyanais sur leur territoire. Lorsque nous assistons à des évacuations de patients vers les Antilles, quelquefois sans espoir de retour, car il faut désengorger ici l’hôpital, nous vivons cela comme un échec de notre système de santé et c’est douloureux. Enfin, vu la situation au jour d'aujourd'hui, nous ne pouvons que regretter de ne pas avoir su - ou pu - mettre à profit les deux mois d'avance que nous avions sur la pandémie et ce, en dépit de toutes les suggestions et propositions émanant de l'ensemble des forces vives de la Guyane.

Propos recueillis par Bernadette FABREGASRédactrice en chef Infirmiers.combernadette.fabregas@infirmiers.com @FabregasBern


Source : infirmiers.com