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IDEL

La Guadeloupe face au coronavirus : une infirmière libérale raconte

Publié le 10/04/2020
Sofiane, IDEL, guadeloupe

Sofiane, IDEL, guadeloupe

matériel Guadeloupe

matériel Guadeloupe

Guadeloupe infirmier covid19

Guadeloupe infirmier covid19

Elise , infirmière Asalée

Elise , infirmière Asalée

La vie avec le COVID19 s’organise partout dans le monde, avec toutes les contraintes associées. Les soignants, en première ligne dans la bataille qu’ils livrent contre le virus, où qu’ils exercent, vivent, eux aussi les mêmes difficultés. Pierrette Meury, infirmière libérale et IPA, nous raconte son quotidien et celui de ses collègues sur une île où les spécificités locales, comme la pénurie d’eau par exemple, compliquent encore un peu plus les prises en charge. Mais là encore, les initiatives soignantes se déploient et le système D est à l’oeuvre.

Pour le matériel mis à disposition des infirmiers, comme partout ailleurs, les initiatives se multipliuent.

Depuis maintenant 3 semaines…, comme en métropole la vie est suspendue. Le confinement est difficile à établir au soleil, dans une société où la population est habituée à vivre toute l’année dehors. La vie se fait en contact permanent avec les voisins, les amis ; un contact chaleureux et présent. Les informations parfois contradictoires laissent planer un doute sur la nécessité du
confinement, le "si Dieu veut" habituel traduit bien une forme de fatalisme… Les jeunes
entendent qu’ils sont peu touchés par le coronavirus, obligeant les élus à publier des couvre-feux
pour toute la Guadeloupe pour empêcher la vie en société de se dérouler au pied des immeubles, la nuit.

La première semaine, les touristes arrivés pour des vacances prévues depuis longtemps ou bien en remplacement de celles annulées dans les premiers pays touchés, ont eu des difficultés à accepter le confinement pour leurs sept jours de vacances. Les croisiéristes résidant sur l’île, débarqués des bateaux où des cas ont été dépistés, sont allés faire leurs courses ou ont prévenu leurs familles avant de se mettre en quatorzaine imposée par les autorités. Les déplacements transatlantiques cessent en dehors de quelques situations très réglementées, les passagers se pressent pour embarquer au détriment de toute distanciation recommandée pour un vol en promiscuité de 8 heures. Comment entendre qu’en nageant, qu’en bronzant sur une plage déserte ou en surfant en mer, on prend un risque ? Comment entendre que visiter l’ile en voiture fait prendre un risque ? Comment entendre qu’aller faire ses réserves dans une grande surface fait prendre un risque ?

Chacun a quelque chose à perdre et ne veut pas lâcher, chacun se pense prioritaire ou différent, un peu invincible...

La vie doit continuer... différemment

La vie se réorganise autrement, dans une société où la solidarité est ancrée dans la culture, mais où la population âgée vit souvent seule, avec des enfants parfois en métropole. Nombreuses personnes ne possèdent pas de voiture, parfois ne lisent pas avec facilité, encore moins le français. Ce qui est urgent, important, s’entend mieux en créole, pour ces raisons les messages de prévention ne sont pas recevables par tous. Pour le premier tour des municipales des véhicules transformés en discothèques ambulantes ont sillonné 7 jours sur 7 les communes vociférant des slogans électoraux… ils pourraient encore diffuser les messages de prévention. Les soignants le souhaiteraient, des messages en créole sur fond rythmé seraient les bienvenus. Internet n’est en effet pas accessible à tous, les autorisations de déplacement ne peuvent pas être récupérées ou imprimées, les enfants ou voisins apportent parfois des vivres une fois par semaine.

La société de consommation a modifié singulièrement la vie traditionnelle depuis les années 70, la longue période du LKP (collectif guadeloupéen qui regroupe une cinquantaine d'organisations syndicales, associatives, politiques et culturelles) en 2O09 a ravivé la conscience d’une consommation locale et redonné aux produits issus de nos cultures, une forme de noblesse. Le scandale du chlordécone semble s’être temporairement tu, les terres et eaux contaminées ne sont plus incriminées. En temps de crise, les producteurs locaux vendent au bord des routes, organisent des livraisons via les réseaux sociaux … réseaux inaccessibles à beaucoup. Les groupes whatsapp et facebook d’entraide se multiplient, le réseau gratiferia s’étend vers "entraide covid971", les couturières proposent leurs services pour des masques, des idées de visières voient le jour via youtube… Chacun tente d’apporter sa contribution… L'ordre a préparé 50 sacs de matériel qu'il a distribué à partir de dons.

Parfois 6 jours sans eau… comment respecter les gestes barrière dans ces conditions ?

Les axes de circulation sont allégés de leur flot quotidien, l’axe si souvent embouteillé de la Riviera semble désert à 8 heures du matin… Pourtant aux heures d’ouvertures des commerces, la circulation reprend, trop certainement pour un confinement réussi. Les parkings de grandes surfaces se remplissent de véhicules, ils sont moins nombreux que la première semaine au cours de laquelle on boulangerie, nombre de commerces laissent entrer un à un des clients qui attendent en ligne sur le parking que leur tour arrive. De nombreux piétons chargés de bouteilles et sacs déambulent sur le bord des grands axes un peu plus sécuritaires ces jours-ci. 2020 sera peut-être l’année de la baisse des accidents routiers ?

A cette crise s’ajoute celle de l’eau, depuis des mois, manquante dans un réseau vétuste aux fuites nombreuses. Une partie des "sections", ou autrement dit quartiers de certaines communes, ont un approvisionnement aléatoire, parfois 6 jours sans eau… comment respecter les gestes barrière dans ces conditions ? Face à la lassitude des usagers, la préfecture prend le pas sur l’organisme gestionnaire défaillant et dispose des citernes d’eau non potable et potable au plus près des populations privées d’eau. Les informations fusent, diffusent, "refusent" sur tous les groupes… dans un bruit assourdissant de vidéos, de clics, de textes…. Créant pour les "confinés" une ambiance de stress et de tension. Gageons que toute cette agitation des premiers jours trouvera un semblant d’organisation…

141 personnes ont été contaminées par le coronavirus en Guadeloupe, dont 2 de plus ces dernières 24h. C'est le dernier bilan communiqué par l'Agence de Santé Régionale. 17 personnes sont hospitalisées et 43 déclarées guéries. (8 avril 2020) 

Des situations de soin très compliquées… le système D se met en place…

L’organisation est probablement le maillon faible pour la distribution de masques, comme partout en France, les soignants en manquent cruellement. Les pharmacies sont approvisionnées au compte goutte : 11 boites de 50 masques par semaine dont 1 boite réservée à l’officine. Dans une commune où exercent 75 infirmiers libéraux titulaires, une vingtaine de remplaçants et 17 médecins, plus un laboratoire, on compte 9 pharmacies … Le calcul permet vite de constater que tout le monde n’aura pas sa dotation. Les directives vers les pharmaciens changent entre les communiqués, indiquant 1 boite de 50 ou bien 18 masques hebdomadaires… L’ambiance s’échauffe sur les groupes Whattsapp des infirmiers libéraux. Des personnels du CHU disent manquer de masques et devoir travailler 8 heures sans le changer. Yveline, manipulatrice radio, cherche des visières et des masques tissu pour compléter ce qui est mis à sa disposition et qu’elle juge insuffisant pour sa sécurité. Une responsable de maison d’accueil spécialisé cherche le moyen de faire des masques en tissu en attendant d’être livrée de sa commande. L’inquiétude sur la situation dans les EHPAD pointe son nez, avec le premier décès. Là aussi un besoin de matériel de protection s’exprime.

On a vu des élus distribuer des boites de masques dans la rue sans vérification de l’appartenance à une profession de soin. On entend dire que certaines entreprises se seraient vu attribuer des marchés d’importation en exclusivité, on a vu des professionnels de santé faire des stocks en privant les collègues, on en a vu en vacances se voir attribuer des masques du stock réquisitionné pour reprendre l’avion dans de meilleures conditions. On croise un consommateur sur deux en grande surface masqué en FFP1 ou même une fois sur trois en FFP2… Où ont-ils trouvé ce stock inaccessible aux soignants ?… On a aussi vu des entreprises de toutes branches vider leurs stocks pour les offrir, des municipalités rechercher les stocks de la grippe H1N1, des concessionnaires automobiles offrir les protections de voiture… Pour autant, la dotation est insuffisante obligeant certains infirmiers à coudre des masques en les renforçant avec des champs stériles, d’autres à déconditionner des sets de soins pour récupérer le précieux masque. Certains se fabriquent des visières de protection, en confectionnent pour des collègues et des médecins avec qui elles travaillent… le système débrouille et entraide se met en place. Les soignants sont en colère, ils ont peur pour leur santé, celle des autres patients, celle de leur famille.

Les communautés de commune, la région, l'ARS..., tous ont passé des commandes de masques. Tout arrive par bateau et avion impliquant une inertie dans l’approvisionnement partant d’une métropole où le stock est lui-même insuffisant. Les tarifs deviennent presque dissuasifs, selon les lieux de vente, les tarifs du gel hydroalcoolique passe de 10 à 18 euros le litre, malgré les décrets parus, les gants peuvent s’envoler à 15 euros la boite de 100, les masques chirurgicaux jusque 1 euro pièce et les FFP2 quand il y en a se trouvent à 14 euros pièce. Ce qui est rare et cher et la sécurité n’a pas de prix, faute d’avoir le choix nous choisissons la protection.

Après une semaine de confinement, la nouvelle tombe : le directeur du CHU est atteint du COVID19, avec lui, la présidente de la CME et le chef de service de la réanimation. Deuxième semaine de confinement le bilan s’alourdit dans la population et dans les équipes soignantes, deux médecins de réanimation sont à leur tour malade. Ce CHU tristement célèbre pour son incendie de fin 2017 dont le fonctionnement est encore partiel. Petit à petit, des soignants hospitaliers et libéraux se disent atteints sur les réseaux sociaux, sont en quatorzaine suite à un contact avec un patient infecté …. Impossible de dénombrer ou d’être sûr car les tests manquent et malgré les directives mises en place ils ne sont pas testés. Nathalie, libérale nous dit être atteinte ainsi que ses deux enfants, pas de test disponible, pourtant les signes cliniques sont nets: fièvre, toux, perte de goût et d’odorat. Sa situation est stable elle reste en quarantaine.

La dotation est insuffisante obligeant certains infirmiers à coudre des masques en les renforçant avec des champs stériles, d’autres à déconditionner des sets de soins pour récupérer le précieux masque.

Incivilités, dénuement, patients en détresse… la triste vie au temps du COVID19

Céline raconte avoir trouvé sa voiture une vitre brisée pour lui voler son masque et son manugel. Une vidéo circule sur l’agression d’une infirmière par une patiente dénudée en pleine rue, probablement une patiente en décompensation psychiatrique. En effet la prévalence de ces pathologies est importante en Guadeloupe, à l’instar de la période de 2009, les patients psychiatriques décompensent rapidement face à ces nouvelles stressantes et incessantes dans les médias. Un homme se jette sur le capot de ma voiture alors que je vais approvisionner mes collègues en matériel, visiblement en proie à des démons qui perturbent son équilibre
psychique. Plus loin, l’un d’eux semble pétrifié au milieu d’un rond-point. Les infirmiers et les soignants en général sont aussi confrontés à cette détresse psychiatrique ou psychologique, encore plus lorsque seuls, ils y font face à domicile. Les barrages de police et de gendarmerie pour obliger au confinement se multiplient, après une première semaine au cours de laquelle les consignes avaient été, visiblement, interprétées différemment selon les agents, la seconde semaine voit les pratiques s’uniformiser, laissant les professionnels de santé passer à la seule vue de leur carte professionnelle.

Nathalie pense avoir été contaminée par un patient lui ayant caché que son épouse avait de la fièvre et était couchée depuis 3 jours, après avoir eu la visite de sa soeur revenant de croisière. Par chance, elle a été informée sur son dernier jour de travail et en informe son collègue Sonny. Ils organisent la tournée, limitant les passages en ne conservant que ce qui est indispensable, certains patients fragiles seront hébergés dans leurs familles le temps du confinement, les soins d’hygiène seront assumés par des aidants eux-mêmes arrêtés dans leur vie professionnelle. Les surveillances se feront en télésoin via whatsapp pour tous ceux qui ont un portable connecté. Les pansements seront espacés, une patiente refuse toute visite infirmière, de crainte d’être contaminée, elle fera seule ses pansements, le médecin est informé, Sonny regarde la plaie par écran interposé à chaque pansement. Les médecins mettent très vite en place des téléconsultations. Sonny travaillera seul pendant deux semaines en espérant ne pas tomber malade. Ils ont prévu que l’infirmière qui est partie en retraite puisse reprendre du service en cas de besoin.

Elise, infirmière Asalee , nous raconte que la MSP, où elle collabore, s’est préparée à recevoir des patients COVID positifs en préparant un circuit différent pour tout patient présentant des signes évoquant une possible atteinte. A la demande de l’association Asalee, j’ai cessé les EFR depuis trois semaines. Mes derniers rendez-vous en ETP je les ai faits par visio. J’aide à l’organisation de la file active du cabinet protégée par un masque que le médecin me donne sur son stock, un chapeau et une tenue coton qui passe à 60 degrés à la machine. L’association me met à disposition trois temps d’échange de 60 mn en visio chaque jour, je ne peux participer qu’à un seul en raison du décalage horaire, j’avoue j’ai un peu peur de ne plus pouvoir participer quand la cadence va s’accentuer. Je suis inquiète pour le moral des collègues à l’hôpital et en ville, ils n’auront pas ce soutien et ces échanges qui nous permettent de partager.

Les infirmiers et les soignants en général sont aussi confrontés à cette détresse psychiatrique ou psychologique, encore plus lorsque seuls, ils y font face à domicile...

Organisation, coordination, anticipation, prévention...

Pour ma part, je travaille dans une autre MSP et deux cabinets de ville en contrat Asalée. Diplômée en pratique avancée, je me suis adaptée, assurant depuis 2 semaines le soutien et le suivi téléphonique d’une file active de patients porteurs de pathologies chroniques confiés par le médecin. J’ai dépisté par téléphone une situation d’urgence chez une patiente diabétique. La première semaine de confinement, Mme S… , diabétique que je connais, est sous metformine, au téléphone je ne reconnais pas sa voix, elle parle très lentement, elle me dit souffrir de diarrhée, je ne parviens pas à en savoir plus. J’ai contacté son médecin et nous avons envisagé de coordonner un départ vers les urgences mais la patiente et sa fille refusaient de partir pour le CHU. Nous leur avons expliqué, tour à tour, l’urgence de la situation et elles ont décidé de partir vers une clinique. L’établissement l’a refusée en accès libre, sa fille m’a appelée en panique, sa maman venait de perdre conscience sur le parking. J’ai appelé le 15, qui a fait ouvrir les portes du service, la patiente a été admise seule sans sa famille. Elle est sortie le soir même avec la consigne d’aller le lendemain en maladies infectieuses au CHU. Aucun test ne lui a été fait depuis le début, son médecin a prescrit de l’insuline, des perf. d’hydratation en évoquant un probable début de comas hyperglycémique… Quelques jours plus tard son époux a présenté les signes d’un COVID+ et est en télé suivi médical.

J’ai téléphoné à 47 personnes, dont plusieurs appels pour certaines en deux semaines, je remarque une détérioration du moral des patients. Après avoir eu une période d’inquiétude les premiers jours, les patients ont pris un rythme chez eux, mais ces derniers jours, l’isolement commence à peser et certaines personnes coupées de leurs familles sont tristes, inquiètes et stressées. J’ai créé un groupe Whattsapp où je suis seule à diffuser de l’information, je trie ce que je diffuse, uniquement des choses pertinentes pour le confinement. Les premiers jours j’ai partagé des tutos sur le lavage des mains, les gestes barrière, des conseils d’alimentation, puis progressivement les mesures de confinement, les liens pour la livraison de légumes, les numéros de garde, les urgences dentaires, les informations sur les délivrances de médicaments, de la prévention sur le risque de iatrogénie. J’ai aussi partagé le lien vers un cours d’activité physique adaptée et des sites de visites virtuelles ou des livres lus. En fait j’ai diffusé les informations selon les questions qu’on me posait en messages personnels.

J’ai orienté 14 patients ou personnes de leur entourage, confinés, vers leur médecin traitant pour des signes probables de COVID+ à partir du questionnaire publié par le ministère. La plupart des patients me disent être rassurés d’avoir ce lien et de savoir qu’ils peuvent m’appeler. Certains le font pour me demander mon avis sur des informations parce qu’ils commencent à se méfier de ce qui est diffusé. J’essaie de les décrocher de ce flot d’informations continu. Les patients ont été rassurés d’apprendre que leur médecin traitant avait débuté les téléconsultations. Si besoin je prépare ces consultations avant la connexion, je suis en contact permanent avec le médecin et j’ai accès au logiciel médical et au dossier patient où je mets mes transmissions. Nous avons des procédures et nous sommes mises en accord sur les tests de dépistage clinique fiables pour une évaluation à distance. La coordination avec l’infirmière libérale quand elle intervient est essentielle. Sinon je fais le suivi IPA et tente de maintenir un équilibre pour ces pathologies chroniques, voir de dépister les décompensations… Cela force à développer l’interrogatoire et l’examen par visio, donc à observer plus qu’à palper, mais surtout à écouter et adapter le discours pour que l’outil ne laisse pas se perdre l’information essentielle dans un sens ou dans l’autre.

Yasmina, infirmière hygiéniste en structure publique, témoigne : Je fais partie de la cellule de crise de la clinique. En amont de la crise, on a été bien préparé par le CPIAS, le Plan Blanc. Nous avons du retard par rapport à la métropole et profitons des recommandations. C'est structurant. Par contre, nous n'aurions jamais imaginé arriver à cet état de "guerre mondiale sanitaire" sauf dans les films.... On ne sait pas où on va, on a peur et nous espérons que les mesures que nous mettons en place seront efficaces. Comme dans toute crise, le travail en équipe est une force et nous côtoyons en majorité du personnel engagé. Des "bras cassés" ou des "gens de pouvoir" peuvent empêcher d'avancer... C'est à la fin de la crise que nous ferons le bilan. On se sent petit, on a peur, mais ensemble on espère pouvoir "sauver" une partie des patients ou les protéger. Chacun fait de son mieux. Nous n'avons pas de soutien des tutelles, c’est navrant nous avons peur de ne pas avoir de matériel et ce serait dramatique. Pour terminer, cet état n’est pas simple au boulot, à la maison… Après cet épisode nous espérons gagner en résilience... On m'a appris que le temps fait bien les choses.

Sofiane, infirmier libéral, raconte comment il doit s'organiser. Il a pour seule protection, son masque, ses gants et son SHA, il ne se sent pas en danger tant que les cas ne sont pas sur sa tournée. Pour autant je fais comme si chacun était porteur du virus, ce sera ma meilleure protection pour moi et pour les patients. Je rentre avec des gants, j’en mets une deuxième paire pour les soins, j’enlève la première au moment de rentrer dans ma voiture. Les personnes les plus fragiles sont sécurisées en
fin de première semaine de confinement. J’ai interpellé les médecins pour que les plus fragiles aient une visite à domicile avant que ces derniers n’aient côtoyé des patients positifs. J’ai fait des courses, renouvelé les traitements avant la crise, j’ai rassuré les familles, j’ai offert des masques à quelques patients très fragiles, ils les portent le temps des soins… Je me sens un peu fatigué. Il nous dit observer un état dépressif chez beaucoup de personnes âgées, elles sont habituées à voir le passage dans la rue, à parler avec le voisin, à aller à la boutique à 20 mètres, à voir leurs enfants… Et là plus rien, stop ! Elles sont inquiètes aussi pour leurs enfants ou petits enfants qui vivent ici, en métropole ou ailleurs. Une patiente est en train de perdre les repères temporo spatiaux, elle perd la mémoire, elle oublie pourquoi on ne vient plus la voir, elle a des propos incohérents, il lui faudrait une évaluation gériatrique mais en ce moment rien n’est possible, je veille chaque jour à ce qu’elle s’alimente, j’ai prévenu son petit-fils qui ne venait plus la voir. Les patients sont stressés devant les informations de ce qui se passe à Madrid, dans les EHPAD, de voir des patients entassés dans des couloirs et des cercueils avec des enterrements sans personne, alors qu’ici il y a habituellement des veillées cela leur semble impossible. Beaucoup de patients ne comprennent pas ce confinement total. J’ai fait des attestations de sortie car ils n’en ont pas.. Il dit avoir réussi à travailler sur le stock du cabinet sur les deux premières semaines, mais commence à en rechercher et en acheter parfois à des prix qui commencent à monter. J’ai quelques masques FFP2 que je garde si on a des patients contaminés.

C'est à la fin de la crise que nous ferons le bilan. On se sent petit, on a peur, mais ensemble on espère pouvoir "sauver" une partie des patients ou les protéger. Chacun fait de son mieux...

Croire en des jours meilleurs

L'ordre infirmier Antilles vient de lancer un sondage en Guadeloupe, plus de 100 infirmiers libéraux se sont portés volontaires pour des suivis COVID+ à domicile et à distance, à condition que le matériel de protection soit disponible. Et parce que nous sommes des positifs, nous voulons croire que demain ces épreuves nous
permettront de voir notre vie sous un nouvel angle, avec de nouvelles résolutions pour le bien être de notre société. Nous savons pourtant que la mémoire humaine est courte, le vécu cyclonique en témoigne. L’avenir proche va être compliqué, nous allons créer des alliances et des soutiens pour traverser ce tunnel COVID 19 qui met nos vies entre parenthèses. De nouvelles organisations vont naître de nos expériences présentes, dans l’épreuve nous apprenons à nous connaître mieux. Les plus beaux élans solidaires ont jailli des situations difficiles.

Pierrette Meury AbrahamInfirmière libérale, IPA en Guadeloupe


Source : infirmiers.com