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La Fracture, plongée réaliste et engagée dans un service des urgences

Publié le 26/10/2021

Offrir un instantané du quotidien nocturne d’un service des urgences parisien et des soignants qui le font vivre : c’est ce qu’entreprend La Fracture, le nouveau film de Catherine Corsini, en salles ce mercredi. Réalisme cru et humour débridé s’y mélangent pour délivrer un message engagé dans la défense de l’institution hospitalière publique.

Pour Raf, Julie, Yann et les soignants qui les entourent, la nuit va être longue. © Carole Bethuel

Présenté au Festival de Cannes, où il a été sélectionné en compétition, La Fracture sort sur les écrans ce mercredi 27 octobre. Ce film de Catherine Corsini (La Répétition, Un amour impossible) dépeint avec réalisme la situation de l’hôpital public en nous plongeant le temps d’une nuit dans le service des urgences d’un établissement parisien, en pleine période de manifestations des Gilets jaunes. Afin d’être au plus proche de la vérité, la réalisatrice a choisi de confier le rôle des soignants à de véritables professionnels de santé - en tout, ce sont 350 personnes qui ont été auditionnées après la diffusion d’une annonce sur les réseaux sociaux – pour un film où se mêlent les genres et qui, résolument engagé, leur rend hommage.

Par une nuit de décembre

Paris, un samedi soir de décembre 2018. Raphaëlle "Raf" (Valéria Bruni-Tedeschi), auteure de bandes-dessinées, et Julie (Marina Foïs), son éditrice, forment un couple au bord de la rupture. Lorsque la première se brise le coude droit, elles se retrouvent toutes deux aux urgences de nuit d’un hôpital. Dehors, les affrontements entre les Gilets jaunes et la police font rage et, aux visiteurs affligés des maux courants, vient s’ajouter le flot des manifestants blessés. Parmi eux, Yann (Pio Marmaï), un routier qui, sans en avertir son employeur, a gagné la capitale au volant de son semi-remorque au rythme joyeux de l’entêtant « Les Champs-Elysées » de Joe Dassin. Mais qui déchante vite lorsqu’il est pris dans la déflagration d’une grenade qui le blesse à la jambe gauche. Voilà les deux accidentés contraints de cohabiter pour quelques heures au milieu du ballet des brancards et au gré des aléas d’une prise en charge compliquée. Car si l’une peut se permettre de ne pas travailler le temps d’aller mieux, l’autre contemple avec horreur les conséquences que son état pourrait avoir sur sa vie professionnelle. Pendant une nuit chaotique, alors que l’hôpital se retrouve assiégé par les forces de l’ordre et débordé par les manifestants en quête de refuge, leurs mondes respectifs vont se heurter sous l’œil, parfois agacé, souvent compatissant, des soignants, et en particulier de l’infirmière Kim (Aïssatou Diallo Sagna).

Une comédie dramatique engagée

La fracture – ou peut-être devrait-on dire "les fractures" - du titre, c’est bien sûr celle de ce bras droit qui conduit Raf aux urgences ; mais c’est aussi, plus symboliquement, celle qui fragilise son couple avec Julie et celle, plus large, qui divise la société française et qui vient sous-tendre les échanges abrasifs entre Yann, issu du monde prolétaire et remonté contre le gouvernement, et Raf, identifiée comme appartenant à la bourgeoisie parisienne. Catherine Corsini encapsule ainsi en une nuit plusieurs événements qui ont marqué ces samedis d’insurrection à la fin de l’année 2018 : le saccage de l’Arc-de-Triomphe, retransmis ici à la télévision sous les yeux ébahis de Julie et Yann, l’assaut par la police de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, l’injonction du gouvernement à lui transmettre les informations relatives aux Gilets jaunes soignés dans les établissements. A l’exploration du malaise social s’ajoute un discours engagé pour la défense de l’hôpital public, ce lieu qui accueille tout un chacun sans considération d’origine ou de richesse, où se mêlent toutes les strates de la souffrance humaine, et dont les difficultés ont été mises en exergue par la crise sanitaire. De la pénurie de médicaments aux installations vétustes en passant par le patient souffrant de trouble mental que l’on délaisse par manque de personnel, tous les maux qui frappent l’institution sont évoqués par le biais de l’infirmière Kim qui, telle une marathonienne, navigue d’un patient à l’autre, roc solide au milieu de la tourmente.

Le sujet est lourd ; le traitement aurait pu l’être également. Mais plutôt que de céder au misérabilisme, Catherine Corsini choisit de jouer sur les ruptures de ton, entre réalisme presque documentaire, drame social et comédie loufoque. Car on rit beaucoup devant La Fracture, film chaleureux malgré tout et servi par une mise en scène dynamique qui s’empare du décor de l’hôpital pour en faire un personnage à part entière. La caméra virevolte, nous perd dans ce labyrinthe de couloirs et de salles, tantôt bondés, tantôt étrangement vides, aux sons des portes qui s’ouvrent et se ferment, des brancards qui roulent, et de l’agitation des patients impatients, avant de venir ausculter au plus près des visages les angoisses, mais aussi les espérances, des personnages au rythme de leurs différends et de leurs tentatives de (ré)conciliation. Unité de temps et de lieu, donc, qui permet une intrigue resserrée, où se mêlent l’intime et le politique. En découle un film d’une énergie folle, un huis-clos bouillonnant qui doit aussi beaucoup à l’abattage enthousiaste de ses acteurs principaux, Valéria Bruni-Tedeschi en tête, qui, en amoureuse éconduite et maladroite mais déterminée à reconquérir sa compagne, déploie ici librement un génie burlesque détonnant. Le récit nous réserve également des moments de respiration, telles ces séquences teintées de mélancolie où Kim interrompt quelques minutes sa course pour prendre soin d’une vieille dame mourante. L’on pourra toutefois reprocher au film d’être un peu trop tranché dans sa façon d’opposer les contraires (prolétaires vs bourgeois, manifestants vs police) et sa charge, pas toujours subtile, contre les forces de l’ordre. Charge qu’elle finit toutefois par désamorcer le temps d’une scène savoureusement cocasse entre Yann, anti-flic notoire, et un CRS, tout aussi malheureux d’être là. Quitte à ce que La Fracture se pare d’un petit côté naïf dans sa volonté de réconcilier des mondes en conflit permanent.

Un vrai souci de réalisme

Pour écrire son film, Catherine Corsini s’est inspirée d’une mésaventure personnelle, qui l’a elle-même conduite aux urgences lors d’une journée de manifestation des Gilets jaunes. Avec La Fracture, elle entendait ainsi témoigner de son admiration devant l’abnégation des infirmières l’ayant prises en charge à son arrivée, et montrer l’hôpital public dans son fonctionnement et son humanité, tout en rendant compte du quotidien des soignants. L’équipe des médecins et infirmiers urgentistes est d’ailleurs uniquement composée de vrais soignants, menés par Aïssatou Diallo Sagna, aide-soignante au service des urgences de l’Hôpital Paris Saint Joseph à l’époque. Un choix de la réalisatrice qui lui a permis de s’appuyer sur leur expertise métier pour donner un réel accent de vérité à son film. Je trouve que le film est très juste, très près de la réalité, témoigne Aïssatou Diallo Sagna. Bien sûr, tous les événements qui y sont racontés ne surviennent pas dans une même nuit. Mais, en tant que soignants, nous avons tous été confrontés au type de situation qui sont montrées. Au premier rang desquelles une scène de massage cardiaque que l’aide-soignante avoue avoir pris beaucoup de plaisir à tourner, elle qui s’est retrouvée confrontée à ce type de situation dans sa pratique professionnelle. Le lendemain du tournage, j’avais des courbatures parce que j’avais massé trop longtemps. On a vu trop de scènes de ce genre, mais qui sont en fait totalement irréalistes. Pour une fois, on voyait un vrai massage cardiaque !

Décors, matériel utilisé, environnement de travail…, les différents soignants intervenant dans le film ont vite trouvé [leurs] repères sur le plateau de tournage et ont rapidement noué un lien de confiance, né d’expériences communes au sein des urgences. Au-delà de son souci de réalisme, Aïssatou Diallo Sagna espère que La Fracture, avec sa peinture sans fard des difficultés que rencontre le secteur hospitalier, permettra au grand public de réaliser ce que les soignants vivent au quotidien et concourra à éveiller un peu plus les consciences sur le sujet. Mais, qu’avant tout, il fera plaisir aux soignants, que Catherine Corsini a vraiment souhaité mettre à l’honneur.

La Fracture, de Catherine Corsini, avec Valéria Bruni-Tedeschi, Marina Foïs, Pio Marmaï et Aïssatou Diallo Sagna

Journaliste audrey.parvais@gpsante.fr


Source : infirmiers.com