En EHPAD, accompagner est un verbe que l’on emploie tous les jours, à tous les temps, par et pour toutes les personnes. Tous les jours, en effet, les soignants accompagnent le résident et sa famille. A tous les temps, parce qu’on accompagne avant les évènements spéciï¬Âques (pathologies aigües, pathologies chroniques décompensées, deuils…), pendant ces mêmes évènements, et aussi après, parfois différemment, en s’adaptant. Par et pour toutes les personnes : par les agents hôteliers et administratifs, par l’agent d’entretien, par les soignants, par les médecins... et pour les résidents mais aussi tous ceux qui les entourent. Le rôle des soignants en particulier ne se limite pas à l’accompagnement du résident car soigner une personne âgée oblige à prendre en considération sa famille et son histoire de vie.
Cet article décrit des conduites à tenir "dans l'absolu". On sait, hélas, que la crise sanitaire a changé la donne et continue à la changer à l'heure où les résidents en Ehpad sont à nouveau très exposés à un virus qui (re)circule et à un risque de reconfinement.
Avant l'entrée d'un résident, c’est souvent la famille qui réalise les démarches administratives nécessaires. Le premier jour en EHPAD, ce sont aussi la famille ou les proches qui sont le plsu fréquemment présents. Les jours suivants, si leur présence est variable, leur existence, elle, est bien réelle. L’accompagnement de la famille ne se limite donc pas aux situations complexes. Il commence bien avant, et se terminera quand la famille le souhaitera.
L’entrée en EHPAD : un des enjeux de l’accompagnement familial
L’accompagnement de la famille commence au moment de l’entrée en institution et même avant : c’est un moment hautement privilégié pour créer les premiers liens de conï¬Âance. Le proche conï¬Âe celui ou celle qu’il a accompagné jusqu’ici. Il se pose ici la base des relations que les soignants vont potentiellement entretenir avec la famille. Il s’agit d’un moment délicat de partage avec la famille où s’expriment les culpabilités, les susceptibilités, les peurs, les angoisses. L’entourage familial s’en remet aux soignants dans un mélange d'anxiété et de soulagement. Il existe parfois un lourd vécu derrière l’entrée. C’est aussi le moment de recueillir les données qui permettront de s’adapter les uns aux autres, de personnaliser l’accueil et la prise en soins.
Il s'agit maintenant d'établir les bases du premier projet de soins à partir des informations médicales, du recueil de capacités/capabilités (fauteuil roulant oui mais capable de se déplacer avec par exemple ?). C’est encore le moment de montrer l’attention qu’on porte à la personne qui arrive dans sa nouvelle maison. Présentation du personnel présent, des locaux, des personnes rencontrées, des autres résidents à table. Au moment de l’entrée, également, il sera nécessaire de savoir quels sont ou seront les principaux référents familiaux. Qui ? Quand ? En savoir un peu plus sur l’implication de chacun, leur lieu d’habitation, leur profession, leurs interactions avec le résident. On pourra dresser également un mini arbre généalogique pour comprendre les liens familiaux, les éventuelles ruptures et conflits, les liens forts.
Un des points cruciaux de l’entrée est l’échange autour des médicaments : leur prise a souvent jalonné les différents temps de la journée au domicile d’avant (matin, midi, soir, coucher...). Les familles - et le résident - veulent souvent voir l’inï¬Ârmier pour "parler des médicaments " (ce qui maintient leur parent en vie, en capacités....). A partir des traitements médicamenteux, le contexte médical pourra être abordé : parler des pathologies marquantes et qui pourront avoir un impact sur l’accompagnement. Une entrée où personne ne se présenterait serait dramatique pour le résident et ses proches dans l’attente de ce moment de transition (sentiment d’abandon, de trahison).
Dès l'entrée de celui qui va devenir "résident", le moment de partage avec la famille est délicat car il permet l'expression des culpabilités, des susceptibilités, des peurs, des angoisses. L’entourage familial s’en remet aux soignants dans un mélange d'anxiété et de soulagement.
L’accompagnement au jour le jour...
Communiquer avec le résident et sa famille
Communiquer c’est montrer qu’on s’intéresse à cet autre, le résident, avec qui on partage une bonne partie du quotidien et faire participer la famille à propos des souvenirs, des histoires vécues est tout aussi déterminant. L’objectif de cette participation est de recréer du lien, animer les rencontres, permettre de répéter ce qui a été entendu plus tard quand les proches seront absents. Cela permet aussi de montrer l’intérêt des proches, de raviver la mémoire familiale. Celui qui reste dans leur mémoire et qui parfois oublie qui il a été peut avoir besoin de se rappeler à travers l’autre, d’authentiï¬Âer son vécu, se renarcissiser. Redonner de la valeur à l’histoire de vie, c’est redonner de la couleur à la personne, de l’estime de soi. Communiquer c’est parfois simplement être attentif à la présence de l’autre, sourire, avoir un mot pour chacun. Communiquer, c’est écouter et répondre aux questions, questionner, reformuler… en s’adaptant aux attentes.
Les attentes des familles et des soignants
Les attentes des familles
Elles sont dépendantes de l’implication dans la relation avec le résident (familles très ou pas du tout présentes).
 Cela peut être une demande d’information (avec accord du résident) concernant les visites médicales, les chutes, les hospitalisations, l’évolution de l’état de santé, les examens, les traitements non remboursés... Cela peut prendre la forme de nouvelles informelles quand tout va bien.
 Cela peut concerner une prise en soins personnalisée avec un plaisir à raconter l’histoire de vie, à partager des moments passés avec les soignants.
Cela peut être une communication à partir d’un manque concernant le respect de leur parent, une rapidité d’intervention auprès de lui.
Les attentes des soignants
Elles sont dépendantes des besoins personnels de chacun mais aussi de ceux de l’équipe dans son entier. Les priorités, la capacité d’engagement, les capacités psychiques et physiques sont des variables à prendre en considération. Une demande de respect de la part de la famille/du résident est fréquemment évoquée dans les équipes. Si elle est légitime la position du soignant reste professionnelle et le professionnel prend en compte l’aspect émotionnel et les besoins de maitrise des proches qui s’expriment parfois de façon abrupte. Une demande de temps à consacrer à chacun, car soigner prend du temps d’autant plus auprès de nos ainés qui ont eux aussi besoin de temps pour réaliser tous les actes de la vie quotidienne et pour communiquer. Un soignant privé de temps est un soignant frustré, stressé, puis souffrant, amputé de cette nécessaire relation à l’autre, développant des mécanismes de défense qui vont déshumaniser le soin (fuite, distanciation, technicité). Des conditions de travail optimales, du temps pour prendre du recul en équipe, faire une pause…
Communiquer avec le résident et sa famille
Communiquer c’est parfois simplement être attentif à la présence de l’autre, sourire, avoir un mot pour chacun. Communiquer c’est écouter et répondre aux questions, questionner, reformuler… en s’adaptant aux attentes. Communiquer c’est montrer qu’on s’intéresse à cet autre, le résident, avec qui on partage une bonne partie du quotidien et faire participer la famille à propos des souvenirs, des histoires vécues, des nouvelles de chacun. L’objectif de cette participation est de recréer du lien, animer les rencontres, permettre de répéter ce qui a été entendu, plus tard, quand les proches seront absents. Cela permet aussi de montrer l’intérêt des proches, de raviver la mémoire familiale. Celui qui reste dans leur mémoire et qui parfois oublie qui il a été peut avoir besoin de se rappeler à travers l’autre, d’authentiï¬Âer son vécu, se renarcissiser. Redonner de la valeur à l’histoire de vie c’est redonner de la couleur à la personne, de l’estime de soi.
MAIS… la prise en soins n’est pas toujours celle souhaitée...
Les conflits en sont l’expression avec la confrontation aux émotions . Qu’elle semble justiï¬Âée ou non, la colère s’exprime souvent face aux soignants. La conï¬Âance gagnée se perd bien vite. La prise en soins, c’est une mise en relation permanente, une persévérance de tous les jours. Faire verbaliser est un enjeu majeur pour éviter les débordements. Il est important pour les soignants de différencier colère, agressivité et manque de respect. Les soignants réagissent aux surcharges émotionnelles par divers mécanismes de défense: mensonge, banalisation, esquive, fausse réassurance, rationalisation, évitement, dérision, fuite en avant, identiï¬Âcation projective ("Stress et souffrance des soignants", Ruszniewski). A travers ces mécanismes de défense , on retient deux attitudes : l’attitude de distanciation et l’attitude contraire de fusion. Ainsi, les mécanismes de défense vont être en lien direct avec l’attitude soignante et son ajustement.
Comment apaiser les relations avec les familles : ce qu'il faut retenir
- aller plutôt au devant des proches pour maintenir la communication, même si parfois c’est accepter d’entendre les frustrations, les reproches, les mécontentements. Parce que non, la vie en EHPAD n’est décidément pas toujours parfaite ;
- se relayer au sein de l’équipe quand c’est difficile, d’où l’importance de pouvoir compter ponctuellement sur ses collègues. La capacité de recours à autrui est un mécanisme de défense de niveau adaptatif élevé ;
- désigner des personnes référentes pour maintenir une cohérence ;
- différer parfois un échange verbal en donnant un indicateur de temps et s’y tenir ;
- proposer une rencontre avec l’IDEC, le médecin coordonateur, la direction, en cas de mécontentement fort par rapport au fonctionnement de l’EHPAD (organisation, absences, incompréhension par rapport à la prise en charge médicale) ;
- faire intervenir un référent extérieur. Quand la médiation devient nécessaire , les liens de conï¬Âance rompus cela peut être une solution parfois transitoire ;
- quand la parole est nécessaire au sein de l’équipe, un intervenant extérieur peut être proposé pour constituer un groupe de paroles.
Charlotte Rodet, infirmière (en Ehpad pendant 7 ans).
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