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PORTRAIT / TEMOIGNAGE

Julien Digrégorio, un infirmier au secourisme chevillé au corps

Publié le 31/07/2023

Être infirmier en poste de secours est un exercice professionnel bien particulier. Tourné vers le secourisme depuis son adolescence, Julien Digrégorio l’a bien compris. Avant même d’obtenir son diplôme d’infirmier, il a co-fondé l’unité mobile de secours 31, une association agréée de sécurité civile en Haute-Garonne. Portrait.

Fondée en 2009, l'UMS 31 assure en moyenne 90 postes de secours chaque année

Manifestations sportives, concerts, fêtes locales, rassemblements de personnes… nombreuses sont les situations qui nécessitent la mise en place d’un poste de secours, où secouristes, mais aussi personnels médicaux et paramédicaux interviennent. Nous avons rencontré l’un d’entre eux, IDEL en région toulousaine, co-fondateur et vice-président d’une association de secourisme, où il exerce bénévolement.

En tant qu’infirmier, pourquoi avoir fait le choix d’exercer en poste de secours et qu’apportez-vous au staff ?

 

Lorsque j’étais adolescent, j’ai été formé au lycée aux gestes de premiers secours. Cette expérience m’a tout de suite plu et le virus ne m’a plus quitté. Dès que j’en ai eu la possibilité, j’ai exercé des missions de secouriste, et j’ai compris très tôt qu’une formation en soins infirmiers pourrait compléter utilement cet engagement. J’avais vu juste ; à ma diplomation en 2013, j’ai poursuivi mes missions en apportant un autre regard, plus professionnel et complémentaire de celui apporté par les équipiers. Le cas d’une fracture ouverte chez un joueur de rugby amateur lors d’un tournoi grand public est un bon exemple : mon rôle de paramédical est de prendre en charge la douleur de manière rapide grâce à l’administration d’antalgiques tels que la morphine, ce qui rend le patient moins agité, facilite ensuite l’action des secouristes et peut souvent éviter la mobilisation de moyens d’intervention plus lourds et plus coûteux. Parmi les 58 bénévoles de l’association – qui ont tous une autre casquette professionnelle – les médecins et les infirmiers en particulier sont formés à cela ; au sein de l’équipe d’ailleurs, nos réflexes « métier » peuvent engendrer quelques tensions en termes de positionnement des uns par rapport aux autres. Les secouristes, dont le niveau de qualification (PSE 1, PSE 2…) et le périmètre d’action sont moins étendus, se sentent parfois un peu délaissés, et surtout frustrés de ne pas aller au bout de leur prise en charge (prise de tension, mesure de la glycémie…).

L’activité est encadrée par de nombreux protocoles. Comment les avez-vous sélectionnés, rédigés et mis en œuvre ?

J’ai débuté leur rédaction alors que j’étais encore étudiant en soins infirmier, en 2012, car j’avais déjà le projet de développer une branche paramédicale au sein de l’association. Au départ, je me suis appuyé sur ce que j’avais observé au Service Départemental d'Incendie et de Secours (SDIS) et j’ai commencé par une liste de 5 protocoles, tous fondés sur des critères hémodynamiques, des scores, etc. Peu après en 2015, il m’a fallu structurer l’équipe ; j’ai recherché d’autres infirmiers (mes collègues sont issus de la réanimation, du bloc opératoire et des urgences) et des médecins pour rejoindre l’aventure. La construction a demandé un peu de temps car il fallait instaurer une véritable relation de confiance (notamment avec les médecins) pour bâtir des arbres décisionnels où l’infirmier assure lui-même l’inclusion ou l’exclusion des patients dans un protocole – qui n’est d’ailleurs pas appliqué en cas de doute ou qui laisse place à la régulation médicale si nécessaire. La dynamique s’est accélérée et nous avons étoffé la liste ; aujourd’hui, nous avons 34 protocoles (détresse respiratoire aiguë de l’adulte, brûlures graves de l’enfant de moins de 15 ans…), dont la plupart visent à traiter des situations d’urgence, parfois vitale. A contrario, certains d’entre eux présentent une probabilité tellement faible d’être utilisés (intoxication au monoxyde de carbone par exemple) que nous allons sans doute réduire le nombre de process actifs, en fondant nos choix sur des critères réalistes mais aussi économiques : la formation des intervenants et le maintien des stocks de certains médicaments par exemple ont un coût non-négligeable.

Le secourisme est fait d’imprévus, mais pourriez-vous décrire une journée-type au poste de secours ? L’une de vos interventions vous a-t-elle particulièrement marqué ?

Malgré les aléas, il y a des constantes en effet. Le matin, nous nous rejoignons au local ; avant de partir pour le poste de secours, nous vérifions notre matériel (ECG, scope…) que nous dimensionnons en fonction de l’événement, et surtout selon le nombre et le statut des membres du staff présents. Nous nous mettons en place et prévenons le SAMU de notre présence et de la composition de notre équipe. La grille de critères de mise en place d’un poste de secours est relativement complexe (nombre de personnes présentes au rassemblement, distance de l’hôpital le plus proche, obligations légales…) et donne lieu à un scoring. En moyenne, nous assurons environ 90 postes dans l’année, avec un pic d’activité entre mars et mi-juillet puis un second entre septembre et mi-octobre. Notre expérience de professionnels de terrain et notre latitude font que nous avons la possibilité d’ajouter en amont de l’événement un membre du staff (infirmier par exemple) pour faire face à la situation. D’avance, nous savons par exemple qu’un tournoi de rugby ou qu’un trail sont des situations associées à un risque élevé de traumatologie lourde ; et généralement, on ne se trompe pas. Parmi toutes les interventions que j’ai faites ces dix dernières années, une m’a particulièrement marqué. J’étais jeune diplômé, et la fête battait son plein près de la place du Capitole à Toulouse, à l’été 2014. Vers 3 heures du matin, je suis appelé pour secourir au bord de la Garonne une jeune fille de 16 ans, inconsciente, hypotendue et bradycarde à 30 … Je réalise qu’elle s’est noyée et qu’elle a été sortie de l’eau ; je retire 200 ml de vase de ses voies aériennes. Pendant près de 2 heures et sans les moyens médicaux, qui ne répondaient plus car déjà en intervention, j’ai dû gérer seul l’urgence vitale (gestes techniques, prise de décision…) que présentait cette jeune fille. Je ne l’ai plus jamais revue, mais je sais qu’elle est en vie.

Propos recueillis par Anne Perette-Ficaja
Directrice de la rédaction
anne.perette-ficaja@gpsante.fr
@aperette


Source : infirmiers.com