Une boucle sémantique. C’est en quelque sorte ce que l’on peut se dire lorsque l’on détaille l’appellation du métier "aide-soignant". Une aide d’une aide. La suppléance d’une suppléance. Or aujourd’hui, le 26 Novembre 2020, en cette Journée Internationale des aides-soignants, il n’est pas déraisonnable d’affirmer tout le contraire : l’aide-soignant n’est plus un seul renfort, il est devenu au fil des années un véritable pilier de notre système de santé !
Inscrit dans sa nature, l’humilité de la corporation aide-soignante aurait ainsi tort de faire oublier aux yeux du monde que les attributions remplies avec "soin" par cette population discrète ne sont définitivement plus besogne mais ouvrage. Aussi, elle doit porter la fierté, la faire connaître et affirmer haut et fort que la réalisation de ces derniers, dits "de base", l’est véritablement pour la richesse humaniste du "prendre soin". En effet, sans eux, pourrait-on encore reconnaître que l’objet du soin est l’Homme ou devrait-on admettre que l’Homme se mue en objet de soin. Par conséquent, à l’occasion de la Journée Internationale de l’Aide-Soignant (J.I.A.S), célébrée durant une période ô combien troublée pour les professionnels de santé, mais qui met en exergue l’évidente nécessité de faire demeurer l’humain au centre du dispositif du soin, posons cette question simple : un aide-soignant est-il toujours seulement une aide ou est-il un soignant à part entière ?
Assurément, les soins réalisés par l’aide-soignant ne traitent pas une maladie, ils "soignent" une personne en lui portant un regard attentionné, privilégié et individualisé. Ils permettent de rendre visible l’invisible, d’oublier l’indicible
Le soin de l’indicible
C’est un état de fait. Les soins réalisés par les AS sont, a priori, ceux de l’indicible, ceux de l’invisible. Dans une société qui prône des valeurs de beauté, du corps musclé, de la vitalité, les AS touchent véritablement du doigt une fausse cécité sociétale. En cela qu’ils touchent ce qu’il y a de plus intime, le corps. Celui-là même qui subit les affres du temps, de la maladie, des plaies, des douleurs, des odeurs.... Des situations où la santé nous fait défaut et dont l’individu en devient une incarnation à lui tout seul, comme si la vie était tout simplement réduire à cette minuscule partie visible de son être.
La maladie se fait Homme alors qu’en définitive l’Homme n’est pas que sa maladie. Ne dit-on pas par exemple que vous êtes un "cancéreux", un "sidéen", un "diabétique" ou un "handicapé" ? Ainsi, faisant fi de cela, le professionnel de santé A.S est véritablement celui qui déshabille "l’être". Il sait, mieux que quiconque, "mettre à nu". Il réalise quotidiennement de multiples "corps à corps" momentanés. Pour autant, ses soins ne se limitent pas qu’à la seule exécution d’un "acte", en perspective d’un état de santé ad hoc, que l’on pourrait évaluer devant les différents critères de qualité d’un soin. Rapide, hygiénique, économique, pertinent, sécuritaire. Non. Les soins aides-soignants sont bien plus que cela. Ils prennent tout leur sens dans les émanations liquoreuses de l’eau de Cologne en EHPAD, celles qui font dire à l’AS qui se saisit de la précieuse vieille bouteille ambrée, attention, ça va être froid !
Ils investissent l’humain en tant qu’être lorsque l’AS discute de tout et surtout de rien avec un patient mutique, il va faire beau aujourd’hui !
. Ils revêtent une importance fondamentale lorsque l’AS s’évertue à "rafraîchir", tant bien que mal, une personne en fin de vie, avant qu’elle ne reçoive la visite de ses enfants.
Par conséquent, les soins offerts par l’AS permettent une chose : vaincre avec puissance l’indicible. En effet, le professionnel de santé AS inscrit concrètement son action de soin dans une perspective humaniste qui permet de dépasser le cadre objectif d’une pathologie pour se saisir du contexte subjectif, individuel. Assurément, les soins réalisés par l’AS ne traitent pas une maladie, ils "soignent" une personne en lui portant un regard attentionné, privilégié et individualisé. Ils permettent de rendre visible l’invisible, d’oublier l’indicible. La pathologie passe alors au second plan. L’humain en premier. Sitôt dit, le "cancéreux" de la chambre 125, qui interpelle sans arrêt, redevient, Alexandre, 30 ans, qui n’arrive plus à ouvrir le flacon de sa mauvaise eau de toilette avec laquelle il étouffe toute sa chambre, mais qui est l’odeur préférée de sa fiancée. La "démente" du 3ème étage, médicamentée à foison, qui déambule et hurle toutes les nuits dans les couloirs à la recherche d’on ne sait quoi, se mue à nouveau en Madame Josette, ancienne A.S.H qui s’apaise en triant simplement un sac rempli de chiffonnettes entre 2 et 3 heures du matin…
Il est urgent de donner ses lettres de noblesse à la fonction d’aide-soignant pour toutes ses raisons qui ne feront que mettre en valeur leurs activités et renforcer leur attractivité
Soigner en toute noblesse
Vous pourriez tout à fait penser que l’on enfonce des portes grandes ouvertes du soin en répétant ce que tout le monde sait déjà à propos du métier AS. De sa beauté, de son importance, de sa valeur. Pourtant, il n’en est rien. Elles sont bien closes et n’ouvrent pas ces perspectives. Sinon, le métier AS ne souffrirait pas d’un mal bien connu, le manque d’attractivité, dans la mesure où, qui veut de nos jours remplir des tâches annexes aux soins, qui plus est étiquetée "ingrate", tout en ayant la sensation de demeurer dans l’ombre professionnelle, médiatique, politique et institutionnelle ? Or, la démonstration vous a démontré le contraire. Le métier AS ce n’est pas cela. Ce contexte sanitaire nous le prouve bien plus encore de façon quotidienne . Il assure un point d’ancrage essentiel à tous les parcours de soin. Il en assure la stabilité, au chevet du patient, en collaboration avec l’infirmier(e) et en toute transversalité de compétences avec d’autres professionnels de la santé.
De fait, il apparaît que l’AS n’est plus seulement l’aide d’une aide. Il est un soignant à part entière qui bénéficie d’une expertise conséquente et de valeur, soit, d’un rôle qui lui est propre. Le métier AS est en crise pour plusieurs raisons. La valorisation de la fonction en est une. C’est même la plus importante, considérant qu’elle peut susciter l’intérêt vers cet engagement professionnel qui n’est pas tout à fait comme les autres. Elle est l’affaire de tous, y compris de la communauté AS, elle-même, qui doit réhabiliter son image, sortir de l’ombre, faire-valoir sa place en participant, par exemple, à des travaux de recherche en sciences infirmières, en qualité de collaborateur direct des IDE, exerçant une partie de leur rôle propre.
En conclusion, le métier AS est de plus en plus fragilisé. Il est un colosse soignant aux pieds d’argile qui commence à s’effriter. A son tour d’être aidé. Il est urgent de donner ses lettres de noblesse à la fonction d’aide-soignant pour toutes ses raisons qui ne feront que mettre en valeur leurs activités et renforcer leur attractivité. Avant que celui-ci ne s’écroule, attardons-nous à en renforcer les fondations plutôt que de poser un maigre emplâtre supplémentaire. Au risque sinon, un jour, de se demander tristement : hormis ceux qu’on prétendait former en quinze jours,
reste-t-il un AS pour soigner ?
Alexis Bataille
Etudiant en soins infirmiers (2019-2022)
Aide-soignant
@AlexisBatll
Alexis Bataille est un contributeur régulier du site Infirmiers.com et apprécié par la communauté soignante pour la qualité de son engagement professionnel, de ses prises de position et autres analyses courageuses, ambitieuyses autant que légitimes. En 2019, il publiait un ouvrage intitulé "Sur les pas d'un aide soignant ?. Dans les couloirs de l'hôpital " sur Librinova puis, aux Editions City, un nouveau livre intitulé "Vous avez mal où ?" : chroniques d'un aide-soignant à l'hôpital . Plus récemment, il proposait aux Editions Vuibert, Le "Guide de survie" de l'aide soignant. 100 questions/réponses sur le métier et la pratique . En 2017, Alexis était "l'égérie" de la Journée internationale des aides-soignants .
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