Les infirmiers français en pratique avancée (IPA) ne sont pas les seuls à s’interroger sur les facteurs favorisant une bonne collaboration avec les autres professionnels de santé. Et en particulier les médecins, souvent réfractaires face à cette façon d’exercer les soins infirmiers. La question est visiblement universelle. Preuve en est : lors de son congrès*, le Secrétariat international des infirmières et infirmiers de l'espace francophone (SIDIIEF) y consacrait tout un panel, avec la volonté de dégager un certain nombre de pistes.
Des résistances toujours bien ancrées
Ces résistances trouvent leur origine dans le fait que les médecins se sentiraient « menacés » dès lors qu’un autre professionnel de santé intervient en mobilisant des prérogatives différentes des leurs, faisant peser « une certaine rivalité » dans les relations, relève Odette Mwamba-Banza, ancienne directrice des soins au sein de la clinique Ngamelia à Kinshasa (République Démocratique du Congo) et députée nationale. De fait, note-t-elle, la manière d’aborder les patients « de l’infirmier et du médecin est différente », le premier gagnant plus « facilement leur sympathie et leur confiance » quand l’autre se positionne sur des sujets dont le cœur est purement médical (diagnostic, traitement à donner). Pour autant, lorsqu’elle est bien formalisée et intégrée, la collaboration entre médecin et infirmier en pratique avancée s’avère bénéfique non seulement pour le malade mais aussi pour les professionnels eux-mêmes.
Chaque professionnel dans son champ de compétence
Pour parvenir à une collaboration fructueuse, deux facteurs sont essentiels. Le premier est un principe évident, auquel les IPA français se confrontent quotidiennement dans un contexte de flou dans la définition de leurs missions : « il faut connaitre les champs de chaque professionnel » afin de maximiser l’apport de tous dans la prise en charge des patients, défend John Joanisse, médecin à l’hôpital Monfort et chercheur et clinicien à Institut du Savoir Montfort. Pour cela, doit exister « une communication étroite bidirectionnelle » entre le médecin et l’infirmier « en amont de l’arrivée des patients. » À cette condition sine qua non, s’en ajoute une autre : savoir connaître ses propres limites en tant que professionnel de santé. « On ne peut pas parler de collaboration lorsqu’on se surestime », tranche Odette Mwamba-Banza. En découle un troisième principe majeur : « permettre à chaque professionnel d’appliquer son étendue de pratique et les responsabilités qui vont avec », insiste Odette Doyon, infirmière et formatrice émérite du département des sciences infirmières de l’université du Québec à Trois-Rivières.
Collaboration ne veut pas dire substitution
Une fois ces bases posées, prévient toutefois Andrea Serena, infirmier praticien spécialisé (IPS) en exercice au centre hospitalier universitaire vaudois (Suisse), la relation doit se construire en maintenant un équilibre délicat entre la nécessité d’une collaboration qui ne repose pas sur un lien hiérarchique et celle de ne pas céder à la tentation d’une substitution de l’infirmier au médecin. Un rappel qui prend tout son sens dans un contexte qui voit certains milieux, notamment politiques, séduits par l’idée de pallier la crise des déserts médicaux par la multiplication des professionnels paramédicaux spécialisés. Il est là encore question des compétences respectives de chacun. L’IPS souligne ainsi l’importance pour les infirmiers de prouver « qu’ils sont capables de faire » ce qu’ils disent avoir la capacité de faire afin de motiver la confiance des professionnels médicaux.
Enfin, si la question de la collaboration se pose avec les médecins, elle se pose également entre infirmiers. D’autant plus que l’arrivée d’une nouvelle « infirmière spécialisée » dans un service peut être vécue comme « une menace » pour les autres, souligne Odette Mwamba-Banza. Les infirmiers en pratique avancée doivent pouvoir être au contraire « des mentors » pour aider leurs collègues à progresser.
La pratique avancée regroupe deux fonctions distinctes, avec leurs champs d’intervention spécifiques : l’infirmier clinicien de pratique avancée et l’infirmier praticien. Selon la définition du SIDIIEF, l’infirmier clinicien entre en jeu dans le suivi des cas complexes en contexte uni ou pluri-disciplinaire. Il exerce un rôle-conseil auprès de l’équipe infirmière et oeuvre à l'amélioration de la qualité et de la continuité des soins. L’infirmier praticien, lui, offre des soins spécialisés complexes. Il cumule compétences infirmières et médicales, acquises après une formation universitaire médicale complémentaire. En plus de son activité professionnelle infirmière, il mobilise également le champ de la pratique de la médecine de manière autonome et partagée.
Plus de visibilité pour la pratique avancée
Parmi les autres clés utiles à une bonne collaboration, les intervenants citent notamment l’investissement dans la recherche clinique, le besoin de continuer à se former tout au long de son exercice ou encore le respect d’une rigueur absolue dans la pratique. Enfin, il s’agit de rendre la pratique avancée plus visible, en défendant notamment la mise en place de structures institutionnalisées de validation des acquis favorisant l’évolution de carrière d’infirmiers exerçant depuis plusieurs années dans un domaine. Reste également à prouver avec des données probantes et adaptées la plus-value de la pratique infirmière avancée : « Il est temps d’en éclairer les résultats avec des indicateurs plus complexes que ceux appliqués dans la pratique médicale », soutient Odette Doyon. « Nous sommes face à un déficit méthodologique pour éclairer l’apport de la pratique dans la prise en charge des patients. […]. Nos indicateurs doivent être le reflet de ce que l’on fait pour que notre pratique soit reconnue. »
*Qui s’est tenu du 16 au 19 octobre 2022 à Ottawa.
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