AU COEUR DU METIER

Infirmier(e) de pratique avancée : de quoi parle-t-on ?

Publié le 17/01/2014

Les réalités du contexte sanitaire aux niveaux international et national sont bien identifiées et nécessitent des transformations majeures des modèles professionnels. Les infirmier(e)s sont bien évidemment concerné(e)s et s'impliquent d'ores et déjà dans de nouveaux modèles qui s'appuient sur de nouvelles formations. Marisol Touraine les a elle-même évoquées lors du Salon infirmier 2013 : les infirmier(s) de pratique avancée, quelque 80 aujourd'hui en France, sont sans aucun doute un des leviers de changement pour améliorer la qualité des soins… Explications.

Un peu plus de leadership aiderait à asseoir la place des infirmières de pratiques avancées.

Pratique avancée, collaboration, coopération, infirmière clinicienne, nouveaux métiers, délégation de tâches… Beaucoup de mots sont utilisés pour tenter de répondre à un nouveau défi sanitaire : faire mieux avec moins de médecins, moins d’argent, plus de malades, plus de complexité des besoins en santé, des exigences de qualité, d’égalité d’accès aux soins et de transparence… Seulement de quoi parle-t-on exactement ? Il est donc nécessaire de clarifier ce concept de pratique avancée pour l’adapter au paysage sanitaire français.

La profession infirmière

La France est entrée dans le processus Licence-Master-Doctorat (LMD) en 2009 ce qui a permis de créer une filière universitaire dédiée aux sciences infirmières. La formation initiale permet l’obtention  d’un diplôme professionnel d’exercice (délivré par le Ministère de la santé) et d’un grade universitaire Licence (délivré par le Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche)1.

Le grade Licence du diplôme infirmier ouvre la perspective d’une spécialisation (IBODE, IPDE, IADE, CDS) , de l’actualisation des connaissances par des formations spécifiques courtes (diabète, cicatrisation, douleur, …), longues (obtention de certificats en consultation infirmière, clinicienne, éducation thérapeutique, stomathérapeute, hygiéniste, …), universitaires (DU, DIU, CEU…) ou diplômantes (cadre de santé formateur ou management).

L'infirmière peut, par ailleurs, intégrer une filière Master, sur 2 ans , ouverte à diverses professions de santé (sciences humaines, management, santé publique, éducation…) ou réservée aux infirmier(e)s : un Master en Sciences Infirmières (MSI) . Ce dernier permet à l’infirmière d’exercer dans le champ de la Pratique Avancée (IPA). A noter que les trois spécialités IBODE, IPDE et CDS sont toujours en négociation pour obtenir une passerelle vers le grade master. Quant au doctorat, il est accessible aux infirmier(e)s titulaires d’un master, mais les écoles doctorales ne proposent que des disciplines connexes (santé publique, épistémologie, sciences de l’éducation,…), pas encore les sciences infirmières.

Contexte de la pratique avancée

C’est aux Etats-Unis et au Canada, vers les années 60, que les premiers IPA ont émergé, en réponse à un besoin de santé croissant de la population et à la désertification médicale des  grands territoires. D’autres pays leur ont emboîté le pas et une étude très fournie a été publiée par l’OCDE en 2010 sur ce sujet2. En France, le rapport Berland s’est intéressé aux transferts de tâches et compétences dès 20033. Puis la notion de métier intermédiaire a été introduite, dans un nouveau rapport en 20114

Au regard de l’évolution épidémiologique, démographique et économique, il devient nécessaire de promouvoir à partir des métiers socles de nouveaux métiers dans le champ de la santé, situés entre le bac+8 du médecin et le bac+3/4 des paramédicaux (IDE, kinés, Manip radio…). En Mars 2012, la Fédération Hospitalière de France a pris position dans ce sens5. Les IPA sont un de ces nouveaux métiers pressentis.

Le Master en sciences infirmières (MSI) vise à développer l’expertise infirmière, selon une pratique avancée par rapport à la pratique habituelle, ou avancée sur son temps ... Ce cursus permet d’acquérir des compétences supplémentaires dans les domaines des fondamentaux en sciences infirmières, en pratique clinique, en gestion en santé publique, en recherche en soins infirmiers, en éducation thérapeutique, etc.

Le Master en sciences infirmières (MSI) vise à développer l’expertise infirmière, selon une « pratique avancée » par rapport à la pratique habituelle, ou « avancée » sur son temps…

La pratique avancée en soins infirmiers

Selon la définition consensuelle du Conseil International des Infirmiers adoptée en 2008 : Une infirmière de pratique avancée est une infirmière diplômée d’État ou certifiée qui a acquis les connaissances théoriques, le savoir-faire nécessaire aux prises de décisions complexes, de même que les compétences cliniques indispensables à la pratique avancée de son métier, pratique avancée dont les caractéristiques sont déterminées par le contexte dans lequel l’infirmière sera autorisée à exercer. Un master est recommandé comme diplôme d’entrée.

La pratique avancée en soins infirmiers est centrée de manière privilégiée sur le domaine de la pratique clinique, elle se distingue des pratiques habituelles et s’inscrit dans la discipline infirmière dont elle partage les valeurs, les cadres de référence et le cœur de métier. Cette notion est importante car le métier socle reste celui d’infirmier.

Généralement, on distingue deux fonctions infirmières sous le terme faîtière d’IPA : l’infirmière praticienne et l’infirmière spécialiste clinique. Les domaines approfondis de la praticienne sont la cancérologie, la gérontologie, les maladies chroniques et la dépendance, la santé mentale. La spécialiste clinique se situe plus sur la coordination du parcours complexe, et participe à la démarche qualité.

Les compétences attendues

La notion de pratique avancée est modélisée au niveau international. AnnB Hamric6 définit ainsi  les caractéristiques d’une IPA :

  • les critères primaires sont les soins centrés sur le patient7 et sa famille et un grade Master est recommandé ;
  • la compétence centrale est la pratique clinique ;
  • les compétences essentielles sont la consultation, le travail en collaboration, le leadership, l’enseignement, la pratique fondée sur des preuves (recherche), la participation à des comités d’éthique ;
  • l’influence de l’environnement social, politique, économique et technique est à prendre en compte. Une bonne connaissance du contexte en matière de santé publique et une veille documentaire sont  indispensables.

Pour résumer, les missions des infirmières (dispensation de soins, promotion de la santé, tutorat, prévention...) s’appliquent quel que soit le niveau de formation/compétence. La différence se fera dans les niveaux d’intervention, la complexité des situations gérées, l’autonomie et la responsabilité (IDE généraliste vs IPA).

Parmi les caractéristiques de l'IPA : les critères primaires sont les soins centrés sur le patient (7) et sa famille et un grade Master est recommandé.

Quels enjeux ?

Les enjeux sont multiples et à plusieurs niveaux :

  • pour les patients, c’est l’amélioration de l’accessibilité aux soins de proximité, un parcours de soin personnalisé, la sécurisation du maintien au domicile ;
  • pour les infirmiers, c’est l’attractivité de la profession et la fidélisation par des perspectives de carrières. Le leadership dans les équipes et l’harmonisation des pratiques permettront une montée en compétences de la profession ;
  • pour les médecins, l’IPA permettra un meilleur maillage du territoire, une récupération de temps médical  pour les situations les plus complexes et le confort d’un travail en multidisciplinaire ;
  • pour la société, c’est une valorisation du champ de la santé publique, la diminution du temps hospitalier, une maîtrise des dépenses de santé par l’aide au développement de certaines activités (chirurgie ambulatoire, chemins cliniques).

Quels obstacles

Actuellement le manque de reconnaissance en termes de diplômes, de postes dédiés, de rémunération et la méconnaissance du rôle de l’IPA entraînent des difficultés de positionnement au sein d’une équipe. De plus, le corps médical peut craindre de perdre un certain monopole.

La clarification du concept de pratique avancée est péjoré par la confusion qui existe entre les titres, les spécialisations, les diplômes universitaires ou certificats d’organismes privés, les protocoles de coopérations, les diverses formations maisons.

A titre individuel, la reprise d’études a un impact sur la fatigue, les finances (surtout pour les libéraux), la vie privée, l’exercice professionnel. De plus, il y a seulement deux sites en France qui proposent cette formation, et les temps de stage sont difficiles à insérer dans un planning professionnel.

Grâce à cette formation, le regard sur sa propre pratique est modifié, la remise en question est permanente et il devient nécessaire d’adapter son cadre de travail à ce nouveau paradigme. Cependant, un des principaux freins reste le manque de lobbying infirmier en France.

Perspectives/réinvestissements ?

Dans le champ de la clinique, l’IPA gèrera des situations complexes et spécialisées, avec possibilités de prescription ou d’interprétation d’examens de dépistage… En consultation/conseil, il encadrera ses pairs, conseillera patients et entourage et collaborera avec les différents intervenants.

Le leadership lui permettra de représenter les patients et d’identifier les besoins en formation des professionnels de santé. Il est personne ressource pour les soins et la promotion de la santé. Une mission d’enseignement en IFSI ou en Université (master ou doctorat) est attendue.

Le pilotage et l’animation de travaux de recherche, avec application des résultats à la pratique et l’innovation sont dans ses missions, ainsi que la publication d’articles scientifiques.

Les IPA exerceront au sein de projets d’équipes dans les établissements sanitaires ou médico sociaux, les  réseaux de santé, ONG, HAD… Ils participeront à la démarche qualité, et à l’élaboration et mise en œuvre de programmes d’éducation thérapeutique du patient (ETP).

Pour les soins de ville, on les retrouvera dans le suivi de maladies chroniques, la création de consultations, les évaluations gériatriques, la surveillance de chimio orales ou  de suite de radiothérapie,  des missions de coordination de parcours de soins complexes ou d’autres actes délégués, ou dans l’élaboration de protocoles de coopération.

Cependant, un des principaux freins au développement des IPA reste le manque de lobbying infirmier en France.

Une association à venir ?

A ce jour, les IPA de France (environ 80) se regroupent et rejoignent le REseau de Pratique Avancée en Soins Infirmiers (REPASI) de l’ANFIIDE (8) l’association faîtière des infirmiers, qui dispose des mandats nationaux et internationaux, dans un esprit de fédération de la profession.

Les missions du REPASI seront de contribuer à la santé de la population en développant des stratégies pour faciliter le parcours du patient, promouvoir le leadership infirmier quel que soit le type d'exercice, encourager et favoriser la formation professionnelle continue, contribuer au développement de la discipline infirmière en tant que science  et se positionner au cœur du système de santé dans une recherche d’efficience.

Pour ne pas conclure...

La pratique avancée n’est pas une fin en soi, mais un levier de changement pour améliorer la qualité des soins… 9. Tel un chef d’orchestre, l’IPA va mobiliser l’expertise de chacun des acteurs du parcours de soins pour créer une synergie positive, visant à  améliorer la qualité et sécurité des soins prodigués. Cependant, ce système ne peut fonctionner que s’il y a une véritable reconnaissance en termes de diplômes, d’emplois et de rémunération, ce qui implique une révision du cadre d’emploi au niveau national.

Ce texte est issu d'une présentation faite par l'auteur lors du Séminaire européen du Sidiief le 6 décembre 2013, à Marseille et dont la thématique générale était la suivante : « Evolution de la formation infirmière : quels défis pour les milieux cliniques ».

Notes

  1. Circulaire interministerielle - Délivrance du grade de licence aux infirmiers diplômés d’Etat.
  2. Delamaire, M. et G. Lafortune. « Les pratiques infirmières avancées : Une description et évaluation des expériences dans 12 pays développés ». 2010.
  3. Berland.Y. Coopération des professions de santé : le transfert de taches et de compétences. 2003.
  4. Hénard. L, Berland.Y, Cadet.D. Rapport relatif aux métiers en santé de niveau intermédiaire, 2011.
  5. Fédération hospitalière de France- Propositions pour la mise en œuvre des recommandations du « rapport relatif aux métiers en santé de niveau intermédiaire » - mars 2012 - « Un métier intermédiaire représente une évolution dans l’éventail des métiers qu’offre une profession ». 
  6. Hamric and al. Advanced Practice Nursing, 5th Edition- An Integrative Approach- 2013
  7. Notion de « heal » : soigner et non guérir. Le patient est sujet de sa restauration.
  8. ANFIIDE : association nationale française des infirmiers et infirmières diplômé(e)s et étudiant(e)s.
  9. ARS Ile de France - Infirmière clinicienne spécialisée : éléments de cadrage pour les missions, la formation et l’emploi – novembre 2013

Florence AMBROSINOIPA en coordination de parcours complexe de soins IDEL et IDEC au RSP ILHUP fambrosino13@gmail.com


Source : infirmiers.com