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PSYCHIATRIE

Philippe Pinel, fondateur de la psychiatrie "par amour de l’humanité"

Publié le 22/12/2022

Des penseurs de la Renaissance (Michel de Montaigne, Blaise Pascal, Fénelon…) désirent que la société porte un nouveau regard sur les malades mentaux. Willis, Thomas Sydenham et bien d’autres sont les premiers à considérer les déments comme des patients dont l’état justifie un suivi médical ; ils s’interrogent sur les rapports éventuels entre maladie mentale et structure du système nerveux. Philippe Pinel devient un peu plus tard le père de la psychiatrie française.

Traitements empiriques et zoos humains

Après avoir été brûlés vifs pendant des décennies, ces malades sont soumis à divers traitements empiriques : se référant à la théorie hippocratique, Thomas Sydenham propose saignées et purges pour l’évacuation des humeurs de la folie ; d’autres suggèrent un dérivatif en leur inoculant une maladie comme la gale ou l’administration d’un élixir au vitriol afin de "dissoudre le mal" ; certains préconisent l’immersion, d’autres les voyages pour apaiser leur esprit.
Progressivement, ils sont enfermés au milieu d’une population disparate de criminels et de condamnés. Ces derniers, appelés par de nouvelles activités économiques réclamant une main d’œuvre bon marché, libèrent l’espace d’internement réservé dorénavant aux seuls aliénés. Leur sort ne s’améliore pas pour autant. Les dimanches, Bicêtre, Charenton et autres hôpitaux généraux prennent des allures de zoos humains : des bourgeois viennent s’y distraire par l’observation de leurs congénères derrière des barreaux.

Philippe Pinel libère des fers les aliénés

 

Philippe Pinel, fils d’un médecin de campagne, est reçu docteur en médecine à la faculté de Toulouse en 1773. Après avoir perfectionné ses connaissances, il s’intéresse aux maladies mentales en 1783. C’est le suicide d’un ami proche, atteint d’un accès de manie aiguë, qui décidera de sa carrière. Pendant cinq ans, il se consacre à l’étude du traitement des états maniaques, analyse les ouvrages des Anciens, observe des cas cliniques à la maison de santé Belhomme. Il réunit ses observations dans son Traité médico-philosophique sur la maladie mentale ou la manie, apprécié par la plupart de ses confrères, et réclame l’application d’une méthode "analogue à celle des autres sciences physiques" pour la médecine mentale. En août 1793, sous la direction de Cabanis, Cousin et Thouret, le gouvernement révolutionnaire réforme les hôpitaux de Paris. Philippe Pinel est nommé chef du Service des aliénés de l’hôpital de Bicêtre ; l’occasion de manifester son esprit humaniste imprégné de la philosophie du siècle des Lumières : ce sont des âmes ardentes, fières et sensibles, et cependant ces mêmes individus, qui devraient attirer sur eux un intérêt tout particulier, ces infortunés qui éprouvent les plus redoutables des misères humaines sont plus maltraités que des criminels et réduits à une condition pire que celle des animaux. (…) Je les ai vus nus, couverts de haillons, n’ayant que la paille pour se garantir de la froide humidité du pavé sur lequel ils sont étendus. Je les ai vus grossièrement nourris, privés d’air pour respirer, d’eau pour étancher leur soif, et des choses les plus nécessaires à la vie ; je les ai vus livrés à de véritables geôliers [des gardiens recrutés parmi les condamnés] abandonnés à leur brutale surveillance ; je les ai vus dans des réduits étroits, sales, infects, sans air, sans lumière, enchaînés dans des antres où l’on craindrait d’enfermer des bêtes féroces que le luxe des gouvernements entretient dans les capitales (Esquirol).

J’ai la conviction qu’ils sont intraitables parce qu’on les prive de liberté

Philippe Pinel décide de mettre fin à ce scandale. Il avait longuement échangé avec Jean-Baptiste Pussin, ancien patient devenu surveillant, qui consignait précisément ses observations dans des carnets. Très attentif au bien-être des malades, il n’hésitait pas à les détacher de leurs chaînes lorsqu’ils étaient trop furieux. S’inspirant de son mode de prise en charge, Philippe Pinel choisit pour leur traitement la bienveillance et la fermeté toujours tempérée par la patience. Il réclame à Couthon, président de la Commune, la libération des aliénés de leurs chaînes : j’ai la certitude que ces malheureux sont aussi violents et aussi insensés parce qu’ils sont enchaînés, et j’ai la conviction que, lorsqu’ils ne le seront plus, ils se calmeront et redeviendront peut-être raisonnables. (…) J’ai la conviction qu’ils sont intraitables parce qu’on les prive de liberté. Avec un grand scepticisme, Couthon acquiesce. À titre d’essai, une douzaine de déments, les mêmes aliénés qui, réduits aux chaînes pendant une longue suite d’années, étaient restés dans un état constant de fureur, sont libérés. Se redressant sur leurs membres inférieurs, ils sortent de leur cachot en direction de la lumière, redécouvrant quiétude et bienveillance. Ils se promenaient ensuite tranquillement avec un simple gilet de force et s’entretenaient avec tout le monde, alors qu’auparavant on ne pouvait pas en approcher sans les plus grands dangers.

Vers une école de la psychiatrie

Cette mesure est généralisée à l’ensemble des pensionnaires de l’établissement… puis en Europe. A une époque où les médicaments psychotropes sont des extraits végétaux aux propriétés sédatives modérées, Pussin suggère à Pinel d’humaniser le destin des patients. Donnant priorité  à un mode de vie sain, ils améliorent leur hygiène et leur alimentation. S’attachant à établir un réel climat de confiance entre les soignants et les soignés, ils accordent un grand intérêt aux qualités morales du personnel. Le 13 mai 1795, Philippe Pinel prend la direction d’un service de la Salpêtrière. A sa demande, Jean-Baptiste Pussin l’y suivra en 1802 après avoir bataillé avec leur hiérarchie. Les patientes, plus de six cents aliénées, entassées sans ordre, et livrées à la rapacité et à l’inertie des subalternes, ne présentaient que l’image du désordre et de la confusion. L’ordre une fois rétabli, ce sera maintenant à la médecine à compléter l’ouvrage et à recueillir, non seulement les connaissances les plus précieuses sur les diverses espèces d’aliénation mentale, mais encore à rechercher toute l’étendue et les limites réciproques du traitement moral et physique, en faisant appel principalement à la raison, la sensibilité et la persuasion.

Traiter les aliénés non par la haine et la peur

À partir de ses observations, Philippe Pinel fonde les bases de la première école de psychiatrie. Dans "La nosographie philosophique" (1798), il tente de classer avec cohérence les pathologies mentales ; les classifications sont absolument nécessaires pour secourir la mémoire et pour mettre de l’ordre dans les opérations de l’esprit. Dans "Recherches et observations sur le traitement des aliénés" (1802), il expose sa doctrine de l’art nouveau de traiter les aliénés non par la haine et la peur mais par un amour de l’humanité assez grand pour inspirer le courage de vaincre la routine et la peur. Sa pratique médicale introduira l’esprit de la Révolution française dans le traitement des aliénés en considérant les malades mentaux sur un pied d’égalité, avec une âme de fraternité. De nos jours, le décret n° 2021-537 du 30 avril 2021 encadre les mesures d’isolement et de contention. Elles concernent les patients hospitalisés sans consentement sur décision motivée du psychiatre. Leur mise en œuvre doit être adaptée, nécessaire et proportionnée au risque après évaluation du patient. Leur surveillance doit être tracée dans le dossier médical. Leur durée et renouvellement sont limités.

À la conquête de l’univers mental

En France, avec Philippe Pinel et Jean-Étienne Esquirol, débute un mouvement de recherche à la base de la psychanalyse d’aujourd’hui :

  • Description clinique des syndromes mentaux : manie1 (Pinel), mélancolie2 (Esquirol), folie à double forme (Baillarger) devenue psychose maniaco-dépressive3 (Kraeplin), hallucinations et délires hallucinatoires4 (Lasègue et Arnaud), délires d’interprétation5 (Sérieux/Capgras), délires oniriques (de Regis)
  • Description des maladies mentales d’origine organique et cérébrale : aplasie6 (Broca), aphasie7 (Wernicke), rôle de l’hémisphère gauche dans le langage (Dax). Découvertes : apraxie8 (Lippman), alexie9 (Charcot), amusie10 (Dupré/Nathan, Souques/Baruk), l’acalculie11, troubles spécialisés par lésions localisées du cerveau, troubles consécutifs aux tumeurs cérébrales (Shuster, Dupré, Baruk), aux lésions vasculaires du cerveau et à la sénilité. Théorie de l’hérédité-dégénérescence12 (Morel/Magnan)
  • Mise à jour des causes toxiques : analogie du rêve et de la folie et rôle des causes toxiques du haschich en psychiatrie (Moreau de Tours)
     

Notes

        1. État psychotique aigu caractérisé par l’excitation verbale, motrice et idéatoire, l’euphorie, des idées délirantes
        2. Dépression profonde de l’humeur
        3. Maladie mentale caractérisée par des accès de mélancolie ou de manie se succédant de façon irrégulière pendant toute l’existence avec des intervalles de retour à la normale
        4. Toute maladie mentale aiguë ou chronique comportant des hallucinations
        5. Système délirant rigoureux fondé sur des interprétations qui s’étendent en réseau et englobent progressivement toute la réalité que le sujet déchiffre en fonction de son délire
        6. Arrêt ou insuffisance du développement d’un tissu ou d’un organe
        7. Trouble ou perte de la capacité de parler ou de comprendre le langage parlé ou écrit par lésions des centres nerveux cérébraux correspondants
        8. Incapacité d’effectuer des mouvements volontaires adaptés à un but, alors que les fonctions motrices et sensorielles sont normales
        9. Autre nom de la cécité verbale
        10. Perte de la capacité de chanter ou de reconnaître une musique
        11. Perte de la capacité à reconnaitre ou à utiliser les chiffres, les symboles arithmétiques et d’effectuer les opérations arithmétiques simples comme l’addition ou la soustraction
        12. Reposant sur une lésion anatomique précoce entraînant une dissociation entre centres psychiques et moteurs

Isabelle Levy, conférencière - consultante spécialisée en cultures et croyances face à la santé, elle est l’auteur de nombreux ouvrages autour de cette thématique. @LEVYIsabelle2

 

Source : infirmiers.com