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AU COEUR DU METIER

Florence Nightingale - La formation des infirmières (7)

Publié le 08/02/2016

Florence Nightingale, née le 12 mai 1820 à Florence, morte le 13 août 1910 à Londres, est une infirmière britannique, pionnière des soins infirmiers modernes et de l'utilisation des statistiques dans le domaine de la santé. Alex Attewell en dresse le portrait au travers de différents articles. Celui-ci aborde la formation des infirmières.

Source : commons.wikimedia.org - Florence Nigthingale et Sir H. Verney, Claydon House.

Au Royaume-Uni, l’idée qu’il fallait former les infirmières n’était plus entièrement nouvelle au milieu du XIXe siècle. Avant la guerre de Crimée, on avait assisté à une renaissance des congrégations religieuses vouées au service des malades, qui produisaient de nombreuses infirmières compétentes et vertueuses en opposition totale avec le stéréotype de l’infirmière, ignorante et souvent ivre, popularisé par Charles Dickens. Un certain nombre d’établissements de formation avaient été fondés au Royaume-Uni dans les années 1830 et 1840 après que de nouvelles libertés religieuses eurent été octroyées. St. John’s House, communauté anglicane créée en 1848, dispensait une formation de trois mois à des femmes à qui on apprenait à soigner les pauvres et les malades à domicile. Six infirmières de St. John’s accompagnèrent Florence Nightingale en Crimée mais, bien qu’elle eût noué des relations d’amitié étroites avec Mary Jones, directrice de St. John’s House, et la révérende mère Clare Moore, supérieure du couvent de la Miséricorde à Bermondsey, deux établissements qui envoyèrent aussi des infirmières en Crimée, elle tint à ce qu’on formât des infirmières laïques. Lorsqu’elle travailla à la conception d’un programme de formation, elle eut conscience de l’opposition que cela pouvait susciter. Durant la guerre de Crimée, les tentatives de conversion de soldats sur leur lit de mort, dont certaines infirmières avaient été accusées par la presse, avaient failli faire avorter sa mission. C’est sans doute notamment parce qu’elle craignait de telles controverses qu’elle choisit la formation laïque.

La réforme des soins infirmiers à l’hôpital suscitait déjà une vigoureuse opposition. En 1856, John Flint South, chirurgien au St. Thomas’ Hospital, à Londres, fit savoir que, selon lui, les infirmières n’avaient pas besoin de plus de qualifications que les femmes de chambre. Cela n’empêcha pas Florence Nightingale et le Fonds qui portait son nom d’engager en 1859 des négociations pour créer un centre de formation à St. Thomas. L’opposition d’une partie de la profession médicale était inévitable.

Nous avons déjà fait remarquer que Florence Nightingale préférait peser sur les décisions plutôt que les imposer. Pourtant, en ce qui concerne l’école Nightingale, d’autres raisons la poussaient à se tenir relativement éloignée de la gestion de l’établissement. La maladie dont elle souffrait depuis la guerre de Crimée limitait son activité : il était donc logique qu’elle déléguât la lourde charge que représentait la direction de l’école à une surveillante générale active. Aurait-elle d’ailleurs été en bonne santé, il est peu probable qu’elle aurait elle-même enseigné puisque, à en juger par sa correspondance privée, elle ne se sentait pas faite pour enseigner aux femmes. En décembre 1861, elle écrivait, non sans une certaine exagération, à Mary Mohl : « Mes doctrines n’ont pas rencontré d’écho chez les femmes. Aucune de mes compagnes de Crimée n’a appris quoi que ce soit de moi, aucune n’a consacré sa vie... à mettre à profit la leçon de cette guerre » (Vicinus et Nergaard, 1989, p.230).

Elle était également persuadée que ce sont les meilleurs praticiens qui font les meilleurs enseignants : « L’auteur, qui a une plus grande expérience de ce qu’on pourrait appeler les soins infirmiers à l’hôpital — à savoir les soins manuels pratiques — que quiconque en Europe, pense honnêtement qu’il est impossible d’apprendre cela dans un livre et qu’on ne peut complètement acquérir ce savoir que dans des salles d’hôpital ; elle pense aussi sincèrement que pour ce qui est des soins en chirurgie, la meilleure école en Europe était sans doute de voir à l’œuvre une « sœur » de la vieille école dans un hôpital de Londres » (Nightingale, 1860a).

Si les manuels ne pouvaient, selon elle, enseigner l’aspect « artisanal » du travail de l’infirmière, elle reconnaissait cependant qu’ils permettaient de se familiariser avec les règles d’hygiène et d’aménagement des installations. Son plaidoyer pour que chaque stagiaire ait sa chambre au Nightingale Home afin d’étudier et de réfléchir montre qu’elle ne s’intéressait pas uniquement à l’aspect pratique de la formation des infirmières.

Les caractéristiques de l’école Nightingale pendant ces premières années de fonctionnement étaient les suivantes :

  • l’établissement, tout en étant indépendant, était rattaché à un hôpital ;
  • les stagiaires ne relevaient que de la surveillante générale ;
  • l’établissement constituait un foyer sécurisant pour les stagiaires ;
  • l’enseignement des stagiaires était assuré par le personnel de l’hôpital : religieuses et médecins ;
  • l’évaluation des stagiaires était assurée par les religieuses et par la surveillante générale ;
  • les stagiaires percevaient un salaire de base pendant leur formation ;
  • le contrat des stagiaires leur faisait obligation d’accepter, après leur formation, un poste dans un hôpital désigné par le Fonds. Celui-ci avait pour politique d’envoyer des groupes d’infirmières formées, diffuser le système de formation Nightingale dans d’autres hôpitaux.

Tout cela n’alla pas sans bien des difficultés. Le système reposait sur les sœurs qui n’avaient elles-mêmes aucune qualification ; on ne pouvait attendre des médecins qu’ils comprennent aussi bien les impératifs de la formation des infirmières que l’enseignement de la médecine ; la surveillante générale, Mme Sarah Wardroper, responsable des soins infirmiers à l’hôpital, utilisait les stagiaires comme personnel supplémentaire ; il se révéla difficile de recruter des stagiaires ayant les qualités voulues.

Selon Monica Baly, historienne du Fonds Nightingale, « la lampe de Mlle Nightingale ne produisit pas une illumination soudaine : la réforme progressa lentement et avec peine et ce qui devait être connu plus tard sous le nom de système Nightingale, loin d’être un projet idéal conçu par elle, ne fut qu’une construction pragmatique tirée de l’expérience et de compromis imposés ».

L’appréciation générale de Monica Baly est sans aucun doute exacte : l’école n’a pas progressé aussi régulièrement que les premiers historiens en avaient donné l’impression. Les dix premières années ont été particulièrement difficiles. Néanmoins, le dispositif qui s’est mis en place au cours des dix années suivantes était bien meilleur, essentiellement grâce à une série d’initiatives prises par Florence Nightingale elle-même au début des années 1870. Il n’y a aucune raison sérieuse de croire qu’elle voyait dans la formation des infirmières autre chose qu’un projet expérimental. Elle avait appris au temps de la Commission royale sur la santé de l’armée que les réformes ne s’opèrent pas par des victoires faciles. De 1872 jusqu’à ce que son pouvoir se mette à décliner, elle suivit de près le développement de l’école, faisant connaissance avec un grand nombre de stagiaires et adressant à l’établissement une missive annuelle imprimée, pleine de conseils pratiques et d’exhortations morales.

Il ne faut pas oublier non plus lorsqu’on s’efforce de mesurer le succès de l’école Nightingale que malgré ses débuts difficiles, sa réputation s’était propagée très loin à cause de l’impact durable de la légende Nightingale, mais aussi grâce à des efforts soutenus. Le cousin de Florence, Henry Bonham-Carter, fut secrétaire du Fonds Nightingale de 1861 à 1914 et son dévouement contribua à faire en sorte que les résultats obtenus par l’école soient reconnus. En 1887, lorsque Mme Wardroper partit à la retraite, Bonham-Carter put proclamer que l’école avait donné des surveillantes générales à 42 hôpitaux et que 520 infirmières y avaient bénéficié d’une formation. Les succès de l’école facilitèrent le recrutement de stagiaires de plus grande valeur tandis que des infirmières Nightingale mieux formées se mettaient à ouvrir leur propre établissement.

En émigrant très tôt vers l’Australie, le Canada, l’Inde, la Finlande, l’Allemagne, la Suède et les États-Unis d’Amérique, les infirmières Nightingale créèrent tout un réseau d’établissements. Leur métier était devenu une profession respectable pour les femmes du monde entier, la lampe de Florence Nightingale en devint l’emblème, symbole tout autant d’espoir (celui donné aux blessés de la guerre de Crimée) que d’alphabétisation et d’apprentissage. Lorsque la Fondation internationale Florence Nightingale fut créée en 1934 pour rendre hommage à son action éducative, la lampe en devint tout naturellement le symbole.

Notes sur l'auteur :  Alex Attewell (Royaume-Uni)

Après avoir occupé le poste de conservateur adjoint du musée d’un hôpital dans l’ouest de l’Angleterre, il est entré au musée Florence Nightingale de Londres en 1989. Membre associé de la Museums Association en 1993, il est nommé conservateur du musée Florence Nightingale en 1994. Il est souvent appelé à donner des conférences, à participer à des émissions de radio et de télévision et à organiser des expositions temporaires sur le thème qui lui est familier.

Ce texte est tiré de Perspectives : revue trimestrielle d’éducation comparée (Paris, UNESCO : Bureau international d’éducation), vol. XXVIII, n° 1, mars 1998, p. 173-189. ©UNESCO : Bureau international d’éducation, 2000 

Alex ATTEWELL


Source : infirmiers.com