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Face aux troubles bipolaires, quelle prise en soin infirmière ?

Publié le 30/03/2021

Alors que se profilent les Assises de la psychiatrie annoncées par le Chef de l’Etat d'ici l’été 2021, les professionnels de la santé mentale prennent en charge les patients atteints de troubles psychiques parfois sévères dans un secteur mal doté souvent considéré comme le "parent pauvre" de la santé. Parmi eux, les malades souffrant de troubles bipolaires, dont la prévalence en France est importante malgré une sous-évaluation probable, estiment les spécialistes. Qu’apporter aux malades ? Quels sont les progrès thérapeutiques ? L’association FondaMental et les soignants de terrain apportent des éléments de réponse.

Acteur de premier plan de la lutte contre les maladies mentales, dont les troubles bipolaires, la fondation FondaMental est à l'initiative de la création de centres experts dédiés et de nombreuses actions en matière de recherche et d'innovation

Les troubles bipolaires touchent entre 600 000 et 1 600 000 personnes en France selon les estimations. Face à cette maladie chronique, les professionnels du secteur de la psychiatrie – dont les infirmiers – sont mobilisés pour apporter aux personnes touchées une prise en soin la plus satisfaisante et personnalisée possible. A la lumière des avancées de la recherche exposées lors d'une conférence de presse de la fondation FondaMental le 26 mars*, deux infirmières en santé mentale apportent leur éclairage sur certaines des initiatives mises en place pour une prise en soin exempte de toute jugement et qui vise à l’accroissement du bénéfice des patients et l’inclusion de leur famille.

Errance diagnostique

D’abord, il y a le problème du diagnostic. Anciennement nommés maladie maniaco-dépressive en raison de l’alternance de phases euphoriques (dites "maniaques") et d’épisodes dépressifs parfois sévères entrecoupés de signes appelés "résiduels", les troubles bipolaires sont diagnostiqués avec dix ans de retard en moyenne. Parfois, les premiers signes de la maladie  peuvent se manifester dès l’adolescence et il est difficile d’établir un diagnostic à ce moment précis, reconnaît Emmanuelle Mariani, infirmière en psychiatrie au centre hospitalier Le Vinatier depuis 8 ans et en exercice au sein du centre bipolaire de Bron, près de Lyon, ouvert en septembre dernier. En cause, l’absence de biomarqueurs identifiés et de symptômes spécifiques de la maladie qui la fait passer sous les radars du dépistage, parfois pendant longtemps. Aujourd’hui encore, le diagnostic est exclusivement fondé sur des critères cliniques, ce qui favorise l’errance des patients et leur souffrance ainsi que celle de leur famille, constate le Pr Marion Leboyer, responsable du pôle psychiatrie et d’addictologie du Groupe Hospitalier Mondor à Créteil et directrice de la fondation FondaMental. Or comme pour toute pathologie chronique, plus la stratégie thérapeutique est précoce, plus elle est efficace.

Les troubles bipolaires en quelques chiffres

Prévalence estimée entre 1 % et 2,5 % de la population en France
30 % à 50 % des patients souffrent de troubles cognitifs, y compris en dehors des épisodes thymiques aigus
1 patient sur 2 rencontre des difficultés dans l’observance de son traitement
Retard diagnostique de 10 ans en moyenne
Espérance de vie réduite de 15 ans pour les femmes et de 20 ans pour les hommes
Taux de mortalité 2 à 3 fois supérieur à celui observé en population générale
1/3 des patients sont répondants aux traitements
1/3 n’y répondent pas
1/3 demeurent symptomatiques

Sources : Fondation FondaMental, Haute Autorité de Santé

La question de l’observance

Puis il y a la question de l’observance. Comme dans d’autres pathologies, et plus particulièrement dans les troubles d’ordre psychique, elle est l’un des enjeux majeurs de la prise en soin. Au-delà des effets secondaires induits par les traitements (la plupart du temps des thymorégulateurs, administrés en première intention, qu'il s'agisse de phase maniaque, hypomaniaque ou dépressive), l’incompréhension du mal dont ils souffrent et le sentiment d’inutilité du traitement en raison de la persistance de certains symptômes résiduels desservent les patients. Environ 50 % d’entre eux présentent des problèmes d’observance, commente Raoul Belzeaux, psychiatre et chercheur à l’Assistance Publique-Hôpitaux de Marseille, par ailleurs responsable d’une étude menée sur 353 patients (dont 241 âgés de 16 à 46 ans) visant à évaluer le critère. Cela tient en partie à une forme d’inexpérience de la pathologie, constatée la plupart du temps chez des malades qui ont connu peu d’épisodes d’hospitalisation et qui sont plutôt jeunes. Naturellement, l’efficacité du traitement en est directement impactée.

Rendre le patient acteur change positivement la donne

En d’autres termes pour un patient, connaître et comprendre sa maladie est un facteur déterminant pour accepter la médication sur le moyen, voire sur le long terme, et contribuer à sa stabilisation. Un constat partagé par Laëtitia Coustet, infirmière en santé mentale depuis treize ans au CHU de Clermont-Ferrand et en fin de cursus de pratique avancée, mention psychiatrie et santé mentale : il y a quelques années encore, on ne faisait même pas part de son diagnostic au malade. On lui disait de prendre son traitement, voilà tout, se souvient la soignante sans nostalgie de cette période. Aujourd’hui, le rendre acteur change positivement la donne.

Durée d’hospitalisation, un facteur déterminant

Psychiatre au CHU Henri Mondor (Créteil) et chercheur, le Dr Charles Laïdi dirige une étude menée auprès de 1 116 personnes suivies pendant deux ans sur l’analyse médico-économique des troubles bipolaires en France. Les premiers résultats montrent que la réduction de 50 % du coût médical direct total de la maladie (environ 7 000 € par patient et par an) est directement corrélée à celle de la durée des hospitalisations. Les leviers ont été les suivants :
- changement du traitement
- délivrance d’information induisant une meilleure adhésion au traitement
- efficacité de prise en charge par des équipes pluridisciplinaires spécifiquement formées permettant une prise en charge personnalisée et une gradation des soins

Avancées thérapeutiques

Des pratiques qui semblent donc aujourd’hui lointaines, pour le plus grand bénéfice des patients, pris en charge par des soignants dont la qualité essentielle est d’agir de façon réaliste, en toute bienveillance, et de se défaire de tout jugement ou de toute représentation normative. Entre autres avancées notables, la remédiation cognitive (dispensée sur prescription médicale) peut être utile. Défini par l’association FondaMental comme un processus de "réparation", le terme désigne un type de traitement de réadaptation visant à améliorer l'attention, la mémoire, le langage et/ou des fonctions exécutives (fonctions permettant de sortir des habitudes, prendre des décisions et évaluer les risques, planifier l'avenir, prioriser et ordonner des actions et faire face à des situations nouvelles). Elle se présente sous la forme d'exercices dont le résultat attendu est un impact positif sur les déficits fonctionnels qui affectent la vie de tous les jours.

On agit avec le patient et pour lui ; faire autrement est inenvisagable

Autre aspect de l’arsenal thérapeutique : la psycho-éducation, qui joue un rôle majeur pour fournir au malade la connaissance nécessaire sur sa pathologie et favoriser la confiance, la compréhension et la libération de la parole. La question de l’empowerment est prépondérante ; faire en sorte que le patient ne soit plus seulement destinataire d’une information qui provient du corps soignant mais qu’il passe du statut de sujet à celui de partie prenante a une incidence sur le cercle vertueux qui peut se mettre en place pour améliorer sa prise en soin, se réjouit E. Mariani. La stratégie en question ne se limite d’ailleurs pas à la simple prise de molécules ; l’ensemble des aspects de la vie du patient, de son environnement et de ses besoins sont des éléments à prendre en compte. Nous nous devons de rendre les familles partenaires, d’écouter le patient et comprendre son projet et sa dynamique de vie. On avance avec lui et pour lui ; faire autrement est inenvisageable, estime l’infirmière lyonnaise. C’est d’autant plus vrai que certains moments de la vie des personnes atteintes sont plus critiques que d’autres. C’est le cas du retour à domicile, potentiellement générateur d’angoisse et d’un sentiment de solitude difficile à vivre. Même si ces approches ne sont pas destinées à la totalité des patients car elles demandent une forte implication, elles apportent de nombreux bénéfices, rapporte L. Coustet.

Passeport BP

Parmi les initiatives les plus récentes, Passeport BP (pour Passeport bipolaire) a vu le jour voilà quelques semaines seulement. Sur impulsion du Ministère de la santé et sous l’égide de la fondation FondaMental, le projet tombe sous le coup de l’expérimentation 51 et s'appuie sur un infirmier formé au case management en psychiatrie, un processus par lequel on répond aux besoins complexes et multiples des patients. Il prévoit la participation de quatre centres hospitaliers (Bron, Clermont-Ferrand, Besançon et Créteil) et inclut plus de 2 000 patients atteints de troubles bipolaires. Objectif principal : prévenir les rechutes des malades en les accompagnant dans leur processus de rétablissement et collecter des données de nature à évaluer la qualité des soins d’ici trois à quatre ans environ. La contribution infirmière vient en soutien de l’expertise médicale du psychiatre (diagnostic, vérification des critères d’étude…), essentielle au moment de la consultation d’inclusion du malade, précise L. Coustet. Puis nous prenons le relais environ deux semaines après et assurons le suivi et sa coordination tous les trois mois environ pour créer une alliance avec le patient et le rendre aussi autonome que possible. La plateforme de suivi contient le dossier du patient, son programme personnalisé de soins, ses éléments médicaux (comorbidités, données thymiques…). Soignants du programme et patients y ont accès. Pour personnaliser au mieux le suivi, des seuils d’alerte sont déterminés au moment de l’inclusion grâce à des échelles de ressenti portant sur l’humeur, l’énergie physique, le sommeil, l’irritabilité, mais également sur les variations de poids. Deux applications complètent le dispositif : "Simple", qui propose des conseils dédiés en matière de psycho-éducation, et "Happy neuron", qui établit un programme d’exercices de remédiation sur 14 semaines. Nos patients ont besoin d’avoir un référent, de sentir qu’ils ne sont ni seuls ni stigmatisés, insiste Laëtitia Coustet. Et sa consœur d’abonder : espérons que la crise du Covid-19 et ses implications permettent de réviser nos représentations collectives, souvent négativement connotées, des maladies psychiatriques. Car de beaux projets restent à mettre en place pour les malades concernés.

*Les travaux présentés portaient sur l'analyse médico-économique de la maladie, l'observance thérapeutique, les comorbidités somatiques, les formes familiales de la pathologie et les apports de la neuro-imagerie, la psycho-éducation et le neurofeedback

Anne Perette-Ficaja
Directrice de la rédaction
anne.perette-ficaja@gpsante.fr
@aperette


Source : infirmiers.com