Le sang est un élément essentiel, précieux et non substituable. Pour traiter ses déséquilibres (anémie…) ou une hémopathie, la greffe de cellules souches hématopoïétiques, l’administration d’érythropoïétine ou de fer par exemple sont des thérapeutiques utiles. Bien qu’elles varient considérablement d’une région du monde à l’autre, les demandes de sang n’ont cessé d’augmenter dans la zone sub-saharienne comme partout ailleurs. La zone géographique, la prévalence locale de certaines maladies, l’avancée de la médecine mais aussi l’impact de la culture peuvent expliquer les demandes grandissantes de sang, de même que les freins au don. Pour comprendre l’impact de la culture sociale en la matière, direction le Togo avec Konogan Desvaux, infirmier expatrié pendant plus de deux ans.
Au Togo, la drépanocytose (maladie génétique des hématies), le paludisme grave, les maladies auto-immunes, les anémies en général, ou les cancers lorsqu’ils sont diagnostiqués, sont des situations courantes qui peuvent nécessiter une transfusion sanguine. Mais les représentations sociales et culturelles du sang et de ce qui y a trait, qui s’expliquent par des mythes ou représentations culturelles péjoratives, sont souvent délétères. Les conséquences sur le don de sang et la propagation de certaines maladies sont non-négligeables.
Un nomadisme médical dommageable
Les pathologies locales, le nombre important d’accidents de la voie publique (routes peu sécurisées et comportements imprudents), l’impact social de l’alcool (absence de loi restrictive) ou encore les fréquentes difficultés rencontrées au bloc opératoire (accouchement compliqué…) font du don de sang un enjeu de santé publique. S’ajoute à cela un nomadisme médical criant qui ne facilite en rien les choses ; ne trouvant peu ou pas de réponse rapidement, le patient se rend facilement chez un autre soignant. Le temps est précieux, les réponses doivent être rapides et peu coûteuses : l’aspect financier a un impact sérieux sur la problématique sanitaire puisque le patient, par manque d’argent, se dirige plus volontiers soit vers la médecine dite traditionnelle (les remèdes y sont propres, ou presque, à chaque thérapeute) soit vers des centres de santé, où le personnel est souvent peu qualifié. Le soignant se focalise alors plus sur la conséquence visible et non sur l’origine du problème. Ce processus entraîne une possible dégradation rapide de l’état de santé du patient qui s’affaiblit, attribuant cela au paludisme, encore bien trop courant dans la région.
Je ne suis pas malade, puisque rien ne le prouve
Ne pas voir, ne pas être malade ?
Comprendre par ailleurs les freins au don du sang est nécessaire. Au Togo, le donneur potentiel évite d’être prélevé même si son état général de santé est bon par peur de connaître un sombre diagnostic et de découvrir une maladie : je ne suis pas malade, puisque rien ne le prouve. Ne pas vouloir savoir évite le risque d’un basculement brutal de vie et de devoir se projeter sur de courtes durées. L’européen a une montre et nous avons le temps
, disent régulièrement les Togolais. L’inconscient collectif, lui aussi, fait du tort. Être prélevé pour un don pourrait entraîner une fatigue importante, et surtout l’apparition possible d’autres maladies. Pour contrer cette croyance, le Centre Régional de Transfusion Sanguine (CRTS – l’équivalent régional de l’Etablissement Français du Sang) fournit une collation, recommande ne pas pratiquer une activité sportive après un don et sécurise ses processus : les dispositifs utilisés sont à usage unique dans un environnement propre et le sang prélevé est testé à maintes reprises, notamment à travers des marqueurs sérologiques. Mais ne pas vouloir voir n’est pas être bien portant. Ce cas l’illustre bien : une petite fille de cinq ans apathique, accumulant un retard de croissance et une grande fatigue arrive pour se faire soigner. D’elle, aucune information, mais elle est malade depuis quelques mois sans cause apparente. Les parents se rendent de centre en centre alors que les analyses biologiques ne mettent aucune anomalie en évidence. Au moment d’effectuer le prélèvement veineux, l’enfant reste inerte et ne montre plus de force physique ni psychologique pour réagir lorsqu’on la pique. Une sérologie VIH – jamais réalisée jusque-là – est décidée. L’enfant a déjà été transfusée dans les règles de l’art, auprès d’un CRTS. Le temps passe et après de longues minutes, la séropositivité de l’enfant est révélée. Le père évoque alors le fait qu’il a acheté, sans le dire à sa femme, une poche de sang hors du circuit normal car il n’y avait pas de sang compatible disponible. Il faudra vivre avec
, mais surtout la société devra l’accueillir au mieux.
Le coût final d’une poche atteint les 35 000 Fcfa, soit le smic togolais
Difficultés financières et incitations au don
La santé n’a pas de prix mais elle a un coût
. L’adage est assurément présent ici. L’aspect financier, nerf de la guerre, est fréquemment évoqué comme argument dissuasif. Alors que certains pays comme les Etats-Unis ou l’Allemagne rémunèrent leurs donneurs, la poche de sang au Togo (6 000 Fcfa, soit près de 1/5 d’un smic togolais) doit être remboursée pour permettre de financer les contrôles, la logistique, la rémunération des laborantins… Les analyses du sang comme le groupage sanguin, les différentes sérologies, la conservation au froid, le prix des collations post-don sont une charge considérable pour les Centres Régionaux de Transfusion Sanguine (CRTS). Le coût final d’une poche atteint les 35 000 Fcfa, soit le smic togolais. Cette somme est prise en charge à plus de 80 % par l’État et par des ONG comme la Croix-Rouge. La différence restante est à charge du demandeur, en espérant que le patient soit assuré, ce qui est le cas de 10 % de la population togolaise. Et alors que nous sommes autosuffisants en France malgré des périodes critiques comme l’été ou les fêtes de fin d’année, seuls 70 % des besoins en sang sont couverts au Togo. Pour encourager les dons, le CRTS paie le transport avec un billet de 500 fcfa, largement assez lorsqu’on habite dans l’agglomération. Il délivre aussi à toute personne prélevée au moins quatre fois une carte qui lui donne priorité – et gratuité – pour bénéficier d’une poche à son tour s’il en était besoin, de même qu’une réduction de 50 % à tout membre de sa famille proche. Des démarches commerciales
qui peuvent ébranler la conscience soignante à la française et faire toucher du doigt la précarité sanitaire, la médecine à deux vitesses. Ici, les besoins sont similaires à ceux d’Europe mais les réponses sont bien différentes. Il n’est pas rare d’être confronté à la pénurie de sang chez les patients ni de voir l’entourage du patient effectuer des aller-retours en courant à toute allure, glaciaire à la main, afin de récupérer une poche de sang au CRTS en l’entendant dire à son retour : il n’y a pas de sang
. Une violence inouïe qui ne suscite pourtant pas la colère et l’amertume du soignant face à des habitants qui admettent la situation, et surtout s’en remettent avec flegme au pouvoir divin : Dieu seul sait - comprend et pourra
, entend-on régulièrement. En tant que soignant et au-delà de l’utilité du geste, a fortiori dans un pays qui connaît de grandes difficultés sanitaires, donner son sang a un autre retentissement. C’est une action qui sert aussi à créer du lien, rencontrer d’autres collègues et comprendre la société togolaise. Le lien entre mission d’infirmier volontaire et don de sang devient alors une évidence. Après le don et alors qu’on a un bandage au bras, les passants dans la rue peuvent être surpris : tu es malade ?
, demandent-ils alors. L’occasion d’entamer la discussion et d’expliquer le don auprès des personnes qui ne sont pas du milieu de la santé. Au Togo, donner son sang, c’est aussi convaincre les autres de le faire.
Konogan DesvauxInfirmier Diplômé d’EtatCHU d'Angers, pôle Neurosciences, Vieillissement, Médecine et Société (NVMS) depuis septembre 2019
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