Le 4 mars 2002, la loi Kouchner vient profondément bouleverser le rapport entre soignants et patients. Si leur relation est marquée jusque-là par une certaine opacité, avec d’un côté les sachants - les médecins - et de l’autre les patients, qui n’étaient informés de rien ou presque
, cette loi promulguée par le gouvernement Jospin, fruit de plusieurs années de réflexions notamment dans le contexte du VIH
, marque un tournant majeur, explique Lucile Delacomptée, avocate au sein du Cabinet GTA, spécialisé en droit médical et réparation du préjudice corporel. A l’occasion des 20 ans de la loi Kouchner, cette avocate revient pour nous sur la révolution que ce texte a représentée.
Qu’a changé la loi Kouchner ?
"Cette loi implique deux changements notables. D’abord, elle a consacré un vrai droit à l’information du patient. Cela signifie concrètement que celui-ci peut exiger d’accéder à son dossier médical et que ce droit ne peut lui être refusé. Surtout, le consentement du patient doit être recueilli avant de réaliser tout acte médical - sauf, naturellement, en cas d’urgence. Par ailleurs, la loi Kouchner a permis, sous certaines conditions - notamment de gravité du dommage -, l’indemnisation des accidents médicaux non fautifs (ou aléas thérapeutiques
) et des infections nosocomiales. Les Commissions de Conciliation et d’Indemnisation (CCI), autrefois appelées CRCI – Commissions Régionales de Conciliation et d’indemnisation -, ainsi que l’ONIAM, l’Office en charge de l’indemnisation des victimes d’accidents médicaux non fautifs, ont été créés à cette occasion. Cette “procédure” amiable est évidemment une avancée majeure pour les patients".
Qu’a-t-elle impliqué côté professionnels de santé ?
"Le corollaire de cette création d’un droit à l’information pour les patients, c’est bien évidemment la création d’un devoir pour les soignants. Avec cette loi, les professionnels de santé ont désormais l’obligation d’informer sur le diagnostic, sur le traitement et les risques associés aux actes qui seront pratiqués. Sur le plan de la responsabilité, cela implique que les professionnels de santé doivent être en mesure d’apporter la preuve de la délivrance de l’information. Si cette preuve peut, selon la loi, être apportée par tout moyen
, il est en pratique nécessaire de veiller à conserver une traçabilité
de cette information.
La seconde grande question que pose le droit à l’information concerne les préjudices susceptibles d’être invoqués en cas de manquement à cette obligation. La jurisprudence admet depuis quelques années qu’un patient qui invoque un tel manquement peut se prévaloir, d’une part, d’une perte de chance d’éviter le dommage (en d’autres termes : si j’avais été informé du risque de l’intervention, j’aurais refusé qu’elle soit pratiquée) et, d’autre part – et possiblement de manière cumulative -, d’un préjudice moral dit d’impréparation
(si j’avais été informé du risque de l’intervention, j’aurais pu m’y préparer). Evidemment, ces questions font l’objet de contentieux fournis..."
Que dire de cette loi 20 ans après ?
"S’il fallait résumer, la Loi Kouchner est sans conteste une très belle évolution pour le droit des patients. En pratique, on est nécessairement confronté à davantage de difficultés : ce n’est pas toujours facile, par exemple, d’apporter la preuve qu’on a délivré une information. De même, l’information délivrée peut ne pas être comprise, ce qui soulève d’autres problématiques... La procédure
amiable CCI est par ailleurs plus rapide que les procédures judiciaires, ce qui est un avantage évident pour les patients, mais elle ne garantit pas le même respect du contradictoire qu’une procédure devant un Tribunal, ce qui peut porter préjudice aux professionnels de santé... Mais malgré ses imperfections, le bilan de cette loi reste à mon sens tout à fait positif."
Ce qu’ils en disent
Gérard Raymond, Président de France Assos Santé
La plus grande découverte de ce début de XXIe siècle, c’est la découverte des patients
, aime répéter Gérard Raymond, Président de France Assos Santé. Il a fallu attendre le 4 mars 2002 pour donner des droits aux patients. Jusque-là, on n’avait pas de droits, donc on n’existait pas
, résume-t-il. Pour lui, cette loi représente une véritable révolution
dans la conception moderne
du système de santé, qui donne aux usagers de la santé des droits individuels mais aussi collectifs (en ouvrant la possibilité aux représentants des usagers de la santé de prendre part aux décisions dans les établissements de soins, dans les institutions…)
. Pour autant, il faut selon lui aller plus loin. L’accélération de la crise sanitaire a démontré qu’il ne suffisait pas d’élaborer des textes législatifs, ou de monter des associations représentantes pour créer une vraie dynamique de participation citoyenne. Il faut aller au-delà aujourd’hui, en passant de la représentation à la participation citoyenne et notamment à travers l’élaboration de notre système de santé, son contrôle et son évaluation
. Une manière de parvenir à une vraie démocratie participative grâce à la co-construction du système de santé
.
Patrick Chamboredon, président de l'Ordre National des Infirmiers
Pour Patrick Chamboredon, président de l'Ordre National des Infirmiers, cette loi a créé de nouveaux droits pour les patients
et ainsi contribué à remettre l'humain au milieu du système de santé
, ce que l’ONI appelle de ses vœux depuis de nombreuses années. L'humain, c'est le cœur de la prise en charge de l'infirmier, avec une vision à 360° du patient : les infirmiers continuent à aller chez les patients, ils sont aussi les interlocuteurs H24 à l'hôpital, ils connaissent les gens dans leur contexte familial, mais aussi bien souvent social, et recueillent des informations qui sont essentielles à la prise en charge. Ils ont enfin le pouvoir de décrypter pour le patient le jargon médical pas toujours accessible et donc d’amener à une plus grande acceptabilité de la prise en charge. Les infirmiers sont donc bien placés pour faire entendre les desiderata des patients et pour les anticiper
. Pour autant, Patrick Chamboredon veut aller plus loin de manière pragmatique et éclairée, au bénéfice des patients
, précise-t-il. Les patients et les infirmiers, acteurs les plus nombreux du système, sont paradoxalement les moins représentés au sein des instances décisionnaires de l’hôpital. Il faut donc continuer à travailler sur cette trajectoire-là
. A l’approche des Présidentielles, c’est l’un des dossiers défendus par l’Ordre.
Retrouvez le replay d’un colloque de l’ONI consacré à cette question : 20 ans après la loi Kouchner où en sont les droits des usagers ?
*L’Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux, des Affections Iatrogènes et des Infections Nosocomiales (ONIAM)
Propos recueillis par Susie Bourquin
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