Depuis le 18 mars, lendemain de l’entrée en vigueur du confinement et durant tout le temps que durera ce confinement, "Tracts", à l’initiative des éditions Gallimard, publie chaque jour sous forme numérique et en accès libre, des textes brefs et inédits "Tracts de crise" L’humble ambition du texte qui suit est de vous donner envie d’aller picorer dans ces brefs essais. Mais, si vous n’en avez pas le temps ou pas le courage, en voici un medley. Ce premier opus propose une sélection des textes du 18 mars au 30 mars.
Les "Tracts de crise", chacun à leur manière, selon leur tonalité ou leur vision singulières, rendront compte de ce qui se passe pour nous tous. On peut être isolé mais s’adresser à tous ; soyons solitaires et solidaires, ainsi que nous y invitait Albert Camus. Ensemble et confinés, solidaires contre l’épidémie, pour les malades et les soignants, pour nous tous.
La "drôle de guerre" selon Régis Debray
Régis Debray (philosophe) dans le premier numéro Quitte ou double
se questionne sur le vocabulaire guerrier employé et ce qu’il implique dans notre vision de la crise. Quel est l’intérêt de cette métaphore, s’interroge-il tout en illustrant avec humour :
Convenons néanmoins que c’est une drôle de guerre, celle où le commandant en chef a pour mot d’ordre : "planquez-vous" ; où une mobilisation générale met à l’arrêt ; où on appelle à ne plus faire société pour faire nation, à s’isoler pour se serrer les coudes et à écarter les corps les uns des autres pour se rapprocher d’eux en esprit.
Août 1957, la grippe venue de Chine s’installe en Europe sans que personne ne la prenne véritablement au sérieux. Elle s’installe dans douze provinces italiennes puis passe les Alpes. Fin septembre, en France, la rentrée des classes s’annonce normalement. Un mois plus tard, 450 décès en Angleterre. L’Institut Pasteur travaille sur un vaccin. Cette pandémie nommée grippe asiatique aurait fait, selon des sources fiables, plus de deux millions de morts dans le monde entier et 15 000 en France métropolitaine. Didier Daeninck, alors petit garçon se souvient de ce que lui disait sa mère : On a cru te perdre
, et nous livre cette pensée en écho :
Le virus mutant rôde à nouveau. C’est un touriste opportuniste, il prend son temps, il profite de toutes les occasions, il fait des selfies, serre la main du premier venu, applaudit ceux qui s’époumonent, se faufile dans les cortèges, visite les églises, les assemblées comme les bidonvilles.
"L’hôpital entreprise" selon Stéphane Velut
En janvier 2020, Stéphane Velut (neurochirurgien au CHU de Tours) dresse un état de l’hôpital public et dans une démonstration implacable L’hôpital une nouvelle industrie – le langage comme symptôme
analyse comment le monde hospitalier a pour injonction de se calquer sur le monde industriel et assène avec tellement de bon sens, tellement d’évidence :
Tenter de soustraire au maximum le facteur humain, trop humain, du système hospitalier, c’est prendre le risque que ce système s’effondre. Il faudra quand même, un jour, se demander si c’est bien.
Nous y sommes !
"Ici et maintenant… mais aussi après" le monde qu’on vit les inspire
Stéphane Velut avec Echec au roi
enfonce le clou. Les soignants hurlaient en vain leur détresse depuis plusieurs mois. Les politiques, sans voir plus loin que le bout de leur nez, se disaient que :
Les soignants aiment ce qu’ils font, ce sont des passionnés, ils font – c’est bien connu – un boulot passionnant, ils tiendront.
Oui, les soignants tiennent, soignent, mais à quel prix. Et les politiques ne pourront plus les mépriser. Les remercier ne suffira pas. En tout cas espérons-le.
C’est en substance ce que se demande Cynthia Fleury (philosophe, titulaire de la chaire Humanités et santé
au Conservatoire national des arts et métiers) dans Répétition générale
:
Toute la question, maintenant, est celle de la durabilité de la prise de conscience et de la volonté de faire autrement.
Adèle Van Reeth (philosophe et dont le prochain ouvrage à paraitre devrait s’intituler la vie ordinaire
), à qui l’on demande : mais en tant que philosophe, quelle est votre analyse de la situation ? répond avec une franchise bienvenue dans Intranquillité
:
Oserais-je le dire ? Je ne crois pas que la philosophie nous soit d’aucun secours aujourd’hui. L’heure est à la survie, pas à l’analyse. Laissons-nous le temps, pour une fois.
Elle n’a rien de particulier à dire, pas de conseil à donner mais comme beaucoup d’entre nous, elle pense à ceux pour qui rester confinés tient de la gageure, aux femmes et enfants qui pour certains risquent de se prendre encore plus de coups, aux personnes malades, fatiguées, âgées qui ne peuvent plus recevoir de visite. Et craint que le confinement qui entraine la solitude pour beaucoup, mais qui, ne l’oublions pas, est à ce jour est le remède le plus efficace ne finisse par tuer ses grands-parents. Je suis, comme tout le monde, confinée chez moi, j’ai peur pour les autres et je ne suis pas armée pour leur venir en aide.
Alors, comme ne s’étonne pas – contrairement à d’autres - Johann Chapoutot (professeur d’histoire contemporaine) dans Pathologies sociales
:
L’État tient
, se félicite-t-on en haut lieu – l’État, c’est-à-dire les fonctionnaires de l’enseignement, de la santé, de la Poste, pompiers, pour l’essentiel. On pensait ces gens inutiles, oisifs et obsolètes, étrangers à la start up nation et incurablement hostiles au winning spirit
des premiers de cordée
: voilà que ces gens qui ne pensent pas qu’à l’argent se révèlent héroïques
.
Depuis février 2019, Gallimard publie mensuellement Tracts
:
Ces courts essais, accessibles financièrement (environ 4 euros), imprimés sur du papier recyclé et ne demandant que peu de temps de lecture sont écrits par nos contemporains : des écrivains, des philosophes, des médecins, des historiens etc. Ils interrogent les grandes questions de notre époque. Tracts
Gallimard s’inspire des Tracts de la NRF
publiés dans les années 1930 et qui avaient une fonction d’alerte ou d’analyse. De grands noms comme Jean Giono ou Thomas Mann par exemple y avaient contribué.
Sylvie RobillardFormatrice – Chercheure – infirmière
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