Elle Yann, 28 ans, infirmière et artiste, chante et danse avec humour le naufrage de ses illusions sur une profession qu’elle aime mais dont elle a vécu les limites et les souffrances.
A la sortie de l’école d’infirmiers, le cœur à l’ouvrage et l’idéalisme chevillé au corps, Elle Yann entre à l’hôpital public. En 4 ans, elle expérimente 7 services (essentiellement en gériatrie) dans 3 établissements différents. Elle y endure, jour après jour, la pression permanente, les heures sup et le manque de matériel, de moyens, d’humain… Jusqu’à ce que le suicide d’un collègue et la menace d’un burn-out closent le chapitre de ses désillusions. Elle remise alors sa blouse un temps pour se reconstruire et relever une autre sorte de défi. Admise au concours d’une fameuse école de comédie musicale, elle y développe ses autres talents. Son clip Mayday posté sur YouTube mi-janvier, avec plus de 3300 vues, fait des vagues. Elle partage aujourd’hui son temps entre ses créations musicales et un métier qu’elle continue d’aimer, mais en exercice libéral. Rencontre avec une infirmière passionnée qui, contre vents et marées, a su garder le cap.
Qu’est-ce qui vous a inspiré l’idée de ce clip ?
J’ai écrit cette chanson il y a quatre ans, bien avant le COVID, quand je me suis aperçue que je passais un cap de non retour dans mon travail. J’avais été préparée et mise en garde sur la dureté du métier pendant mes études mais ce que j’ai vécu m’a confrontée à une réalité que je n’imaginais pas. Nous étions au cours de l’été 2018, je travaillais alors au sein d’un grand service de gériatrie d’un grand hôpital parisien. Des emplois de soignants venaient d’être supprimés et nous, qui étions en postes, étions contraints de faire face, à raison de 2 à 3 heures supplémentaires chaque jour. Pourtant, ce ne sont pas tant la pression, la fatigue, les heures sup ou ces journées qui filaient parfois sans pause pour aller aux toilettes ou pour déjeuner qui m’ont fait quitter l’hôpital mais cette impossibilité chronique d’exercer correctement mon métier. Un métier du soin, d’humanité et qui engage chaque jour notre responsabilité. Quand s’installe ce sentiment d’impuissance face au manque : de temps, de personnels, de moyens, qu’il vous ronge au quotidien, cela peut vraiment vous briser. Il y a eu des burn out autour de moi…et puis un drame. Ce collègue qui est venu à l’hôpital, en tenue de travail, un matin où il n’était pas de garde, pour se jeter du 8e étage. On nous a dit qu’il avait des problèmes personnels… Sans doute mais pas que. On ne peut pas oublier, il y a cette zone d’ombre quelque part au fond de soi, même si l’on poursuit son chemin. J’avais fait le pacte avec moi-même de ne jamais transiger, quoi qu’il arrive, sur la qualité des soins dispensés aux patients. J’ai tenu, et puis un jour c’est arrivé : j’ai fait une erreur de dosage dans l’administration d’un traitement. Bien heureusement sans aucune conséquence sur la santé de la patiente concernée (qui allait même mieux). Mais j’ai senti une rupture en moi. Je ne pouvais plus continuer ainsi. Le soir même j’envoyais un long mail explicatif à ma cadre en lui proposant ma démission. Le lendemain matin, sa réponse a été de me demander si je pouvais me rendre disponible pour prendre une garde le week-end suivant.
Comment avez-vous rebondi ?
Pendant mon arrêt de travail, j'ai mis mes conflits de valeurs et ma frustration de soignante en chanson, comme un exutoire thérapeutique. J’ai osé et réussi l’audition d’entrée d’une fameuse école de comédie musicale qui me faisait rêver. J’ai retrouvé dans le même temps un nouvel emploi dans un établissement de santé avec de bonnes conditions de travail qui m’a réconciliée avec la profession. J’ai pu suivre une année de formation dans mon école de musique, puis le covid est arrivé. Tout s’est arrêté. Mais grâce au confinement, j’ai trouvé le temps de me former en autodidacte aux techniques et aux outils de MAO (Musique assistée par ordinateur) et j’ai réussi à développer mes propres compositions. Tout naturellement, mon expérience humaine en tant que soignante m’a largement inspirée. Mes textes parlent d’Alzheimer, d’alcoolisme, de maltraitance, de femmes battues…
Pourquoi avoir écrit et enregistré ce titre en anglais ?
Cela s’est imposé à moi, je ne sais pas comment, et je me suis laissée guidée. Mais quand j’y réfléchis je me rends compte que je voulais éviter des mots. Les mots douloureux mais aussi les mots du métier. Même en anglais, ces mots sont absents : infirmier, hôpital, médecin, soignant… Je n’emploie que des termes maritimes pour filer la métaphore du naufrage. Cette chanson, Mayday, c'est une bouteille à la mer, une sirène de détresse... Une modeste contribution à la cause soignante
, parce que j'aime mon métier malgré tout.
Comment vous sentez-vous aujourd’hui ?
Il m’a fallu du temps pour surmonter mes désillusions mais mon autre passion, la musique m’a portée et permis de transformer ces années d’expérience qui m’ont meurtrie en moteur d’une nouvelle ambition et d’un nouveau départ. Infirmier, c’est un métier extraordinaire, je sais pourquoi je l’ai choisi et je ne tire pas un trait. Aujourd’hui j’ai trouvé un équilibre en exerçant en libéral, en remplacement et le week-end. Ainsi, j’ai plus de temps pour me consacrer à la musique...
Betty Mamane, Directrice de la rédaction
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