Entre deux prises de postes, les personnels soignants, extrêmement sollicités en ces temps d’épidémie, mais également soumis à un stress intense et parfois aussi à une vulnérabilité auxquels ils n’étaient pas préparés, tiennent bon. Pourtant, la fatigue s’accumule et les professionnels redoutent une deuxième vague.
La fatigue, physique, comme mentale, Romain, infirmier dans un Ehpad de la région Auvergne, la connaît bien depuis le début de l’épidémie. Dans son établissement, qui n’a pas été touché par le coronavirus, un infirmier est chargé de plusieurs dizaines de résidents isolés dans leur chambre. L’épuisement est présent, je cours partout, j’effectue plus de 10km par jour, par poste de 7h30-8h de soins. Sans parler du fait qu’il me faut penser à tout. Le stress est présent chaque minute
. Romain affronte la situation sans se plaindre, mais il accuse le coup. Je gère l’épuisement en faisant du sport chez moi, en lisant, en passant du temps dans mon jardin à regarder la nature...
, explique-t-il. Pour limiter le stress, il est essentiel d’oublier sa journée de travail. Ne rien rapporter chez soi. Plus facile à dire qu’à faire…
Au travail, l’équipe est soudée, une chance. Nous utilisons l’humour, on se raconte des histoires drôles. Les résidents eux aussi nous racontent parfois des blagues. Ça fait du bien
. Malheureusement, difficile pour Romain de voir le bout du tunnel. Les soignants savent qu’ils sont lancés dans un long et éreintant marathon. Quand on a le temps, on se pose cinq ou dix minutes avec toute l’équipe pour boire un verre d’eau. La pause est importante mais très rare
. Pour Romain, une à deux fois par semaine, pas plus. L’épuisement, il le gère comme il le peut pour l’instant, mais il sent bien qu’il pourrait lui arriver de craquer. Pourvu qu’on tienne jusqu’au bout
, confie-t-il. Le travail en Ehpad est déjà difficile, mais en ce moment il est beaucoup plus stressant et toujours pas reconnu
, regrette ce professionnel.
Claire est infirmière en salle de surveillance post interventionnelle (SSPI) dans une réanimation Covid. Elle explique que pour elle, le pire n’est pas la peur d’attraper ce virus
mais celle de mal faire son travail
. Pas facile en effet d’apprendre sur le tas, avec heureusement une équipe extra qui se serre les coudes
.
Julie, infirmière depuis 15 ans, et depuis quelques années à l’Education Nationale, comme beaucoup de ses collègues dont on ne parle pas dans les médias
, souligne-t-elle, a repris la blouse depuis le début de l’épidémie pour retourner dans leurs anciens services, en réanimation, aux urgences, ou comme elle, en Ehpad
. L’établissement, qui compte 90 résidents, a été touché par l’épidémie et comprend un secteur Covid – déjà 5 cas confirmés, beaucoup de suspicions et peu de matériel
, déplore la professionnelle, qui décrit des journées harassantes avec une prise de poste à 7h pour finir à 20h30. Il faut faire les soins, malgré le manque de personnel, rassurer les résidents pendant les prélèvements de Covid, penser à tout, gérer son propre stress, rester organisé et précis, tout en faisant face à un rythme effréné. Je rentre chez moi je pleure un bon coup sur le chemin car à la maison, j’essaie de ne rien laisser paraître, j’ai une fille et un conjoint qui essaient de tout faire pour que je garde le moral, je le sais et j’essaie, mais quand je rentre je pense à la personne âgée que j’ai laissée dans son lit fragile, que j’ai quitté avec un sourire en lui promettant de revenir chanter avec elle dans 2 jours et qui ressemble tant à ma mamie… Je rentre et je repense au boulot. J’entends qu’on aide les hôpitaux, mais très peu les Ehpad et pourtant le personnel souffre tellement.
Vanessa est étudiante infirmière en 3ème année dans les Yvelines (Ile-de-France). Elle effectuait son avant dernier stage en réanimation lorsque le COVID s’est déclaré en France. La rapidité avec laquelle les patients se dégradent me fait peur, car nous assistons souvent impuissants à cela.On passe notre temps à les retourner, on décompresse en disant qu’on fait la crêpe party mais derrière ces blagues, nous sommes tous épuisés et nous nous cachons notre fatigue derrière nos lunettes et nos masques. Plus d’une fois, il m’a fallu un temps avant de démarrer la voiture le soir pour rentrer, un temps pour encaisser les décès du jour, entre 2 et 3 tous les jours, les limitations de traitements sont les plus difficiles, le virus est plus fort.
J’ai cauchemardé pendant 3 nuits sur mes mains refermant la housse sur ce pauvre monsieur... Jamais je n’avais fait ça avant
.
Comme Romain, comme Claire, Julie ou Vanessa, les soignants sont nombreux à être exposés, depuis le début de l’épidémie de Coronavirus, à un rythme de travail particulièrement effréné, ainsi qu’à l’angoisse d’exercer au plus près de la maladie.
Les premiers à vivre le choc étaient les médecins, chargés du diagnostic, puis, les infirmières se sont assez vite chargées du suivi de ces patients contaminés, aussi bien en libéral qu’en hospitalier.
De la fatigue, de l’angoisse, mais aussi de la colère
Pour aider les soignants à faire face, de nombreuses plateformes téléphoniques ont été mises en place, à l’image de celle du ministère de la santé, active depuis le 10 avril
, qui reçoit une vingtaine d’appels par jour
, d’après la Direction Générale de l’Offre de Soins (DGOS). En Île-de-France, un numéro d'appel gratuit, Ecoute soignants Covid
, a aussi été ouvert par l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP). Et la demande d’aide explose. La plateforme Soins aux Professionnels en Santé (dont Infirmiers.com est partenaire
), qui existe depuis novembre 2016 pour tous les professionnels de santé est passée de 5 à 7 appels par jour au moment de son lancement à plus de 180 appels certains jours depuis le début de l’épidémie, avec une moyenne actuelle autour de 100 par jour
. Sans grande surprise, depuis le début de l’épidémie en France, 100% des appels sont en rapport avec le Covid-19
, affirme le Dr Eric Henry, médecin généraliste libéral et président de l’association SPS. 20% des appels émanent des directeurs d’hôpitaux qui veulent diffuser l’information dans les établissements. Le reste (80% des appels) vient de gens qui ne vont pas bien, dont une majorité (75%) de femmes
(un chiffre par ailleurs peu étonnant puisque le monde de la santé reste très féminin). Un constat : la tendance s’est peu à peu inversée, avec des appels de médecins en majorité en début de crise
, avant un retour à la grille habituelle
souligne Eric Henry, c’est-à-dire davantage d’appels de la part de paramédicaux : des infirmières en grande majorité, puis des aides-soignants et enfin des médecins
. Une inversion qui s’explique selon lui : les premiers à vivre le choc étaient les médecins, chargés du diagnostic, puis, les infirmières se sont assez vite chargées du suivi de ces patients contaminés, aussi bien en libéral qu’en hospitalier
.
Parmi les appels passés par les professionnels de santé à SPS, on peut dégager une tendance générale : Ce qui était difficile au début, c’était surtout l’angoisse de mourir. Les professionnels qui nous appelaient avaient peur d’être contaminés, puis peur de devenir contaminant pour leurs patients, leurs collègues et leurs proches
. D’autres exprimaient (là encore surtout au début de l’épidémie en France), la culpabilité de ne pas aller travailler parce qu’ils avaient peur
et une difficulté liée à des injonctions paradoxales : leur famille leur demandant de rester à la maison tandis qu’eux-mêmes se sentaient investis d’une mission. On a aussi eu pas mal de salariés en arrêt de travail ou mis au chômage forcé : pour eux, le plus pénible était le sentiment d’inutilité
. Au-delà de l’angoisse ou de la culpabilité, c’est la colère qui prédomine à travers les appels. La colère des acteurs contre leur structure, le système, le manque de matériel, les conflits dans les équipes
, précise Eric Henry. A la télévision, on nous montre les réanimations où les gens sont soudés mais ce n’est pas le cas partout. Les gens évoquent par exemple des conflits de valeur, lorsqu’ils se sont par exemple arrêtés quelques jours et qu’ils sont revenus dans leur service, qu’ils ont été critiqués par leurs collègues. Quand on vous dit que vous n’avez pas les valeurs du métier alors que vous exercez depuis 20 ans, c’est très douloureux
. Enfin, les libéraux sont très peu à prendre leur téléphone pour appeler SPS, moins de 10%
selon Eric Henry. Un chiffre qui étonne alors qu’ils souffrent parfois d’un sentiment d’inutilité selon le président de l’association. A la télévision, on voit surtout des hospitaliers. On se sent plus qu’inutile en libéral. La litanie des morts est entretenue chaque soir. En ville, on a perdu plus de la moitié de la patientèle parce qu’elle a peur
.
La plupart du temps, un seul appel de 25 minutes avec psychologue suffit aux soignants, mais la plateforme renvoie à présent les professionnels vers un réseau national de prévention du risque psychosocial – dans chaque département, des gens formés peuvent prendre le relais
.
On est usés, la tension est croissante
. Sur les pages Facebook d’Infirmiers.com et d’Aide-soignant.com, de nombreux soignants ont répondu à notre appel à témoignage. La plupart d’entre eux expliquent être obligés de faire face, plus encore qu’à l’ordinaire, à la pénurie de matériel et de personnel et en payent le prix fort : mal de dos, aux bras, douleurs dorsales
s’accumulent. Un aide-soignant de nuit dans un petit Ehpad privé
raconte cumuler toutes les tâches. Je suis à la fois aide-soignant sur le peu de temps de soin que j'ai, mais également ASH car il faut tout désinfecter chaque jour et faire le ménage dans l'Ephad (alors que tout le monde est confiné en chambre), je prépare le petit déjeuner de A à Z et je m’occupe de la gestion du stock, je suis aussi lingère car il y a tout un protocole de décontamination à réaliser pour TOUT le linge
. Plusieurs soignants expliquent avoir eux-mêmes contracté le virus. Me voilà donc positive à ce fichu virus, par manque de protections, même avec toutes les mesures barrières et la meilleure volonté du monde de faire attention
, raconte une étudiante infirmière qui effectue des remplacements comme aide-soignante dans un Ehpad. Je me réveille ce jour avec 38,3 t° et une sale toux. Mon corps ne veut plus. Héros d'un jour pas Robots toujours
, nous dit cette fois une aide-soignante de nuit dans un Ehpad de la Somme (Haut-de-France). De manière générale, infirmiers et aides-soignants se demandent comment ils vont tenir le coup. L’une évoque une fatigue physique mais surtout psychologique
, avec trop de personnes qui partent dans des conditions inhumaines
, une autre raconte le poids des décès
et le son insupportable de fermeture des housses mortuaires
. Une aide-soignante qui exerce de nuit dans un hôpital public
a pu s’octroyer quelques jours de repos pour voir ses enfants. La séparation est difficile, je suis plus que fatiguée mais toujours debout avec une certaine anxiété quant à ma reprise
, commente-t-elle. Certains vont travailler avec la boule au ventre
. Beaucoup enfin parlent de la pression
qu’ils ressentent, de l’inconnu
quant à l’avenir qui leur pèse, du sentiment d’isolement et du rythme effréné qui leur est imposé au quotidien depuis le début de l’épidémie.
Je rentre chez moi je pleure un bon coup sur le chemin car à la maison, j’essaie de ne rien laisser paraître, j’ai une fille et un conjoint qui essaient de tout faire pour que je garde le moral - Julie, infirmière.
La peur d’une deuxième vague
Praticien dans un hôpital de la région parisienne, en première ligne pour traiter la déferlante de malades du coronavirus, un anesthésiste-réanimateur constate que les choses se calment depuis plusieurs jours
. Pour autant, assure-t-il à l'AFP, les équipes médicales et paramédicales restent sous pression. On ne peut pas vraiment dire que le moral s'améliore. Tout le monde sait que c'est loin d'être fini et qu'il va falloir tenir
. Tenir, sur la longueur. C’est bien là toute l’inquiétude. On ne pense que très rarement à autre chose, y compris à la maison... Toutes les discussions tournent autour de ça. A l'hôpital, les esprits commencent à fatiguer et à s'essouffler. Certaines tensions commencent à apparaître. Il est difficile de couper dès la sortie de l'hôpital. Et surtout, dès qu'on a un moment, on essaye de dormir
, raconte ce professionnel qui redoute une deuxième vague. J'imagine que tout le monde voudra partir en vacances. Alors même qu'on s'attend à ce que l'activité reprenne de manière explosive. On craint que les instances directoires des hôpitaux souhaitent une reprise très rapide de l'activité habituelle. Les gens risqueront de craquer à ce moment-là
. Une peur qui anime également une étudiante en Ifsi qui nous a fait part de son témoignage : Nous avons une semaine de répit, on nous autorise une semaine de vacances sur les deux car il y a une accalmie dans les services pour le moment, par contre, nous devons nous tenir prêts pour une éventuelle - et redoutée - deuxième vague
.
Lundi 13 avril, une image représentait l’état d’esprit général : des salariés confinés avec les résidents à l’Ehpad Bergeron Grenier, en Charente, sont sortis vers 19h, de leur bulle, sourire aux lèvres mais pour beaucoup avec les yeux cernés. Si c’était à refaire, on le ferait (...) mais on est fatigués quand même, on veut DORMIR!
, ont-ils confié aux grilles de l'établissement.
Ressources à disposition pour aider les soignants en ces temps difficiles (en partenraiat avec SPS, COVID19 Presse PRo, MNH, Infirmiers.com et Le Quotidien du Médecin
- Fiche repère d'accompagnement psychologique - COVID-19 : Stress et burnout
- Fiche repère d'accompagnement psychologique - COVID-19 : Insomnie
Susie BOURQUINJournaliste susie.bourquin@infirmiers.com @SusieBourquin
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