"Levez-vous pour les droits des femmes" : la thématique choisie pour l’édition 2020 de la Journée internationale des femmes, le 8 mars prochain. Se lever et s’engager pour les droits des personnes, et particulièrement des femmes, c’est ce que fait Justine Breton, infirmière au Samusocial de Paris, tous les jours, en allant à la rencontre des femmes qui, en rupture sociale, vivent dans la rue.
La proximité. Le lien. Le regard porté sur l’Autre, vulnérable, démuni. Le défi de gagner sa confiance afin de faire émerger ses besoins, les comprendre et lui trouver les solutions les plus adaptées
. Pour Justine Breton, infirmière au Samusocial de Paris, en poste en "maraude de
jour", les mots sont posés pour définir ce pour quoi elle s’est engagée. Nous allons vers des personnes, hommes, femmes, enfants, pour qui la rue constitue le seul univers, elles y vivent, dans la débrouille, s’y adaptent par pure nécessité. Si elles ne demandent plus rien, le plus souvent en rupture totale avec la société, des besoins émergent lorsque nous les rencontrons. Sans jamais rien leur imposer, nous devons alors tenter de les convaincre un tant soit peu de la nécessité de se faire soigner, de se mettre à l’abri, de retrouver leurs droits de base, de faire un pas en avant pour sortir de l’exclusion… Et ce n’est pas le moindre des défis
.
En effet, pour les femmes vivant dans la rue, de tout âge, de toute nationalité, de toute ethnie, les problématiques s’accumulent souvent, d’autant quand la vulnérabilité engendre la violence ou des états de dépendance délétères. Comment fait-on, en effet, quand on n’a pas ou très peu de ressources, une situation administrative précaire, voire inexistante et pas de toit, pour se débrouiller au quotidien ?
Parmi les grands principes qui fondent notre action figurent l'inconditionnalité, le respect
de l'anonymat et le libre choix des personnes d'accepter ou non l'aide proposée... - rappelle
Justine
Soulignons que rares sont les études* à dominante quantitative portant sur le public féminin à la rue, les femmes en situation de sans-abrisme étant et restant souvent invisibles, au propre comme au figuré
, selon le Samusocial de Paris. Pourtant, tous les acteurs de terrain sont unanimes : ces dernières années ont vu augmenter le nombre de femmes seules en demande d’hébergement, et le profil socio-démographique a évolué sensiblement depuis 2012. Lors des dernières Nuits de la Solidarité, à Paris, en 2018, 2019 et 2020, 12 % des personnes sans-abri rencontrées étaient des femmes, alors qu’elles n’étaient que 2 % en 2012. Autre chiffre, les demandes d’hébergement des femmes appelant le 115 de Paris témoignent également de ce phénomène : de 95 demandes quotidiennes en moyenne par jour en 2017, 106 ont été enregistrées en 2019, dont 57 ne pouvant aboutir à une solution d’hébergement faute de place.
La maraude de jour est une maraude d’évaluation et d'orientation sanitaire. En 2019, 35% des personnes rencontrées par la maraude de jour étaient des femmes
Au Samusocial de Paris, la maraude de jour est une maraude sanitaire. Elle vient en appui des maraudes partenaires, professionnelles et associatives de veille sociale (notamment la RATP, l’Unité d’Assistance aux Sans Abri) et intervient dans les Centres d’Hébergement d’Urgence qui ne bénéficient pas de personnel médical/paramédical. Justine est l’une des trois infirmières de cette maraude de jour. Notre mission permet aux personnes installées en rue, et qui n’ont pas ou plus accès aux soins, d’avoir une évaluation sanitaire - somatique et psychique - et potentiellement d’être accompagnées vers un lieu de soins, ou encore de réaliser le soin sur place, ce qui est plus rare
.
Du lundi au vendredi, en mission de repérage ou suite à un signalement, Justine arpente les différents arrondissements parisiens à la rencontre de ces personnes en grande précarité. La rue est un monde à part et ceux qui y vivent, en marge de la société, en inventent les lois quand ils ne les subissent pas
, explique Justine. Les femmes, à cet égard, sont particulièrement exposées à la violence de la rue. Au quotidien, elles peuvent mettre en oeuvre des "stratégies de dissimulation" pour ne pas être repérées comme vivant à la rue. Elles évitent de rester au même endroit, parfois se cachent, se déplacent beaucoup. Être en mouvement permet de se fondre dans la foule et de ne pas attirer l’attention... Certaines se griment afin de se faire passer pour des hommes, d’autres misent sur leur apparence pour passer inaperçues, restant propres et habillées comme tout un chacun.… D’une façon générale, les femmes développent des mécanismes de défense sensés les protéger. De fait, parfois, même après un signalement, on les cherche et la relation est parfois difficile à instaurer au premier abord. Quand cela ne marche pas, on passe le mot aux autres équipes, à la maraude de nuit, qui poursuivront alors l’approche pour instaurer un lien de confiance, indispensable au suivi
.
Ces stratégies de dissimulation n’empêchent cependant pas les femmes d’être très souvent sollicitées par les hommes, qui leur proposent plus ou moins ouvertement d’échanger des relations sexuelles contre une nuit à l’abri ou de l’argent.
Justine apprécie ce travail, tous les jours sont différents en fonction des rencontres et des solutions proposées. Le Samu Social, elle l’avait découvert lors de son dernier stage alors qu’elle était en 3e année de ses études en soins infirmiers à l’Ifsi de Saumur. J’ai tout de suite compris que c’était dans ce type d’activité qui mêle sanitaire et social auprès des plus vulnérables que je souhaitais travailler en tant qu’infirmière. Une fois le DE en poche, j’ai postulé au Samusocial de Paris et, par chance, j’ai été retenue. Pendant un an, j’ai travaillé de nuit. Ce fut passionnant à bien des égards, avec des responsabilités importantes d’emblée pour la jeune infirmière que j’étais – elle avait alors 26 ans – mais aussi assez éprouvant physiquement. Mais cette expérience "au milieu des sans-abri la nuit" a boosté mes compétences pour pouvoir gagner en autonomie dans mon poste de jour. En effet, l’adaptation à l’autre et à ses besoins est l’une des qualités requises. Il nous faut sans cesse adapter notre plan de soin, l’inventer en s’appuyant sur les nombreuses structures d’aide à l’insertion, parfois méconnues, qui existent, remettre en question nos a priori, ouvrir notre esprit pour accueillir d’autres cultures, d’autres croyances. Il faut aussi continuer à nous révolter car les histoires que nous entendons et les situations que nous rencontrons réveillent chez le professionnel de santé que nous sommes un fort sentiment d’injustice. Toutes ces raisons me donnent vraiment envie de m’engager pour tenter d’améliorer la situation de toutes ces personnes en très grande précarité, d’autant plus lorsque ce sont des femmes
.
Pour Justine, le sens de son engagement est également de lever le voile sur celles et ceux que l’on ne voit pas, que l’on ignore, parce que trop dérangeants. Une chose est sûre, elle est là pour en témoigner et le faire savoir au plus grand nombre : ce qui a été vu ne peut plus jamais être invisible
.
Aller vers les personnes pour maintenir le lien social, voire le recréer...
Rappelons-le, le terme « Samusocial », né en 1993, désigne une approche professionnelle de lutte contre la grande exclusion qui vise à apporter à tout moment, de jour comme de nuit, une assistance aux personnes sans domicile fixe et à rechercher la réponse la plus adaptée au besoin qu’elles expriment. Les équipes d'intervention mobiles déployées en nuit et en journée, composées uniquement de professionnels (travailleurs sociaux, éducateurs spécialisés, infirmier(e)s) vont à la rencontre de ces personnes avec à leur disposition un ensemble d'actions de lutte contre la grande exclusion : écoute et orientation par le 115 de Paris, hébergement en centres d'hébergement d'urgence (CHU), accueil de jour, soins en Lits Halte Soins Santé (LHSS) et Lit d'Aide Médicalisé (LAM), écoute et évaluation sociale, orientation vers une structure adaptée à la personne… Les personnes restent toutefois libres de leurs décisions. Inaugurée par le Samu Social de Paris, cetteapproche a été reprise dans toute la France, et a aussi participé à la naissance du Samu social International, une organisation non gouvernementale qui déploie aujourd’hui ses activités dans le monde entier.
*A lire - Enquête "Les femmes seules dans le dispositif de veille sociale" : une enquête auprès du public accueilli à l’Espace de Solidarité et d’Insertion (ESI) « Halte Femmes », Observatoire du Samusocial de Paris, 2017
Bernadette FABREGASRédactrice en chef Infirmiers.combernadette.fabregas@infirmiers.com @FabregasBern
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