Les soignants aussi sont confrontés aux inégalités d’accès aux soins. C’est le constat que dresse l’observatoire annuel sur la santé des professionnels de santé de la Mutuelle Nationale des Hospitaliers (MNH)*. « Les chiffres de l’observatoire sur la question des inégalités sont préoccupants », résume Gaël Sliman, le président d’Odoxa. Deux tiers (63%) des soignants interrogés ont ainsi indiqué être confrontés à au moins une inégalité d’accès aux soins (déserts médicaux, financement, genre, âge…), « notamment en ce qui concerne l’accès géographique et l’accès financier » (respectivement 36% et 30% des soignants concernés). Soit 15 points de plus qu’en population générale, où tout de même 48% des Français affirment y être confrontés. Le constat est « troublant », car « les professionnels de santé, qui devraient être mieux lotis, sont plus nombreux à dire qu’ils sont concernés ».
Les soignants confrontés à des difficultés d’accès spécifiques
C’est qu’en plus des freins, connus, identifiés, auxquels sont confrontés les citoyens français, les professionnels de santé se heurtent à des obstacles inhérents à leur domaine d’exercice. À commencer par le manque de temps pour se faire soigner, selon Médéric Monestier, directeur général de la MNH. Il y aurait ainsi la difficulté « d’être engagé dans sa carrière professionnelle en permanence avec du mal à retourner dans un établissement pour se faire soigner » avec, d’autant plus « une retenue » à bénéficier des soins présents sur leur lieu de travail. Ils recherchent donc « des solutions extérieures, et c’est là qu’ils sont confrontés aux difficultés d’accès. » À noter que ces inégalités d’accès aux soins varient en fonction des métiers, selon que l’on parle d’aides-soignants, d’infirmiers ou de médecins. « Notre système hospitalier est très inégalitaire, très stratifié », observe Daniel Benamouzig, sociologue et titulaire de la Chaire Santé de Sciences Po. Les rémunérations plus faibles des aides-soignants expliquent ainsi qu’ils sont plus confrontés au frein financier que les médecins, à titre d’exemple.
Viennent enfin s’ajouter des inégalités qui ne relèvent pas du secteur de la santé, mais qui creusent par ricochet les inégalités d’accès aux soins : les transports, la charge des enfants, qu’il faut faire garder et qui entraînent des dépenses… « Il y a un contingent de variables qui viennent peser sur les états de santé des professionnels, liées à l’alimentation, aux conditions de travail, à l’environnement », liste-t-il.
« 20% des professionnels de santé disent être en mauvaise santé, contre 12% des actifs » en population générale, déclare Gaël Sliman. Ils sont également 37% à se dire insatisfaits de leur travail (un taux qui atteint 40% chez les infirmiers), malgré un vrai attachement à leur métier, soit 16 points de plus que les actifs en emploi. L’état de santé reste dégradé de manière générale, observe Daniel Benamouzig, qui souligne des troubles du sommeil, des douleurs physiques ou encore l’expression d’un sentiment de tristesse. « On est sur quelque chose d’assez holistique. » Néanmoins, l’observatoire tend à noter un ralentissement de cette dégradation. « Il y a chez un certain nombre d’acteurs une prise en compte qu’il faut traiter ces problématiques sur l’état de santé » des soignants, affirme de son côté Médéric Monestier. C’est le cas notamment des établissements, confrontés à des problématiques d’attractivité et de rétention de leurs professionnels. La mission d’Agnès Firmin-Le Bodo sur ce sujet est également perçue comme pourvoyeuse de solutions.
40% des professionnels de santé estiment que notre politique de santé n’est pas adaptée aux inégalités d’accès, notamment physiques, géographiques et financières.
Des inégalités d’accès qui ne sont pas assez prises en compte
Côté perception, les professionnels de santé « sont plus sensibles aux inégalités, qu’ils perçoivent plus facilement », poursuit-il. Selon l’observatoire, 41% des personnels de santé pensent que l’accès aux soins est plus compliqué pour les personnes en situation de handicap, un chiffre qui monte à 53% pour ce qui concerne les personnes précaires. Soit, dans les deux cas, une augmentation de 8 points par rapport à l’année précédente. En comparaison, ces chiffres atteignent respectivement 27% et 41% en population générale, note Gaël Sliman. Et si, globalement, les politiques de santé paraissent plus ou moins adaptées à la prise en compte de ces inégalités, soignants et Français « disent toutefois qu’il y a encore des progrès à faire ». Les professionnels de santé sont ainsi 62% à estimer que les politiques de santé ne tiennent pas du tout compte de l’accès géographique (vs 44% en population générale), et 44% à juger qu’elles négligent les difficultés d’accès liées aux conditions financières (vs 34% en population générale). « 40% des professionnels de santé disent que notre politique de santé n’est pas adaptée à ces inégalités, contre 45% qui estiment qu’elle l’est mais qu’elle doit s’améliorer », indique-t-il.
Ce chiffre de 40% est « un signal envoyé par les professionnels, un diagnostic sévère sur la présence de ces inégalités qui contrastent avec les valeurs universalistes » de notre système de protection sociale, juge Daniel Benamouzig. Or la capacité de lutter contre ces inégalités « n’est pas infinie ». Et s’il faut associer les publics qui en souffrent à la recherche de solutions, les problématiques rencontrées par les professionnels de santé se révèlent de plus en plus complexes, avec des profils qui supposent des prises en charge de plus en plus spécifiques (migrants, gens du voyage…). « Il y a toute une gamme de problématiques qui rendent les choses difficiles à prendre en charge. » Et elles le sont d’autant plus que 70% des professionnels de santé disent manquer de temps pour bien s’occuper des patients ; c’est notamment le cas pour 77% des infirmiers.
81% des professionnels de santé estiment avoir ressenti le besoin de recourir à une aide externe pour améliorer la relation avec les patients.
La médiation en santé, une solution encore trop peu mobilisée
Pour autant, soignants et établissements s’adaptent pour pouvoir prendre en charge ces situations complexes. « L’immense majorité des professionnels de santé estiment [y] avoir été suffisamment formés », reprend Gaël Sliman. Dans le détail : 84% le disent pour ce qui est des problématiques liées à l’âge des patients, 82% pour celles liées au handicap, ou encore 73% pour celles liées à la précarité. Et les trois quarts d’entre eux déclarent exercer « dans une structure qui a mis en place au moins un dispositif pour faciliter l’accès aux personnes vulnérables : traducteurs, mise en place d’une signalétique adaptée, langue des signes… »
Parmi les dispositifs avancés figure notamment la médiation en santé. « 81% des professionnels de santé estiment avoir ressenti le besoin de recourir à une aide externe pour améliorer la relation avec les patients. » Soit un concept qui fait son chemin dans l’esprit des soignants, qui sont 8 sur 10 à se déclarer prêts à accepter l’aide d’un tiers dans une situation de soin. Toutefois, la notion est encore trop majoritairement perçue comme un simple moyen d’améliorer la communication entre soignants et soignés ainsi que la gestion des conflits, nuance-t-il. Seuls 13% des professionnels de santé la perçoivent comme un moyen d’atteindre les personnes éloignées du soin. Il faut dire que « la médiation est un sujet émergent, qui pose un certain nombre d’enjeux éthiques », souligne Daniel Benamouzig, et qui recouvre une pluralité de rôles et de fonctions (assistantes sociales, traducteurs, patients experts…).
Pour y avoir plus largement recours, encore faudrait-il donc que la médiation en santé fasse l’objet d’une redéfinition. Et bénéficie de moyens spécifiques. « 52% des soignants, contre 38% des Français, nourrissent l’idée qu’il n’y a pas de financements dédiés », relève Gaël Sliman. « À ce stade, la médiation en santé n’est pas une priorité de santé publique. Mais elle renvoie à beaucoup de situations, de problématiques, de types d’acteurs où il y a un besoin de médiation. Je pense que tout cela va nourrir une réflexion publique, avec une chance de déboucher sur des actions de santé publique », veut néanmoins croire Daniel Benamouzig. Et ce d’autant plus qu’elle présente un réel intérêt économique, en évitant les ruptures de parcours ou les prises en charge inefficientes.
Consulter l’intégralité de l’observatoire
*Présenté le 26 octobre et réalisé par Odoxa, en partenariat avec la Chaire Santé de Sciences Po.
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