Les aidants, ces proches qui viennent en aide à titre non-professionnel pour aider un membre de leur famille malade, handicapé ou fragilisé ont été plus mobilisés que jamais depuis le début de la pandémie de Covid-19. Épuisement physique et moral, détresse, isolement, ils tirent pour la plupart un bilan amer des périodes de confinement.
La diminution ou la suppression des aides à domicile, la fermeture des structures d’accueil en raison de la pandémie et la promiscuité liés aux confinements ont fortement fragilisé les 11 millions de Français qui viennent en aide à un proche. Les logiques d’adaptation ont exacerbé des inégalités ou des dysfonctionnements préexistants et ont contraint ces aidants à repousser leurs limites.
Un quotidien bouleversé
Quand vous êtes dans une situation de mal-logement et qu’à l’aune du premier confinement, il y a des établissements médico-sociaux qui ferment et que vous avez accueilli chez vous, un proche en situation d’handicap et qu’en même temps, vous devez télétravailler, avec des enfants dont il faut assurer le suivi scolaire, ça relève de l’impossible
, explique Gwénaëlle Thual, présidente de l’Association Française des Aidants. Les confinements ont bouleversé le quotidien et ont aussi contraint certains proches à endosser un nouvel rôle et à s’improviser aidant malgré eux. L’Association Française des Aidants a reçu le témoignage d’une personne ayant vécu plusieurs mois à des centaines de kilomètres de sa maison pour venir en aide à sa mère en raison de la suspension d’aide à domicile : Il était loin de sa conjointe et de ses enfants et il a dû prendre le relais pour effectuer des gestes qui étaient jusqu’alors assurés par des professionnels
, rapporte Gwénaëlle Thual. Si certains se sont transformés en soignant pendant le confinement, c’est aussi par peur de faire rentrer une personne extérieure qui pourrait contaminer leur proche aidé : Des aidants ont souhaité la suspension des visites de professionnels
, a constaté Gwénaëlle Thual. Ils témoignent aussi du stress de transmettre eux-mêmes le virus alors qu’ils sont là pour aider
, ajoute Morgane Hiron, déléguée générale du Collectif je t’Aide. Certains aidants ont reçu un appel de l’hôpital pour venir chercher leur proche. Il fallait faire de la place pour les cas de Covid-19
, déplore Claudie Kulak, fondatrice de l’association La Compagnie des Aidants. Au début de la pandémie, un aidant sur deux a dû faire face à la fermeture de la structure d’accueil de la personne aidée selon une enquête Ipsos/Macif intitulée : Aidants : le temps des solutions ?
(1). Pour les établissements restés ouverts, les visites étaient pour la plupart interdites : L’impossibilité de rendre visite à son proche a engendré des inquiétudes, des blessures ou même pire, des deuils empêchés
, regrette Gwénaëlle Thual. Pour Morgane Hiron, la crise sanitaire a mis l’accent sur l’absence de reconnaissance du rôle des aidants : Le fait qu’un aidant ne puisse pas accompagner son proche à un rendez-vous médical sous prétexte du Covid-19 montre à quel point on ne se rend pas compte de la plus-value du proche aidant lors des rendez-vous médicaux.
Des aidants qui se transforment en soignants
La réduction de l’accès aux soins a poussé Sophie, 32 ans, aidante à temps plein de son père atteint de la maladie à corps de Lewy, à effectuer des tâches d’aide-soignante ou d’auxiliaire de vie : Je me suis séparée de l’aide à domicile pendant le premier confinement car elle était de moins en moins investie. Depuis, le marché est saturé. Je n’arrive plus à trouver une remplaçante. Il y a beaucoup de demandes. En ce moment, les auxiliaires ont le choix alors elles sont plus exigeantes. Je suis obligée de faire les toilettes et de transporter mon père, seule, d’un endroit à un autre.
Sophie aide son père âgé de 76 ans depuis qu’elle a 22 ans ; lorsqu’il a fallu qu’elle s’occupe pleinement de lui lors du premier confinement, la toilette était un moment qu’elle redoutait : C’était gênant car mon père arrivait parfois à me reconnaitre en tant que sa fille et il a toujours été très pudique. De mon côté, je me disais qu’il fallait que je le voie comme un corps et pas comme le corps de mon père car il y avait une forme d’urgence à passer outre ces blocages
. En mars 2020, 56 % des interventions d’aide à domicile ont été suspendus pendant le premier confinement d’après une étude du collectif Je t’Aide, en partenariat avec le bureau d’études émiCité : Les aidants à l’épreuve du confinement
(2). Comme Sophie, 55 % des aidants interrogés ont effectué des actes habituellement réalisés par des professionnels tels que le changement de pansements ou la pose ou le retrait de cathéter. Sur sa plateforme de formation qui propose des tutoriels vidéo sur les gestes et postures à adopter pour transférer l’aidé du lit au fauteuil ou le relever après une chute, l’association La Compagnie des Aidants a vu son nombre d’inscrits augmenté de manière fulgurante : En deux mois, nous avons reçu 180 inscriptions contre 30 habituellement sur cette même période
, rapporte la fondatrice de l’association. Les aidants ont pallié l’absence de professionnels. S’ils n’avaient pas été présent, notre système de santé n’aurait pas tenu le coup à ce point
, estime-t-elle.
"Je me suis enfermée dans la salle de bain et j’ai appelé une ligne d’écoute"
Le manque de suivi médical ou paramédical et le manque de lien social ont contribué à l’accentuation de l’épuisement physique et moral des aidants. Anaïs est la mère d’un garçon autiste de 10 ans, Nathan, qui partageait son temps entre l’école et un centre éducatif. Lorsque les deux structures ont fermé, Anaïs a mis son travail entre parenthèses pour se consacrer à son fils : Nathan ne peut rester concentré plus de dix minutes sur une activité. Il fallait construire un emploi du temps. Je passais deux heures par jour dans notre garage à vélo parce qu’il a un intérêt restreint pour les vélos et les cadenas. Ce qui me permettait de passer quelques coups de téléphone.
Depuis le début du premier confinement, Anaïs a remarqué une augmentation des troubles du comportement chez son fils. La crise sanitaire a décuplé les difficultés et l’anxiété de cette mère : Au bout de trois semaines, je me suis enfermée dans la salle de bain et j’ai appelé une ligne d’écoute.
À l’association Française des Aidants, les « cafés des aidants », qui se tiennent généralement dans un bar, un restaurant ou dans un café associatif, ont adapté leur action au distanciel : C’est un espace de partage coanimé par un psychologue et un travailleur social. Pour répondre aux préoccupations liées au Covid-19, nous avons aussi adapté nos thèmes en traitant des sujets tels que les effets du confinement sur la santé
, explique Gwénaëlle Thual. En plus de l’impact psychologique, la santé physique des aidants a elle aussi été contrariée. Sophie aidante de son père depuis 10 ans, a récemment ressenti une douleur de sciatique dans la jambe et ne se sent plus apte à prendre soin de lui : Ces soins vitaux en pâtissent. J’espère bientôt donner le relais à un Ehpad pour un court séjour. Depuis que je suis aidante, je redoutais l’entrée en Ehpad de mon père mais ce sera salutaire car je ne peux plus lui offrir ce qu’un établissement spécialisé peut lui offrir
, confie-t-elle.
Des liens renoués et un congé pour les aidants
Les témoignages recueillis et ceux reçus par les associations d’aidants ne sont pas tous alarmants. Des liens ont été renoués, des solidarités ont été renouvelées. Malgré les énormes difficultés sociales, économiques et psychologiques de la crise sanitaire, on a vu un élan de solidarité
, observe Morgane Hiron du collectif je t’Aide. Les confinements ont permis à Ornella, fondatrice de l’association Manon Cœur de Lion
et mère aidante de Manon, 3 ans, atteinte d’une maladie mitochondriale, de passer plus de temps avec sa fille : Je suis devenue sa kinésithérapeute. J’ai aussi eu plus de temps pour lui donner des exercices de stimulation visuelle. Avant le premier confinement, je pensais souvent à faire une pause dans ma carrière professionnelle pour faire plus d’activités avec ma fille. Les confinements m’ont offert cette possibilité.
Face aux difficultés rencontrées par les aidants, l’Etat a décidé d’agir et de mettre en place un congé dans le cadre du plan Agir pour les aidants
. Depuis le 1er octobre 2020, un aidant peut bénéficier d’une allocation journalière de 52,08 euros par jour s’il vit seul et de 43,83 euros s’il vit en couple (3). Versée pour une durée de trois mois, cette allocation peut être renouvelée jusqu’à un. Elle concerne les salariés du secteur privé, les agents publics, les demandeurs d’emploi indemnisés et les personnes exerçant une activité occasionnelle rémunérée. Ce congé permet aux aidants de suspendre ou réduire temporairement leur activité professionnelle tout en étant indemnisé. Morgane Hiron regrette toutefois que cette allocation ne s’adresse qu’au proche aidé évalués en GIR 1, 2, 3 (classement du niveau de dépendance des personnes âgées) ou handicapé à 80 % ou plus : Ce congé exclut toutes les personnes qui sont atteintes de maladies chroniques et les personnes handicapées en dessous de 80 %.
Notes
- Enquête Ipsos/Macif :
Aidants : le temps des solutions ?
- Etude du Collectif je T’Aide réalisée par émiCité
Les aidant.e.s à l’épreuve du confinement
(associationjetaide.org) - Décret relatif à l’allocation journalière du proche aidant Décret n° 2020-1208 du 1er octobre 2020 relatif à l'allocation journalière du proche aidant et l'allocation journalière de présence parentale - Légifrance (legifrance.gouv.fr)
Inès KheireddineJournaliste infirmiers.com ines.kheireddine@gpsante.fr
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