Les deux confinements, et plus largement l’ambiance générale dans laquelle sont plongés les Français depuis le début de la crise de Covid-19, portent un coup dur au moral. Plusieurs études en cours observent comment les troubles psychiques, combinés à d’autres facteurs antérieurs à la crise, influent sur la santé mentale des Français. Tous sont potentiellement concernés, cependant les professionnels de santé se retrouvent en première ligne.
Si en France peu d’études existent, des travaux menés au Canada ont montré que 50 % des soignants ont des symptômes d’anxiété et que 40 % d’entre eux sont dépressifs. Dans notre pays, durant les deux années précédentes, l’expression des nombreuses tensions existant dans les hôpitaux publics ont déjà fortement affectés les soignants. En 2019, par de nombreuses manifestations, des périodes de grève sans précédent, et par la profusion de démissions de chefs de service, ils ont exprimé l’urgence à augmenter les moyens humains et financiers alloués au système de soins. Ces professionnels sont en effet particulièrement inquiets, au vu de la détérioration de leurs conditions de travail et de son impact sur la prise en charge des patients.
Une pression supplémentaire
Les professionnels de santé directement impliqués dans le diagnostic, le traitement et les soins des patients atteints de Covid-19 ont été confrontés à de multiples sources de stress : manque d’équipements de protection individuelle, information incomplète concernant le nouveau coronavirus, risque de contamination personnelle et de transmission familiale, charge de travail exacerbée et prolongée, nombre inhabituel de décès parmi les patients, collègues ou membres de la famille. Les soignants ont également été confrontés à une réorganisation de leur travail, et pour certains ont dû intégrer des services de soins qui n’étaient pas leur lieu d’exercice habituel. Ils ont également fait face à de lourdes questions morales ou éthiques, liées à la prise en charge et l’orientation des patients.
Aujourd’hui, d’autres facteurs similaires à ceux qui touchent l’ensemble de la population peuvent venir s’ajouter à la détresse psychologique des professionnels de santé : perte de repères professionnels et sociaux liée au confinement, changement de la dynamique familiale (abus de substance, comportement violent, etc), angoisse des enfants en bas âge, manque de perspective et désorganisation des adolescents.
Des inégalités sociales de santé mentale chez les professionnels de santé
Depuis le début de l’épidémie, certaines études préliminaires, conduites notamment au Brésil et en Chine, suggèrent l’existence d’inégalités sociales en matière de santé mentale chez les professionnels de la santé. En effet, ces professionnels constituent une population hétérogène, avec des profils divers en termes de sexe, niveau de diplôme, catégorie socio-professionnelle, niveau de recrutement, type de contrat, revenus, conditions de logement, structure familiale, site d’exercice (rural/semi-rural/urbain), ou localisation géographique (désert médical, métropole).
Pourquoi si peu d’études sur la santé mentale des soignants avant l’épidémie de Covid ?
La santé mentale des professionnels de santé est un sujet peu étudié jusqu’à présent – la crise du Covid-19 a mis en lumière la nécessité d’évaluer cette dimension et proposer des stratégies pour améliorer le bien-être de cette catégorie professionnelle. S’intéresser à la santé des soignants peut paraître tabou, les soignants étant censés être en bonne santé, ne pas avoir de fragilités, et s’occuper des patients. Depuis le début de la pandémie de Covid-19, les professionnels de santé ont été considérés comme des héros. Si, d’une part, c’est une source de reconnaissance et améliore leur estime de soi, il peut aussi s’agir d’une source de pression sociale.
L’image héroïque va de pair avec l’illusion de l’absence d’échec, de maladie, et l’idée que les soignants doivent être prêts à aider à tout moment.
Un outil pour aider les soignants
S’il n’est pas pensable d’encourager les professionnels de santé à s’habituer à leurs conditions de travail, il est indispensable de les aider à avoir les moyens de faire face aux nombreuses sources de stress auxquels ils peuvent être exposés. De nombreuses initiatives ont été prises, telles que la facilitation de consultations psychologiques ou la mise en place de hotlines psychologiques. Néanmoins les actions de prévention des difficultés de santé mentale des soignants sont rares. Dans ce contexte, l’équipe ERES au sein de l’Institut Pierre Louis d’Épidémiologie et de Santé publique à l’Inserm/Sorbonne Université, a lancé une étude pour évaluer un outil numérique permettant aux professionnels de santé d’évaluer leur exposition au stress et leur permettre d’augmenter leurs capacités de résilience.
Cet outil, PsySTART-Responders, a été développé par Merritt Schreiber et ses collaborateurs et validé dans des études menées dans différents pays comme en Italie aux Philippines ou aux États-Unis. Il inclut un bref auto-questionnaire portant sur 19 facteurs de risque de stress liés à l’activité professionnelle : nature des patients, exposition au virus, inquiétudes concernant sa sécurité ou celle de ses proches, etc. Il doit être complété régulièrement. L’outil intègre aussi un programme de soins, intitulé APD pour "Anticiper, Planifier, Déterminer". Ce dernier est conçu pour renforcer les capacités de résilience des soignants.
Un auto-questionnaire pertinent
Ce dispositif étant un auto-questionnaire court, il ne nécessite pas la présence d’enquêteurs formés, ce qui est particulièrement pertinent en cette période où les professionnels de santé sont peu disponibles et les contacts physiques et sociaux limités.
Le programme APD inclut trois phases :
- Anticiper : introduction sur les facteurs de stress ;
- Planifier : identification des facteurs de stress que les personnes trouvent difficiles à gérer, et de ressources adaptatives comme le soutien social ;
- Déterminer : mise en œuvre du plan personnel pour gérer et atténuer le stress identifié dans le volet « Planifier ».
Une composante essentielle de ce programme consiste à surveiller son niveau d’exposition au stress afin d’adapter de manière continue le plan de résilience personnel.
Une étude pilote
Entre le 18 mai et le 25 juin 2020 nous avons mené une étude pilote (résultats à paraître) pour tester la faisabilité de PsySTART-R auprès de 42 professionnels de santé travaillant avec des patients atteints du Covid-19 au sein de trois hôpitaux d’Ile-de-France. La plupart ont répondu à toutes les questions incluses, ce qui indique un bon taux de faisabilité. Les résultats mettent en évidence un niveau élevé d’exposition au stress et une forte prévalence des symptômes de dépression, ce qui souligne l’importance de mener des actions de prévention de ce type. La population étudiée était en grande majorité composée de femmes (81 %), d’un âge moyen de 42,6 ans. Les professions paramédicales étaient deux fois plus représentées (28 personnes) que les professions médicales (14 personnes). Plus de la moitié des professionnels de santé (54,8 %) étaient présents dans leur poste depuis quatre ans ou plus.
Pour évaluer l’efficacité de PsySTART-R, nous prévoyons maintenant de mener une enquête épidémiologique longitudinale auprès d’un échantillon de 800 professionnels de santé hospitaliers travaillant auprès de patients infectés par le Covid-19, afin d’évaluer leur santé mentale pendant l’épidémie et de renforcer leurs capacités de gestion du stress.
La crise sanitaire liée au Covid-19 accentue l’exposition à de nombreux facteurs de stress chez les soignants. L’impact de cette situation exceptionnelle est accentué par les difficultés de l’hôpital public décrites depuis plusieurs années et provoque une augmentation des niveaux de détresse psychologique, dépression, et trouble de stress post-traumatique. Le développement d’actions de prévention telles que celle que nous développons pourrait permettre de réduire l’impact du stress sur les soignants et limiter les difficultés de santé mentale.
Cet article s’inscrit dans le cadre du Festival des idées, qui a pour thème cette année les « nouvelles normalités ». L’événement, organisé par l’ASPC (Alliance Sorbonne Paris Cité), se tient entièrement en ligne les 20 et 21 novembre 2020 ; The Conversation est partenaire de l’événement.
Maria Melchior, Epidémiologiste, Inserm; Cécile Vuillermoz, Chercheure post-doctorante en épidémiologie, Inserm et Leticia Bertuzzi, Psychologue, GHU - Paris / Inserm - Equipe de Recherche en Epidémiologie Sociale (ERES), Sorbonne Université
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original publié le 20 novembre 2020.
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