Certaines familles disent ne pas avoir vu leur proche détenu pendant des mois, d’autres n’arrivent pas à se faire à cette vitre de plexiglas de 8mm derrière laquelle se trouve un fils, un père, une mère, qu’on entend mal et ne peut plus toucher. En prison, la survenue du Covid-19 a rimé avec une accentuation de l’isolement pour les personnes incarcérées. Si les mesures se sont assouplies lors du 2e confinement, elles restent néanmoins difficiles à vivre pour les détenus et leurs familles. Carole (par mesure de sécurité, l’identité complète de la personne ne sera pas dévoilée) est infirmière en milieu carcéral. Détachée du CHU de Caen (en Normandie), elle intervient dans les unités sanitaires dispositif de soins somatiques (USDSS), qui assurent la prise en charge de la santé des détenus. Pour son équipe comme pour les personnes incarcérées, l’arrivée de la pandémie a bouleversé le quotidien.
D’après l’Observatoire International des Prisons, depuis le début de l’épidémie en mars, 33 clusters avaient été identifiés dans les établissements pénitentiaires au 15 octobre, 57 quinze jours plus tard et 80 à la mi-novembre – et ce sur l’ensemble du territoire. Le 13 novembre, plus de 470 agents pénitentiaires et 204 détenus étaient positifs, entraînant de nombreuses mises en quarantaine (486 surveillants et 514 détenus)
. Pour limiter la propagation de l’épidémie, l’administration pénitentiaire a pris une série de mesures drastiques visant à limiter un maximum les échanges avec l’extérieur et les déplacements au sein des établissements.
L’arrivée du Covid a eu un impact vraiment très important en prison
, confirme Carole, infirmière en milieu carcéral à Caen. Nous avons été obligés de réorganiser tous nos soins infirmiers et l’ensemble des consultations médicales sur un temps très court
, explique-t-elle. En effet, en temps normal, les unités sanitaires au sein du pénitencier de Caen où elle exerce sont ouvertes
aux personnes incarcérées qui s’y rendent librement (En centre pénitencier, les détenus sont jugés et viennent purger leur peine. Ce sont le plus souvent des peines longues, voire très longue - perpétuité. Ils peuvent accéder librement à l'unité sanitaire pendant ses horaires d'ouverture. On dit qu'ils sont en régime ouvert
. A la maison d'arrêt au contraire, les personnes qui sont incarcérées soit ne sont pas encore jugées, soit effectuent des peines courtes. Elles sont en régime fermé
, c'est à dire qu'elles ne peuvent pas sortir seules de leur cellule). Il a donc fallu limiter les déambulations. Instauration d’horaires, limitation de l’accès aux unités sanitaires aux visites vraiment justifiées et essentielles
(ce qui implique, chaque jour, de mesurer le degré d'urgence des demandes avant de donner accès à l'unité sanitaire), renouvellement de traitements pour certaines maladies chroniques sans consultation... Il nous a aussi fallu réorganiser la distribution de traitements, alors que certains détenus venaient tous les jours chercher leurs médicaments. Considérés comme autonomes, ils ont été invités à ne venir que deux fois par semaine
. Mot d’ordre donc : rationnaliser les allées et venues.
Isolement pendant 7 jours pour les nouveaux venus
Lors du premier confinement, notamment en raison de l’absence de matériel de protection (pas de masques, ni pour les soignants, ni pour les détenus), toutes les interventions extérieures ont été arrêtées. Addictologues, sophrologues… ont cessé leurs interventions. Une décision qui a donc limité un certain nombre de consultations médicales
, souligne Carole, qui a vu le retour de ces professionnels d’un bon œil dès le second confinement, à l’exception du sophrologue qui fait surtout des consultations de groupe
. Aujourd’hui, seules les consultations individuelles sont de nouveau possibles
. Pour les nouveaux arrivants, le régime a aussi été draconien. « Nous avons établi des protocoles spécifiques pour toutes les personnes qui viennent de l’extérieur et qui arrivent en détention : encore aujourd’hui, elles sont isolées pendant 7 jours. Elles sont donc placées seules en cellule (ou à deux lorsqu’elles sont arrivées le même jour). Au terme de ces 7 jours, on leur fait passer un test PCR et si celui-ci est négatif, on lève l’isolement et la personne incarcérée peut intégrer la détention standard », détaille l’infirmière. La prison étant un lieu complètement fermé, il fallait à tout prix limiter les transmissions venant de l’extérieur
, explique-t-elle, des mesures nécessaires qui ont néanmoins contribué à l’isolement des détenus.
L’équipe soignante s’est aussi chargée de la mise en place des tests de dépistage : 3 jours par semaine, des tests sont ainsi pratiqués, que ce soit à la maison d’arrêt ou au centre pénitencier, pour les entrants mais également pour les gens qui sortent en permission (professionnelle ou familiale). Quelle que soit la durée de leur permission, les détenus sont forcément isolés pendant 7 jours
, précise Carole. Les détenus qui doivent passer des examens au CHU de Caen sont également systématiquement dépistés
.
Enfin, il a fallu élaborer des protocoles en cas de positivité des tests de dépistage : ça a été un gros travail de collaboration avec la détention puisque des quartiers ont été créés au sein de la prison pour regrouper les personnes en isolement. Les lieux ont donc été complètement réorganisés
. Malgré toutes ces précautions, 4 personnes ont été testées positives au Covid à la maison d’arrêt de Caen lors du 2e confinement. L’unité sanitaire, elle, n’a recensé aucun cas.
L’absence générale de contacts a été particulièrement difficile à vivre pour les détenus.
Pas de sport, promenades en groupes réduits, visites restreintes pour les détenus
Lors du premier confinement, afin d'empêcher la propagation du virus en détention, les parloirs ont été fermés. Même chose pour les unités de vie familiale (UVF), suspendues pour éviter toute propagation du virus. Des mesures un peu assouplies lors du 2e confinement : pour éviter de suspendre de nouveau les parloirs, des vitres en plexiglas ont été installées, une distance imposée mal acceptée par les détenus et leur famille.
Pour les détenus, l’espace de liberté déjà limité s’est encore trouvé réduit. D’ordinaire, l’Education Nationale intervient en prison pour donner des cours et préparer les gens à différents examens, mais avec l’arrivée du Covid, tout s’est arrêté et les cours sont donnés à distance
. Une situation pas simple pour les détenus. Ce sont des gens qui ont des difficultés et ça a été d’autant plus difficile pour eux de travailler seuls
.
Alors que le sport représente aussi un exutoire de taille en prison, la fermeture des salles de musculation a eu un impact considérable sur le quotidien des personnes incarcérées. On a senti que les détenus étaient beaucoup plus tendus
, affirme ainsi Carole. Accès restreint à la culture avec la fermeture de la bibliothèque, conditions de promenades modifiées (sorties en petits groupes dans des espaces très restreints) ont aussi contribué à abattre le moral des personnes incarcérées, raconte l’infirmière qui a constaté, surtout lors du premier confinement, de nombreuses plaintes
.
Heureusement, la reprise des parloirs a redonné un peu d’espoir, malgré des mesures contraignantes : ils sont désormais limités à une personne et les détenus et leurs familles sont physiquement séparés par une paroi en plexiglas. Le nombre de personnes dans la salle de parloir est aussi limité
, souligne la soignante qui constate que l’absence générale de contacts a été particulièrement difficile à vivre pour les détenus
. Un exemple tout bête : en temps normal, les familles récupèrent le linge sale du détenu, le lavent et le ramènent, une opération interdite pendant le premier confinement. Une lingerie improvisée au sein de la prison a pris le relais : rien ne rentrait et rien ne sortait. Ça a été très mal vécu. Aujourd’hui, les objets qui entrent sont isolés pendant 48h avant d’être rendus aux détenus, qui se sont peu à peu faits à la situation
, concède l’infirmière. Aujourd’hui, on est plutôt sereins. On a l’impression que la situation est sous contrôle. Les personnes incarcérées ont plutôt peur pour leurs familles. Elles-mêmes se sentent en sécurité grâce aux mesures mises en place
.
Cette semaine, l’équipe soignante planche sur l’organisation de la vaccination : les personnes de plus de 75 ans et les personnes incarcérées de moins de 75 ans avec facteurs de risque devraient être vaccinées dans les deux semaines. Les personnes détenues sont très demandeuses
, précise Carole. Quant aux soignants de plus de 50 ans qui le souhaitent, ils ont aussi pu bénéficier du vaccin. Depuis jeudi 21 janvier, les doses viennent à manquer et certains soignants ont vu leurs rendez-vous de vaccination annulés…
Susie BOURQUINJournaliste susie.bourquin@infirmiers.com @SusieBourquin
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