La crise du coronavirus a entraîné de nombreuses modifications dans les organisations de santé. Des changements qui ont été décuplés dans les services de réanimation qui ont fait l’objet d’un afflux de patients sans précédent. Après avoir décrit les procédures drastiques qu’elle a mises en place afin de préserver la santé de ses équipes et fournir la meilleure prise en charge aux patients infectés, Rachel Lutz-Guiche, cadre de santé en réanimation au Centre hospitalier Alpes Léman (CHAL), fait le bilan de la nouvelle organisation qui a été mise en place et de l’accompagnement des patients comme des soignants dans cette période difficile.
Le soutien aux équipes
Toutes ces procédures et mises en place de bonnes pratiques ont été accompagnées d’actions régulières à l’attention des membres des équipes de soins. Elles se sont concrétisées par :
- la conception d’un livret évolutif des procédures de prises en charge de patients covid19, notamment pour l’habillage/déshabillage, la décontamination des locaux et surfaces, les procédures de gestion des DASRI, des prélèvements biologiques, la gestion des urines et des excrétât ou, la prise en charge des décès ;
- la réalisation de staffs paramédicaux journaliers 2 fois par jour (équipe de jour / équipe de nuit) pour assurer un accompagnement et un soutien des équipes en poste et répondre à leurs interrogation et inquiétudes. Le staff a permis de revoir les procédures en cas d’incompréhension et de réajustement ;
- la mise à disposition d’un soutien psychologique par une cellule de psychologues disponibles 24h/24 en cas de besoin ;
- la mise en place d’un questionnaire de recueil journalier de la qualité de vie au travail (bien-être, fatigabilité) ainsi qu’un suivi et un reporting ;
- une salle de détente et de repas a été installée dans la zone de soutien du service afin de permettre au personnel de se ravitailler et de se reposer non loin de leur lieu d’exercice. Les repas ont été fournis et livrés dans le service. Des chambres ont été mises à disposition dans le bâtiment support et au sein d’un hôtel de proximité du CH.
Le but était d’anticiper et prévenir un risque d’absentéisme des soignants difficilement remplaçables. Le service a souhaité, au départ, fonctionner avec des soignants formés à la réanimation tout en assurant progressivement la formation de nouveaux soignants injectés dans le système afin de préserver le plus longtemps possible le travail proche du quotidien. Un accueil régulier de nouveaux professionnels a été réalisé pour anticiper le manque potentiel de ressources humaines et assurer la montée en compétences pérenne et bienveillante sur un secteur à compétences spécifiques et encore plus en période de crise REB.
Le soutien aux familles et aux patients
Pour les familles, malgré la sectorisation et les mesures barrières mises en place, il était nécessaire de maintenir le lien patient/famille. Un livret de vie du patient a été instauré par les soignants, de même qu’une adresse mail information-famille, une prise de photographies ou des vidéos Skype sur tablettes informatique. Pour les patients, d’autre part, il était nécessaire également de maintenir le "bien-être" par l’utilisation de la musicothérapie et de la pratique de l’hypnose.
Il a été essentiel également de répondre aux questionnements et aux préoccupations sur les effets de la pandémie dans les services de réanimation. Et d’accompagner les équipes dans le retour à l’équilibre, prévenir et fixer le cap à venir et gérer les incertitudes.
Accompagnement et stratégie de déÂconfinement
La préparation des équipes au déconfinement est une phase importante en termes d’accompagnement dans le retour à l’équilibre. Accompagner et garder les conditions de continuité conviviale et sereine est primordial. En effet, cette période de baisse d’activité, de phase descendante de la crise, est propice aux erreurs, en lien avec la baisse de vigilances des équipes. Les SAS et secteurs laissés en place ont permis de recréer, au fur et mesure de la décroissance de la crise sanitaire, des zones de patient covid+ et non covid. Les binômes IDE/AS dédiés à la zone covid et non covid et les EPI dans les différentes zones covid et non covid ont été maintenus. Il a été essentiel également de répondre aux questionnements et aux préoccupations sur les effets de la pandémie dans les services de réanimation. Et d’accompagner les équipes dans le retour à l’équilibre, prévenir et fixer le cap à venir et gérer les incertitudes.
Il a fallu d’autre part se préparer et préparer les équipes à affronter, dans les mois à venir, les répliques du tsunami sanitaire exceptionnel ainsi que les effets indirectes de l’attention intense face aux soins engendrés par l’épidémie, proposer un bilan d’activité post confinement et intégrer dans la démarche institutionnelle un RETEX, mais aussi réinvestir du temps dans la formation, la recherche médicale et paramédicale, ainsi que fixer un nouveau cap collectif et individuel à moyen terme, dresser des perspectives de changements et de nouveaux modes de coopération en lien avec la démarche qualité et la DSI.
La posture managériale consistera à favoriser les conditions d’une reprise sereine grâce au partage émotionnel, à l’écoute bienveillante et active, rester humble et savoir accueillir avec humanité, rassurer et valoriser le travail et l’investissement accomplis, savoir rester disponible pour les échanges impromptus et veiller aux perspectives de résilience individuelle et collective. Cette résilience en devenir est accompagnée entre autres par :
- la réalisation d’un film vidéo retraçant de la vie du service tout au long de la période covid et de photographies retraçant les étapes de préparation du service face à la pandémie ;
- la création d’un poster diffusant les remerciements des familles, des témoignages spontanés envers les personnels ;
- la création par les personnels de remerciements personnalisés pour les enseignes, artisans, particuliers ayant contribué au moral des troupes de par leurs dons, actions bienfaitrices ;
- l’apparition tout au long de la crise de photos issues de créations personnalisées des personnels ;
- la création d’une cagnotte pour le service de réanimation.
Retours sur la stratégie mise en place
Les résultats de cette stratégie mise en place par le service de réanimation est positif et nous conforte dans les actions choisies :
- l’absence de contamination croisée, d’infections nosocomiales en lien avec l’épidémie aÌ€ permis de renforcer ce sentiment de sécurité ;
- un taux de mortalité inférieur à 3% durant la période globale de l’épidémie ;
- l’absence d’AM, la maitrise de la fatigabilité, une ambiance du quotidien préservée fait penser que l’incidence psychologique est quasi nulle ;
- la fierté des équipes qui ont vu leur service être le fer de lance d’une organisation face à une crise sans précédent et qui a été dupliqué au sein des services d’extension de réanimation ;
- le renforcement de la cohésion des équipes ;
- la satisfaction des équipes sur le retour des familles (mots d’attention, dessins, nourriture...) ;
- la visite cordiale et inopinée du Dr Chabrol, Directeur des opérations de Médecins sans frontières, expérimenté dans les terrains sanitaires difficiles (EBOLA, Fièvres hémorragiques, etc.), qui a conforté notre dispositif, notre doctrine mise en place et reconnu la compétence de tous ;
- la confiance, transparence, agilité et pragmatisme, souplesse et ajustement du binôme CDS/Médecin Chef de service dans l’accompagnement des équipes ont permis l’efficacité du dispositif (mots d’attention et verbalisations spontanés des équipes) dans ce cercle vertueux. En effet le concept a été adopté et suivi par les équipes avec une adhésion sans faille. L’équipe s’est senti en sécurité ;
- la capacité de multiplier par 3,5 le potentiel du service de réanimation historique sans avoir subi de débordement ni de rupture.
La culture de la conduite de crise doit faire partie de la politique de l’établissement et dans les plans de formation et faire l’objet d’exercices réguliers.
Quelles leçons en tirer ?
L’appropriation de la doctrine proposée par le CDS opérationnel aux professionnels paramédicaux et médicaux de terrain a permis de répondre en toute quiétude au besoin sanitaire exceptionnel et d’affronter l’épidémie covid-19. Si les dirigeants de la communauté hospitalière ne sont pas encore aguerris à ce concept, il n’en demeure pas moins que les clés de la réussite résident dans la mise en place d’une politique globale de préparation, de planification, d’anticipation intégrée dans le projet d’établissement et déclinée dans tous les axes stratégiques de la politique managériale. Il est plus que jamais nécessaire d’être vigilant. Il convient en effet de considérer la menace Biologique comme une réelle menace NRBCE. Ce qui fait écho à la démarche d’accompagnement des établissements du territoire proposeÌÂ par l’ARS depuis 2019.
En regard d’un environnement instable et d’une réglementation structurante, il s’agit de se préparer face à ce risque et d’y répondre. Les interrogations initiales se questionnant sur la préparation des équipes soignantes (ES), sur leur potentiel structuration face à leur cœur de métier ont montré qu’il peut exister une réponse globale et une adaptabilité face à cette nouvelle menace grâce à l’implication sans faille, l’agilité, l’inventivité et l’opérationnalité des acteurs de terrain. L’organisation a pu ainsi se réaliser avec efficacité. L’organisation des ES et la gouvernance sont en pleine évolution et la gestion de crise reste complexe : anticipation, planification, adaptation, efficiences restent les maîtres mots.
Les prises en charge des patients, en lien avec des épidémies, sont complexes et risquées et peuvent potentiellement entraîner des accidents majeurs. Elles exigent donc un très haut niveau de sécurité sur des temps longs et nécessitent des modes d’organisation spécifiques avec des processus de coordination, de communication ainsi que de prise de décisions collectives adaptées et pilotées. En situation de crise, il est important que les différents acteurs en charge des activités critiques aient une conscience collective de la situation leur permettant de s’adapter de façon continue à de nouvelles informations, parfois disruptives et de les partager entre eux ; qu’ils soient capables de produire du sens individuellement et collectivement afin d’agir le plus efficacement possible.
Le management opérationnel mis en place dans le service de réanimation a été indispensable aÌ€ la gestion de cette crise. Il participe à réduire la tension extrême des équipes et maintenir les organisations. Le CDS opérationnel et spécialisé doit être doté d’un leadership agile pour manager la crise au sein de son service, favoriser l’esprit collectif, l’efficacité rapide hors du cadre, assumer les décisions et les conséquences, faire preuve d’humilité et d’abnégation. La mise en place d’un CDS opérationnel et d’un CDS RH en support a permis une gestion efficace du service permettant aux équipes de travailler dans une organisation fiable, sécuritaire et de les préparer à la situation sanitaire exceptionnelle de crise. La collaboration entre CDS opérationnel et CDS RH est un concept innovant issu du système de santé militaire ayant permis la réalisation du rôle de proximité dans une spécificité donnée. Cette particularité ne s’est pas limitée à accompagner la réalisation de gestes techniques, de soins ou de conseils, mais a permis d’exercer un rôle de décideur pour optimiser les soins et la sécurité des entrées au sein du service de réanimation.
La collaboration entre chef de service et CDS opérationnel a favorisé la prise de décisions médicales et organisationnelles dans un contexte d’incertitude prégnante. Prendre des décisions est courant mais les prendre dans des situations complexes et "hors cadre", a été le challenge spécifique de cette collaboration de terrain. Cela a permis d’allier un véritable savoir-faire et d’apprendre de cette situation exceptionnelle. Cette collaboration a été précieuse pour les équipes du service de réanimation. Elle s’est inscrite dans une action continue de préparation grâce à une communication régulière. Il a été indispensable de communiquer sur la stratégie et les mesures prises. Dès les premiers clusters le service s’est mis en mode planification et anticipation.
La culture de la conduite de crise doit faire partie de la politique de l’établissement et dans les plans de formation et faire l’objet d’exercices réguliers. Seule une structure de "commandement" organisée, préparée et entrainée permettra d’amoindrir le désordre, les maladresses, la confusion, le stress, la panique, la sidération et les initiatives aléatoires qui déstabilisent un peu plus l’organisation atteinte en situation de crise. Se préparer à la survenue d’une crise aÌ€ l’hôpital demande donc un investissement de grande ampleur de la part de l’ensemble des acteurs d’un établissement. Les multiples domaines demandant un cadrage précis des organisations à mettre en place et des missions de chacun, au sein du dispositif, ne doivent cependant pas faire oublier l’essentiel qu’est la gestion efficace d’un événement critique. Cette gestion passe par le développement en amont d’une réelle culture du risque et de la gestion de crise au sein de l’établissement. Celle-ci repose sur une analyse continue des risques prévisibles, mais également sur une sensibilisation et une préparation aÌ€ la gestion de l’incertitude.
Dans les systèmes complexes actuels "où l’imprévisible devient la règle", il ne s’agit pas de se préparer pour ne pas être surpris, mais surtout de "se préparer à être surpris, s’entraîner à être créatif", sans quoi nos organisations seraient "fortement exposées à un risque élevé de sidération et d’effondrement". Véritable défi pour nos organisations, ce changement profond de paradigme constitue la clef d’une organisation pertinente et fiable qui autorise l’innovation et l’adaptabilité. La nécessité du retour d’expériences (retex) et d’exercices est indispensable pour permettre aux équipes de passer d’un mode de préparation et d’organisation à un mode d’action tout en affirmant sa compétence adaptative.
Dans les systèmes complexes actuels "où l’imprévisible devient la règle", il ne s’agit pas de se préparer pour ne pas être surpris, mais surtout de "se préparer à être surpris, s’entraîner à être créatif", sans quoi nos organisations seraient "fortement exposées à un risque élevé de sidération et d’effondrement".
Rachel Lutz-Guiche
Cadre de Santé
Service de réanimation,
Centre Hospitalier Alpes Léman, Contamine-sur-Arve (74).
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