Le système de santé est en pleine évolution avec le développement des parcours de santé et des parcours de soins ; le patient se retrouve au cœur de cette dynamique en étant le principal acteur, car lui seul peut faire les liens avec son parcours de vie.
Les concepts de "patient partenaire" et "patient expert" sont de plus en plus explicites mais ne sont pas stabilisés car les définitions sont nombreuses pour les qualifier ; dans notre ouvrage paru en 20191, nous avons considéré que tous les patients étaient des partenaires avec l’ensemble des professionnels de santé et que certains patients pouvaient devenir des patients experts engagés à différents niveaux du système de santé. Cette évolution d’un patient passif vers un patient actif modifie la relation soignant- soigné à toutes les étapes du parcours de santé en favorisant une co-construction de la démarche clinique et du projet de soins personnalisé.
Le patient partenaire, une nouvelle posture professionnelle
Tous les professionnels de santé sont concernés par une relation de partenariat avec chaque patient, dans les situations cliniques aiguës, les pathologies chroniques et les critères de fragilité de la personne âgée. Au-delà d’une conception humaniste des soins considérant le patient comme une personne qui ressent des symptômes, qui vit des émotions négatives et positives, ce patient est également un acteur permanent dans la construction de son parcours de soins. La communication soignant – soigné est en général très spontanée et souvent implicite pour les soignants qui se relaient au chevet des patients ; cependant, le ressenti et le vécu des patients lors de ces moments relationnels deviennent explicites dans les récits d’expériences comme le démontre la citation suivante :
Les soignants se relaient dans la chambre dès votre entrée et nous accueillent chacun leur tour, infirmière, aide-soignant, interne en chirurgie, avec des informations et des questions adaptées à leur fonction ; l’ensemble permet au patient d’acquérir suffisamment de connaissances pour entrer dans une dynamique de partenariat. Les capacités sont respectées et l’aide est proposée "si besoin". J’ai vraiment ressenti un respect de "mon autonomie comportementale" dans les limites de la gestion des risques avec des consignes adaptées : être à jeun à partir de minuit et arrêt d’un des médicaments un jour avant l’intervention prescrit par le médecin anesthésiste, un rasage à réaliser le soir… Un patient partenaire ne peut que respecter ces consignes lorsqu’elles sont bien expliquées au patient avec un langage adapté à sa compréhension2
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Créer le lien de confiance est fondamental pour obtenir une participation effective du patient
Cet extrait d’un récit d’expérience situe la dynamique de partenariat qui débute par des informations claires, précises compréhensibles de la part du professionnel de santé quelle que soit sa fonction : chirurgien, infirmière, aide-soignante, étudiants etc…Toutes ces informations sont complémentaires et non répétitives ; elles sont en lien avec les actions réalisées par chacun, mais également adaptées à leur niveau de connaissances. C’est l’ensemble de cette communication qui donne une plus-value à la compréhension du patient et qui lui permet de développer son autonomie comportementale, c’est-à-dire sa capacité à décider pour gérer par exemple certains soins et pour mettre en œuvre avec succès dans sa vie quotidienne les principes de l’éducation thérapeutique.
La transformation d’un soin standard en soin personnalisé est incompatible avec une simple relation de civilité. Créer le lien de confiance est fondamental pour obtenir une participation effective du patient ; il faut prendre le temps d’écouter ses désirs, d’identifier ses capacités d’autonomie et d’accompagner leur mise en œuvre. Le soignant organise une relation d’aide qui augmente le temps du soin mais agit directement et favorablement sur son efficacité. Durant l’action, la collaboration du patient partenaire est adaptée à son état physique et à son état psychologique, mais très souvent c’est un moment favorable pour conduire un raisonnement clinique partagé durant lequel le patient décrit ses symptômes, ses capacités et ses émotions, surtout s’il se sent en confiance… nous pouvons qualifier cette posture professionnelle de pratique collaborative avec un patient partenaire :
La pratique collaborative avec un patient partenaire nous amène à quitter régulièrement le principe des soins standards réalisés dans le seul sens d’une fiche technique. Nous évoluons depuis plusieurs années vers des protocoles de soins avec des invariants de qualité, ce qui permet aux soignants d’intégrer plus facilement dans un protocole de soins personnalisé les indicateurs cliniques du patient, les habitudes de vie, les désirs compatibles avec la qualité et la sécurité du soin et les capacités d’autonomie3
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Évolution du patient partenaire vers le patient expert
L’expertise se développe grâce à cette interaction soigné – soignant dans un parcours de soins pour les personnes souffrant d’une maladie chronique. Les connaissances acquises par le patient sur sa pathologie se consolident progressivement grâce à la posture de partenariat qui est basé sur la transparence, l’information mutuelle et la co-construction du projet de soin avec les différents acteurs du parcours de soin. Certains patients autodéterminés à évoluer dans une autogestion de leur maladie développent des connaissances complémentaires au savoir scientifique sur la maladie ; ce sont les savoirs d’expériences liés à leur capacité d’adaptation au parcours de vie, et à l’efficacité de la gestion des risques associée à une intelligence émotionnelle. Ces patients experts sont souvent des résilients qui ont développé des compétences variées leur permettant d’intégrer différentes missions officiellement reconnues par les instances nationales et régionales de santé.
Le patient expert enseignant
Depuis 2009 la loi "Hôpital, Patients, Santé et Territoires" a permis de former des malades dans le cadre de l’éducation thérapeutique à la compréhension de leur maladie, à la gestion autonome de certains soins et à la gestion collaborative des indicateurs de surveillance. Les connaissances expérientielles se sont ainsi développées et certains patients motivés sont devenus des patients experts partenaires des professionnels de santé pour collaborer aux enseignements non seulement auprès d’autres patients, mais également auprès d’étudiants médecins et paramédicaux. La complémentarité savoirs scientifiques et connaissances expérientielles est une plus-value très appréciée par les malades et les professionnels en formation.
Le patient citoyen expert
Nous constatons une évolution du système de santé vers plus de démocratie et le patient citoyen expert devient une véritable ressource pour les soignants, pour les autres patients, pour la recherche ; il peut être missionné par les agences régionales de santé pour veiller au respect des droits des usagers et à la qualité des soins. Certains patients experts intègrent la commission des usagers dans un établissement de santé après avoir été informé des plaintes, des réclamations et des évènements indésirables graves. Le patient citoyen expert est de plus en plus consulté par la Haute Autorité de Santé, par exemple pour la prochaine certification centrée sur les patients traceurs. Dans cette mission du citoyen expert les patients sont des représentants de l’ensemble des malades et ne sont pas uniquement des ressources pour la pathologie avec laquelle ils vivent.
Vers une intégration au système de santé ?
La Haute Autorité de Santé a publié un nouveau guide en juin 2021 intitulé "Engager le patient pour améliorer la qualité et la sécurité des patients" dans le cadre du programme d’amélioration continue du travail en équipe intitulé PACTE. La conclusion de ce guide confirme l’engagement des patients comme partenaires individuels des professionnels de santé et celui des patients experts comme partenaires collectifs du système de santé :
Les travaux et publications internationales ont montré que l’engagement des patients dans le soin pouvait avoir une forme individuelle, pour soi-même, ou une forme collective, pour les pairs, l’établissement de soin ou le système de santé. Dans d’autres travaux, il a été montré l’intérêt d’intégrer des patients comme co-constructeurs du parcours de santé par leurs apports et connaissances de ce parcours au sein de groupes de travail ou d’instances, voire d’être formateur ou de participer aux choix des projets de recherche. D’autres travaux ont montré que l’on peut même aller jusqu’à la co-construction des décisions et des actions avec les patients
4.
Notes
- H. Lefort, Th. Psiuk, "Patient partenaire, Patient expert, de l’accompagnement à l’autonomie", ed Vuibert, 2019, 118p
- Thérèse Psiuk, "Comment le "patient partenaire" hospitalisé au bloc opératoire est-il accompagné par l'équipe soignante", témoignage publié par ManagerSanté.com
- Th. Psiuk, "Accompagner la transformation de l’offre de soins sur le territoire - le patient partenaire, le patient expert : quelles perspectives d’avenir de l’expérience patient pour notre système de santé en France ?" in Innovations-Management-Management des structures de santé en France, p 359, octobre 2021
- HAS, "Engager le patient pour améliorer la qualité et la sécurité des soins en équipe", page 7, juin 2021
Thérèse Psiuk
A propos de l'auteur
Infirmière de formation et ancienne Directrice des soins, Thérèse Psiuk est spécialiste du raisonnement clinique partagé, des chemins cliniques et de la notion de "patient partenaire".
Référence en matière de formation en soins infirmiers, elle a rédigé de nombreux articles et ouvrages à destination des étudiants et des professionnels en exercice.
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