Fédérer les professionnels de santé des territoires et ceux des centres de lutte contre le cancer (CLCC) Unicancer : c’est l’ambition première du « Label Unicancer IDEL» et de la plateforme qui l’accompagne, en expérimentation actuellement en Normandie et en Auvergne Rhône-Alpes. Tout est parti d’un constat, raconte Christelle Galvez, directrice des soins du centre Léon Bérard à Lyon et initiatrice du projet avec Nathalie Le Moal, directrice des soins au centre Henri Becquerel (Rouen). Le nombre de patients atteints de cancer et la complexité des parcours ne font que s’accroître alors que, parallèlement, dans les établissements, « les CV manquent ». Déjà à l’origine d’un projet sur l’immunothérapie à domicile imaginé dans le cadre de l’Article 51 pour l’une et familière de la prise en charge en ambulatoire des mastectomies pour l’autre, Christelle Galvez et Nathalie Le Moal ont bien vu « que les IDEL étaient une ressource ». Et ce d’autant plus que « les patients en cancérologie passent 90 à 95% de leur temps à domicile ».
En 2021, une enquête (voir encadré) est lancée auprès des IDEL et révèle chez ces professionnels un sentiment d’isolement mais aussi des difficultés à trouver des informations fiables et des besoins importants en formation. Naît alors ce projet de Label et de plateforme, qui doit permettre de créer une communauté de pratique pour accompagner la montée en compétences des IDEL qui prennent en charge à domicile des patients atteints de cancer.
L’enquête menée par les étudiants de Paris Dauphine sous l'égide d'Unicancer et à laquelle ont répondu 1 000 IDEL a mis en lumière leurs besoins en termes de formation et de coopération.
- 40% des répondants ont déjà exercé dans un service de cancérologie.
- 30% de leurs files actives sont constitués de patients atteints de cancer.
- 60% ont envie de développer leur activité libérale sur ce secteur.
- Si 86% d’entre eux (622) ont déjà pris en charge des patients à leur sortie d’un CLCC, ils ne sont que 60% à qualifier de « bon » ou « d’extrêmement bon » leur lien avec le CLCC de Lyon.
- En termes de formation, ils ciblent à 44,3% des besoins sur les traitements innovants, à 32,4% sur le suivi des traitements, et à 27% sur l’accompagnement des patients.
Une communauté de pratique pour échanger et s’informer
Première composante de ce projet, la plateforme se devait d’être simple d’utilisation et en mesure de mettre les professionnels en lien, afin de les rassembler, avant même d’en venir au déploiement du Label. À la suite d’un appel d’offre, c’est Meredith Santé, une plateforme dédiée aux professionnels de santé et qui compte alors 80 000 inscrits, qui est choisie pour porter le projet. Concrètement, tout professionnel de santé, libéral ou salarié, pourra avoir accès gratuitement, grâce à un espace dédié, à la communauté de pratique en cancérologie, à des fiches pratiques téléchargeables, des webinaires, des classes virtuelles, des événements fédérateurs en région…. « On veut proposer de la formation pertinente […], que les professionnels puissent poser leurs questions et trouvent des réponses fiables », explique Christelle Galvez. « Notre premier enjeu, avant la création du Label, était de donner envie aux professionnels, que ça leur serve. »
La plateforme, qui nécessite un numéro RPPS pour s’inscrire, permettra ainsi de partager les bonnes pratiques, de donner accès à de la formation ou encore d’échanger sur des problématiques rencontrées au quotidien. Attention, toutefois, « on ne parle pas de patients », prévient Christine Dorléan, cheffe de projet et ancienne directrice des soins du CLCC de Dijon. « Nous avons travaillé avec les GRAD de Normandie et d’Auvergne Rhône-Alpes pour que l’infirmier qui a envie de parler d’un patient en particulier puisse basculer sur la messagerie sécurisée. »
Les contenus validés d’une quarantaine de sites experts
Quant aux contenus eux-mêmes, ils proviennent d’une quarantaine de sites vérifiés, dont certains appartenant à différentes sociétés savantes, aux réseaux régionaux de cancérologie ou encore aux Observatoires du Médicament, des Dispositifs médicaux et de l'Innovation Thérapeutique (OMEDIT, pour les fiches médicamenteuses, notamment). Les informations seront ainsi directement actualisées via un lien RSS entre la plateforme et ces sites, en corrélation avec les avancées de la recherche. « Notre objectif est d’utiliser les ressources et bonnes pratiques qu’ils ont déjà mises en place pour qu’elles puissent être accessibles en un clic aux infirmiers libéraux », poursuit Christine Dorléan. La plateforme, qui était en bêtatest jusqu'à la fin du mois de novembre, a toutefois vocation à être accessible à tout professionnel de santé qui rechercherait des informations en cancérologie.
Le Label Unicancer IDEL, une preuve d’expertise
Deuxième composante du projet, le Label Unicancer IDEL représente, quant à lui, une preuve de l’expertise des IDEL en cancérologie. Et c’est loin d’être anecdotique car, précise Christelle Galvez, il répond aux critères pour la certification professionnelle, obligatoire pour les infirmiers depuis janvier 2023. « Nous avons travaillé avec le Conseil national professionnel infirmier (CNPI) pour qu’on rentre dans les critères de la certification professionnelle, qui a lieu tous les 6 ans. Une infirmière labellisée l’est pour un parcours professionnalisant. » La labellisation s’effectue directement sur la plateforme.
Dans les faits, un infirmier qui souhaite obtenir le Label doit constituer deux dossiers. Avec le premier, il déclare son expérience (nombre d’années d’activité, s’il a déjà travaillé dans un CLCC, combien de patients atteints de cancer il suit ou a suivi, s’il actualise régulièrement ses connaissances…) ; le second, centré sur ses compétences et connaissances, est composé d’un questionnaire d’une quinzaine de questions permettant d’aborder des situations en soin et de vérifier ses déclarations. Et c’est un algorithme, validé en groupe de travail et par le Conseil scientifique qui détermine ensuite si cet infirmier, en fonction de ses réponses, peut obtenir le Label. « Sur nos 200 bêtatesteurs, 107 ont été labellisés. Les autres n’ont soit pas commencé leur dossier, soit ne l’ont pas fini. Et 8% d’entre eux ont échoué », résume Christelle Galvez.
À la suite de l’enquête menée en 2021 auprès des IDEL, sont constitués un Comité stratégique, regroupant acteurs d’Unicancer, directeurs de soins et représentants de la profession infirmière dont Patrick Chamboredon, président de l’Ordre, et Évelyne Malaquin Pavan, Présidente du CNPI, et un Conseil scientifique (IDEL et infirmiers des CLCC, représentants régionaux de l’Ordre, des URPS, du Sniil, de Convergence, de l’OMEDIT, de deux associations d’infirmiers en cancérologie (AFIC et AFITCH-OR)…), chargés de piloter le projet. Ont suivi 5 groupes de travail qui, entre janvier 2022 et juin 2023 :
- ont défini les critères de labellisation,
- ont ciblé et identifié les compétences attendues et les offres de formation
- ont décrit et exigé la fiabilité des données partagées sur la plateforme, ainsi que leur actualisation
- ont communiqué sur le projet afin de convaincre IDEL et CLCC d’intégrer la plateforme et le parcours Label
- et ont déterminé comment « embarquer » les soignants, aussi bien des centres que les libéraux.
En tout, ce sont 150 acteurs qui ont été mobilisés dans la création et le lancement du projet, auxquels sont venus s’ajouter en juin 2023 les 200 IDEL bêtatesteurs de la plateforme.
L’objectif : « inclure un maximum d’infirmiers »
Que faire justement en cas d’échec ? Les CLCC proposent alors à l’infirmier qui n’aurait pas obtenu le Label un accompagnement pour atteindre le niveau de connaissances et de compétences souhaité, avec la possibilité de soumettre de nouveau son dossier trois mois après le premier essai. « Notre objectif est d’inclure un maximum d’infirmiers » au sein de la communauté de pratique, reprend Christine Dorléan. « À partir du moment où un IDEL démontre une appétence pour la cancérologie, on lui propose un parcours professionnalisant ». Celui-ci peut prendre des formes multiples : des formations, mais pas uniquement, car « seuls 30% des patients des infirmiers libéraux relèvent de la cancérologie. On ne peut donc pas demander à ces professionnels de mobiliser l’intégralité de leur compte de formation pour ce secteur », souligne Christelle Galvez. Les ressources de la plateforme, notamment, sont mobilisables. Est également envisagé d’inviter les professionnels libéraux aux « ateliers de professionnalisation des CLCC. » « Au centre Léon Bérard, on tutore les nouveaux embauchés. On forme les soignants en interne, on peut former les soignants en externe. » Le mot d’ordre étant : « Il faut que ce soit simple et efficace ! »
Ce label n’est pas un diplôme universitaire, il faut qu’il y ait une vraie volonté d’aller chercher régulièrement de nouvelles informations.
À noter que cette labellisation, une fois obtenue, n’est pas acquise de manière pérenne sans condition. Un suivi des activités de formation des infirmiers est ainsi prévu, afin de s’assurer qu’ils actualisent bien leurs connaissances en cancérologie. « Si en 6 ans, on voit qu’un infirmier n’a jamais téléchargé une fiche ou participé à un webinaire, on peut s’interroger. Le Label n’est pas un diplôme universitaire, il faut qu’il y ait une vraie volonté d’aller chercher régulièrement de nouvelles informations », met en garde Christine Dorléan. Enfin, précise-t-elle, le Label Unicancer IDEL, à la différence de la plateforme, est payant : 15 euros par mois.
Quelle plus-value pour les IDEL ?
Pour les infirmiers libéraux, la plus-value du Label et de la plateforme est réelle, jugent les deux directrices des soins. D’une part, le premier vient consacrer une vraie reconnaissance des compétences acquises sur le terrain, qu’ils vont pouvoir faire valoir auprès de leurs patients. D’autre part, la plateforme vient répondre à une spécificité de la cancérologie : ses évolutions constantes. « Ce dont ils ont besoin, c’est d’avoir accès à un parcours professionnalisant pour rester à la pointe des connaissances et des compétences, car la cancérologie bouge beaucoup », soulève Christine Dorléan. L’autre point fort de ce projet est également de créer une relation plus étroite entre la ville et les établissements de santé via la communauté de pratique. « Les salariés vont voir qu’il y a un monde après eux, qu’il y a des professionnels sur le territoire qui sont savants », ajoute Christelle Galvez. De quoi également gagner en efficacité en entrée et sortie d’hospitalisations.
Dans un futur proche, il est prévu de déployer le projet en régions PACA, Occitanie et Aquitaine en 2024, en mettant aussi bien l’accent sur la communication interne qu’externe. « L’idée est de travailler en interne avec les directeurs de soins, les soignants et les centres de formation des CLCC ; et en externe avec les URPS, les Conseils régionaux de l’Ordre, les CPTS. Il faut faire connaitre le projet et faire comprendre qu’il permet une prise en charge sécurisée des patients. Parce que notre priorité, ce sont les patients », conclut Christine Dorléan.
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