La chloroquine, traitement antipaludéen bien connu et ancestral, est actuellement une des molécules testées par les scientifiques pour savoir si elle est ou non efficace face au nouveau coronavirus. En ce sens, le Pr Raoult vient de publier un deuxième essai sur 80 patients qui confirme l’efficacité de l’antipaludique associé à un antibiotique. En parallèle, d’autres études chinoises randomisées donnent des conclusions divergentes. Match nul ?
L’ARS de Nouvelle-Aquitaine vient de publier un communiqué plutôt alarmant. En effet, plusieurs cas de toxicité cardiaque
due à de l’hydroxychloroquine prise en automédication ont été signalés chez des individus présentant des symptômes pouvant laisser supposer une infection au nouveau coronavirus. Suite à ces prises irraisonnées de médicament, certaines de ces personnes ont parfois fini hospitalisées en réanimation. Les autorités sanitaires locales ont donc tenu à tirer la sonnette d’alarme et à rappeler que toute ingestion de médicament notamment de ce type doit faire l'objet d'une surveillance et d'une prescription
médicale adaptée pour éviter la survenue d’événements indésirables graves mais aussi des hospitalisations en réanimation qui sont actuellement précieuses
.
En parallèle, l’ANSM a également tenu à mettre les points sur les i
concernant les molécules actuellement testées contre le Sars-Cov-2. Une trentaine
d’effets indésirables graves, dont trois décès
ont jusqu’à présent été signalés chez des patients atteints du coronavirus sous hydroxychloroquine mais aussi sous d’autres médicaments tels que le Kaletra (un antirétroviral associant lopinavir/ritonavir), selon Dominique Martin, directeur général de l’ANSM. L’agence du médicament a donc placé depuis environ 15 jours tous les traitements en cours d’expérimentation contre le Covid-10 sous surveillance renforcée
. En particulier lorsqu’ils sont utilisés en dehors des essais cliniques
, car s’il est bien normal qu’il faille essayer des traitements, compte tenu des circonstances, cela n’empêche pas qu’on doive exercer une pharmacovigilance sur ces produits
, argumente Dominique Martin. D’ailleurs selon lui, l’hydroxychloroquine notamment couplée à l’azithromycine (un antibiotique) comme lors des tests menés par le Pr Raoult potentialise les risques
de trouble du rythme qui peut conduire à un accident cardiaque
. C’est pourquoi elle mérite une attention particulière
. Un risque qui s’avérerait encore plus vrai chez les patients qui souffrent du coronavirus
, en raison de troubles métaboliques spécifiques à la pathologie.
Un médicament pas à la portée des enfants, ni des adultes
La chloroquine bien qu’utilisée depuis longtemps n’est pas sans effet secondaire et donc pas sans risque pour celui qui en prend. La molécule est considérée comme un médicament à marge thérapeutique étroite, ce qui veut dire que la dose à visée thérapeutique est proche de la dose toxique, les effets indésirables les plus connues étant cardiovasculaires. C’est pourquoi, en France, si Olivier Véran, ministre de la Santé, a déclaré être favorable à des tests plus étendus après la première étude positive menée par le Pr Raoult sur le sujet, les conditions d’emploi de la molécule, dans le cadre du coronavirus, sont très strictes.
Au niveau légal, un décret paru jeudi 26 mars au Journal officiel et modifié le 27 mars a pour but d'encadrer la prescription de ce produit. Celui-ci définit clairement que seuls les médecins hospitaliers, à titre dérogatoire, pourront en donner à leurs patients les plus gravement atteints. L'hydroxychloroquine et l'association lopinavir/ritonavir peuvent être prescrits, dispensés et administrés sous la responsabilité d'un médecin aux patients atteints par le Covid-19, dans les établissements de santé qui les prennent en charge, ainsi que pour la poursuite de leur traitement si leur état le permet et sur autorisation du prescripteur initial, à domicile
. De même, ces prescriptions interviennent, après décision collégiale, dans le respect des recommandations du Haut conseil de la santé publique et, en particulier, de l'indication pour les patients atteints de pneumonie oxygéno-requérante ou d'une défaillance d'organe
, clarifie la seconde version du texte limitant l’usage du médicament au cas les plus graves.
Si les gens continuent à prendre de l’hydroxychloroquine, de manière massive, on va se retrouver en difficulté, alerte l’Agence du médicament
Qu’en-est-il des essais cliniques réalisés à Marseille ?
Dernièrement, l’équipe du Pr Raoult de l’Institut hospitalo-universitaire de Marseille a publié de nouveaux travaux portant toujours sur les tests d’efficacité de la chloroquine face au Covid-19. Le nombre de participants s’élevait à 80 patients soit un chiffre nettement plus important que lors de l’essai précédent. Cependant, l’âge médian était de 52 ans (ce qui signifie que la moitié des individus sont plus jeunes que cela). De même, 58% présentaient une comorbidité. Tous ont reçu une association d’hydroxychloroquine et d’azithromycine pendant 6 à 10 jours. Nous avons noté une chute rapide de la charge virale nasopharyngée dépistée par PCR avec 83% des tests négatifs au jour 7 et 93% au jour 8
, expliquent les auteurs. Ceux-ci ont remarqué une amélioration clinique chez tous les patients
à l’exception d’un homme de 86 ans décédé et d’un autre de 74 ans qui demeure en unité de soins intensifs. Avec ces résultats, l’équipe de chercheurs estime faire la démonstration que la combinaison des deux traitements a un effet synergique qui inhibe totalement la réplication du virus
. En effet, selon eux, les deux produits seraient quasiment inefficaces employés séparément.
Même si les patients ayant participé à ces travaux n’étaient pas forcément des cas que l’on pourrait qualifier de graves
, le traitement permettrait tout de même d’éviter les complications et de limiter la contagion. En outre, le Pr Raoult indique que la chloroquine ne serait efficace qu’au premier stade de l’infection. Cela a permis aux patients de sortir rapidement des services hautement contagieux avec une durée moyenne de séjour de cinq jours. Nous pensons que d'autres équipes devraient évaluer d'urgence cette stratégie thérapeutique rentable, à la fois pour éviter la propagation de la maladie et pour traiter les patients le plus tôt possible avant que des complications respiratoires irréversibles graves ne se manifestent
, concluent les auteurs de l’étude.
La majorité des patients se remettent du Covid-19, avec ou sans traitement à l'hydroxychloroquine et à l'azithromycine.
La recherche demande de la méthode, la médecine requiert de l’éthique
Peu de participant, manque de randomisation, le fait d’avoir retiré certains patients de l’analyse finale parce qu’ils n’ont pas complété le traitement alors que la raison est une détérioration de leurs conditions médicales, la première étude du Pr Raoult a déjà été sujette à de nombreuses critiques de la part de la communauté scientifique. Qu’en est-il de celle-ci ?
Même si l’équipe de spécialistes a suivi davantage de recommandations méthodologiques, cette fois-ci encore, l’étude n’a pas été soumise à un comité de relecture scientifique. De plus, sa principale faiblesse réside en l’absence de groupe contrôle. Pour rappel, ce groupe de participants reçoit un placebo ce qui permet de quantifier l’efficacité du médicament expérimenté. Alors que dans le cas présent, l’ensemble de patients a reçu le traitement. Ainsi, nombreux sont les experts qui restent dubitatifs face à ces données. Le fait d'aboutir à des résultats similaires sous hydroxychloroquine ne plaide pas pour un effet majeur de cette molécule sur la charge virale
, estime l'épidémiologiste Dominique Costagliola, directrice de recherche à l'Inserm, interrogée par l'AFP. Autre exemple, le Pr François Balloux, de l'University College de Londres s’est exprimé sut Twitter et affirme regretter que ce soit une étude sans groupe contrôle qui suit 80 patients avec des symptômes assez légers. La majorité des patients se remettent du Covid-19, avec ou sans traitement à l'hydroxychloroquine et à l'azithromycine.
Parmi les critiques les plus virulentes, on peut citer celle de Jean-François Bergmann, professeur de thérapeutique qui, interviewé par Pourquoi Docteur, a une opinion très tranchée quant à ces travaux. Non seulement je maintiens mes doutes, mais je les augmente ! Parce que la première étude, au moins, était contrôlée, avec un bras de contrôle certes de piètre qualité, mais il y avait un effort de comparaison. La deuxième étude est une cohorte de 80 malades, sans aucun bras comparateur ; c’est donc encore plus mauvais ! Et penser que cette deuxième étude renforce la première, c’est comme croire qu’en ajoutant du mauvais au mauvais, on fait du bon…
, juge-t-il.
Plus précisément, la première étude, sur 24 patients n’était pas randomisée, c’est-à-dire soumise à la division au hasard des participants en deux groupes : le groupe témoin (ou contrôle) et le groupe test. Cela permet de s’assurer que la seule différence entre les deux groupes reste le produit expérimenté. Or, la première étude n’était pas randomisée et les sujets traités ont été sélectionnés différemment par rapport à ceux du groupe contrôle. Le reproche du Pr Bergmann : dans cette seconde publication il n’y a pas du tout de groupe témoin alors que lors du premier travail il y en avait au moins un. Cela rend les résultats, de son point de vue, encore moins dignes de foi.
Didier Raoult s'est défendu face à ces accusations : Le médecin peut et doit réfléchir comme un médecin, et non pas comme un méthodologiste
, a-t-il argué dans une tribune du Monde. Notre étude porte sur 80 patients, sans groupe contrôle car nous proposons notre protocole à tous les patients ne présentant pas de contre-indication. C'est ce que nous dicte le serment d'Hippocrate que nous avons prêté.
Déjà lors des précédentes critiques de leur première étude, Philippe Bourqui, chef du pôle maladie infectieuses à l’IHU de Marseille avait argumenté dans ce sens : Dans des situations de maladie émergente où on ne connaît pas de traitement, ça ne nous paraît pas éthique de ne pas donner un traitement qui peut marcher et donc de comparer sans et avec traitement, c'est pour ça qu'on a choisi de ne pas faire de bras randomisé avec absence de soins, car la randomisation ne nous paraissait pas éthique. Quelle aurait été la réponse du patient si on vous propose un traitement potentiellement efficace contre rien ?
Et du côté de la Chine ?
Au départ, le Pr Raoult a entrepris ses travaux suite à la publication d’une étude chinoise qui montrait des résultats encourageants chez des patients infectés suite à un traitement à base de chloroquine. Cependant, il est difficile de comparer avec les recherches qu’il mène actuellement car ces travaux portaient sur des patients présentant des symptômes sévères et avaient souvent des comorbidités.
Toutefois, un autre essai randomisé a été réalisé en Chine, les résultats ont été publiés le 6 mars et s’avèrent non concluants. C’est une étude de faible ampleur car elle ne comprend que 30 patients, tous dans un état suffisamment inquiétant pour nécessiter une hospitalisation. Toutefois, elle ne montre pas de différence significative entre le groupe témoin et celui traité sous hydroxychloroquine. Plusieurs choses ont été analysées comme le temps médian jusqu’à ce que la température redevienne normale ou le délai médian avant que les prélèvements ne soient négatifs. Or, les données sont comparables dans les deux groupes. L’équipe de scientifiques en question conclut que des recherches supplémentaires sont nécessaires.
Et pour cause, d’autres spécialistes chinois ont publié leurs travaux, un autre essai clinique randomisé sur 62 patients. Et là surprise, les symptômes de toux et de fièvre ont disparu plus rapidement chez les individus traités. En outre, davantage de patients présentaient une amélioration de leur pneumonie dans le groupe de traitement (80,6%) par rapport au groupe témoin (54,8%). Toutefois deux personnes ont développé des effets secondaires jugés relativement légers dans le groupe sous hydroxychloroquie. Il n’est pas rare que des travaux de faible ampleur donnent des résultats différents. Voici pourquoi il faut poursuivre les recherches avant d’en déduire quoi que ce soit.
Alors que conclure de toute cette polémique autour de la chloroquine ? La même chose : que l’on ne peut encore rien en conclure. Dernièrement le CHU d’Angers a annoncé lancer un essai clinique sur des patients a l’issue défavorable, preuve que les recherches continuent de plus belle sur le sujet. D'ici d'avoir les résultats, l'agence européenne du médciament ou EMA a également publier des recommandations stipulant sue l'usage de la chloroquine dans le cadre du coronavirus devait se limiter à des conditions particulières. Il est très important que les patients et les professionnels de la santé n’utilisent [ces médicaments] que pour leurs indications autorisées ou dans le cadre d’essais cliniques ou de programmes nationaux d’utilisation d’urgence pour le traitement du COVID-19
a-t-elle communiqué. Ainsi il n’existe pas de médicament ou de produit miracle, il n’existe que des données scientifiques et des essais cliniques qui vont se poursuivre afin de déterminer l’efficacité ou non de ce traitement.
Roxane Curtet Journaliste infirmiers.com roxane.curtet@infirmiers.com @roxane0706
INTERNATIONAL
Infirmiers, infirmières : appel à candidatures pour les prix "Reconnaissance" 2025 du SIDIIEF
HOSPITALISATION A DOMICILE
Un flash sécurité patient sur les évènements indésirables associés aux soins en HAD
THÉRAPIES COMPLÉMENTAIRES
Hypnose, méditation : la révolution silencieuse
RECRUTEMENT
Pénurie d'infirmiers : où en est-on ?