Les aidants d’un proche atteint de cancer se révèlent eux-mêmes plus vulnérables face à cette maladie, entre multiplication des facteurs de risque et tendance à délaisser leur santé. D’où la nécessité de développer un accompagnement spécifique. Illustration au sein du centre Léon Bérard.
Ils sont estimés de 8 à 12 millions en France, soit une personne sur 10 : les aidants des personnes atteintes de cancer partagent l’expérience de la maladie et font, à ce titre, partie intégrante des parcours de soin. C’est pourquoi le Centre de lutte contre le cancer (CLCC) Léon Bérard, à Lyon, a défini une politique en leur faveur avec un "parcours aidant" qui leur est dédié. Car cette population s’avère particulièrement à risque de développer elle-même des cancers, dont certains pourtant évitables, et requiert donc d’imaginer des actions de prévention spécifique.
Les aidants, un "relais" indispensable des soignants
Selon la définition du gouvernement, l’aidant est une personne qui vient en aide, de manière régulière et fréquente, à titre non professionnel, pour accomplir tout ou partie des actes ou des activités de la vie quotidienne d’une personne en perte d’autonomie, du fait de l’âge, de la maladie ou d’un handicap.
Le plus souvent membres de la famille, ils sont une pierre angulaire des parcours de soins en cancérologie, à la fois pour les malades eux-mêmes et les professionnels de santé. Les soignants demandent beaucoup aux aidants
, rappelle ainsi Clémence Bouffay, coordinatrice du parcours "proches aidants" du centre Léon Bérard et infirmière de formation, précisant qu’ils font partie de la prise en charge globale
des patients. Pour les uns, ils se chargent de la plupart des tâches quotidiennes (ménagères, administratives, liées aux enfants…), auxquelles s’ajoute l’ensemble des actions relatives au suivi du traitement (déplacements chez les professionnels de santé, surveillance des effets secondaires…). Pour les autres, ils sont les relais à domicile, ceux qui vont prendre en charge les situations complexes qui peuvent survenir. Le proche aidant a aussi la responsabilité d’alerter quand ça ne va pas
, poursuit ainsi Clémence Bouffay. Les professionnels essaient d’établir des protocoles pour la plupart des situations, mais il arrive parfois qu’il se retrouve seul à devoir prendre des décisions.
Autant de charges qui ont un lourd impact sur la qualité de vie de ces proches et qui peuvent se répercuter directement sur leur état de santé.
Une population plus exposée aux facteurs de risque…
La population des aidants est en effet particulièrement à risque de développer des cancers. Elle est en effet soumise à des pressions psychologiques et psychiques importantes, provoquées aussi bien par le bouleversement du quotidien que par l’état du proche malade, et qui vont générer de la fatigue, puis de l’agressivité, des la colère, voire de la culpabilité
, détaille Angélique Laurent, psychologue au sein du centre.
Chez les aidants dont les proches sont en soins palliatifs, vont venir s’associer la peur de perdre, de la séparation, qui peut amener à la dépression, provoquer du stress, surtout quand si l’on n’a pas trouvé un espace de parole (ami, famille, professionnels de santé…).
L’épuisement peut alors, à son tour, faire rejaillir des fragilités propres au proche aidant et antérieures à la maladie. Enfin, dans un quotidien centré sur la maladie, ce dernier va avoir tendance à s’oublier ou à s’isoler, entre réduction du temps de travail et exclusion progressive de la vie sociale afin de s’occuper du malade.
L’aidant partage le même mode de vie que le malade ; il est donc probable qu’il soit soumis aux mêmes facteurs de risques.
Or ces situations ont un corollaire : l’augmentation des conduites à risque. Consommation de tabac ou d’alcool, mauvaise alimentation, manque d’activité physique…, sont en effet des facteurs qui favorisent l’apparition des cancers. Or environ 40% des cancers sont attribuables à des facteurs de risque évitables
, souligne le Dr Pauline Vidican, gynécologue de formation et spécialisée dans la prévention des cancers. L’aidant partage le même mode de vie que le malade ; il est donc probable qu’il soit soumis aux mêmes facteurs de risques
. Sans compter que, du fait de sa situation, il peut être amené à délaisser sa propre santé au profit de celle du proche malade, avec le risque de négliger les actions de dépistage, à titre d’exemple. Ces phénomènes peuvent être d’autant plus exacerbés dans le cas de rechute, avec une réactualisation des perturbations, qui vont être majorées si elles n’ont pas pu être abordées lors de la première prise en charge
, prévient Angélique Laurent.
Profils et besoins des aidants Le Centre Léon Bérard a mené une enquête sur le profil des aidants des patients cancéreux suivis en son sein afin d’identifier leurs besoins. Sur les 351 réponses exploitées, il en ressort que : • 65% des aidants sont des femmes. • 49% des aidants maintiennent une activité professionnelle. • 60% sont des conjoints du proche malade. • Ils consacrent en moyenne 1h30 chaque jour à l’aide apportée au malade (gestion du quotidien, aide aux déplacements), ce qui entraîne pour 63% d’entre eux une modification de leur emploi du temps personnel. • Parmi leurs besoins identifiés, un temps de formation et d’information au cancer arrive en première place (60%), suivi de la mise en place d’un espace qui leur est dédié (57%), de la possibilité de disposer de temps pour prendre soin d’eux (51%), et d’un suivi psychologique (50%). |
… mais sensibilisée aux actions de prévention
Paradoxalement, relève toutefois le Dr Vidican, les aidants, parce qu’ils sont proches de la maladie, se montrent plus sensibilisés aux facteurs de risque. Ils ont une meilleure perception de ces risques, et sont davantage motivés pour changer leur mode de vie
. À noter que cette perception du risque n’est pas valable à certains moments de la prise en charge
, observe Clémence Bouffay. Le décès peut être un électrochoc
pour changer certaines habitudes de vie. La clé pour parler de prévention, c’est le moment. Il y a des périodes où une telle discussion n’est pas possible.
Au Centre Léon Bérard, des consultations de prévention à destination des aidants ont ainsi été mises en place. Longues (entre 1h30 et 2 heures), elles permettent de quantifier la proximité des proches aidants avec les différents facteurs de risque (obésité, alcool, tabac, alimentation…) puis de donner des informations afin de les y sensibiliser
, relate Pauline Vidican, qui se charge de ces consultations. L’idée étant de les accompagner dans leurs démarches, en les aidant, entre autres, à identifier les professionnels de santé proches de chez eux. On les revoit ensuite après 4 mois afin de faire le bilan, de voir ce qu’il a pu initier, quels ont été les freins, puis de fixer de nouveaux objectifs.
Ces consultations viennent s’ajouter par ailleurs à une pluralité de dispositifs proposés par le centre à destination des aidants, dont le recours à des psychologues, voire à un suivi psychologique plus poussé, organisé par Angélique Laurant. Être proche aidant, c’est un marathon. C’est au long cours, donc cela nécessite de se ménager du temps pour soi
, conclut-elle.
Audrey ParvaisJournaliste audrey.parvais@gpsante.fr
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