L'hôpital, ce lieu qui se devrait hospitalier tant pour les soignants qui le font vivre que pour les patients qui y ont recours, l'hôpital est devenu maltraitant malgré lui : il épuise les acteurs du soin, ne leur laissant que de frêles perspectives pour des jours qui se voudraient plus apaisés. Quand le soignant, qui se croit solide et infaillible pour les autres, tombe à l'heure de l'introspection, l'addition est douloureuse - quand elle ne fait pas le lit de la culpabilité. Au travers de deux textes très intimes que nous livre Morgan, infirmier "sur la touche", nous mesurons combien n'être devenu qu'un numéro sur la ligne d'un planning toujours plus tendu, substitue à la compassion attendue l'insupportable souffrance au travail.
Je suis infirmier aux urgences d'un hôpital depuis 3 ans. J'ai quitté ma famille, en province, pour ma carrière car j'avais et j'ai toujours des ambitions, d'avoir une carrière utile, qui puisse changer quelque chose pour ma profession. Je me suis beaucoup investi, mais je me suis retrouvé face au mur de mes cadres et cadre supérieur, probablement par une guerre d'ego et en représailles de la grève des urgences (ça n'est qu'une supposition). Il y a un mois, j'ai sombré dans une dépression, tiraillé entre les préoccupations matérielles et futiles de ma hiérarchie et les miennes : prendre en charge de manière optimale mes patients. J'ai dû mal à m'en sortir car je culpabilise beaucoup d'être sur la touche. J'aime écrire alors voici les textes que je voudrais partager avec "ma" communauté soignante car j'assume ce que j'écris. Je pense d'ailleurs écrire un ouvrage sur la période que je traverse.
Mon corps a dit stop
L'aurais-je cru moi, le passionné, l'amoureux, même, de la médecine d'urgence, que j'allais finir par craquer comme tant d'autres avant moi ? L'aurais-je cru, il y a 3 ans, que la surmotivation que j'avais, mes ambitions de faire avancer ma profession allaient finir par se retourner contre moi, probablement pour une guerre d'égo ?
L'aurais-je cru, à l'heure de quitter ma famille, de me séparer de mes amis, avec l'envie d'avoir une grande et utile carrière, que je trouverai si peu d'humanité, si peu de de reconnaissance ? Aurais-je cru un jour me sentir comme un numéro, un code, une ligne sur un planning ? Aurais-je cru que l'institution me rendrait maltraitant sans aucune compassion ni soutien ?
Aujourd'hui, moi, le solide, le motivé, je suis tombé. Tombé si bas que j'ai du pour quelques semaines m'extraire de ce tourbillon infernal, dominé et dirigé par des administratifs et non pas par des soignants. Qui savent pointer les erreurs, de manière accablante pour certains de mes collègues, qui tombent aussi, je le sais. Mais qui jamais ne relèvent le positif, lorsque tu en chies un matin ou un après-midi d'enfer. Alors oui, je suis entouré, de ma famille, que j'aime profondément. De mes collègues qui sont devenus pour certains des amis que je peux réveiller à n'importe quelle heure, en pleurs, et avec qui je retrouve du réconfort. Des quelques amis de ma ville d'origine que je revois et qui comprennent le conflit entre mon amour pour mon métier et les manières dont on doit l'exercer.
Aujourd'hui je suis tombé, mais je vais me réparer et je vais me relever. Je vais revenir, rapidement, c'est mon souhait. Mais par dessus tout je n'espère qu'une chose : ne nous taisons plus.
Le jour de trop
Elle est arrivée un jour de Septembre, l'automne s'installait, et ma mélancolie aussi. C'était beau dehors, les feuilles orangées tombaient des arbres, la nuit tombait de plus en plus tôt mais le noir s'est installé dans ma tête encore plus tôt. Je ne l'ai pas reconnue de suite, j'étais en plein combat contre elle, mais elle avait des armes et j'étais désarmé. Des personnes plus haut gradées ne faisaient que l'appeler inconsciemment, ou peut être sciemment, invoquant la charge de travail comme source de mon mal être.
Comme une traître, elle attaquait la nuit, elle savait que je n'avais pas mon armée de soutiens. Elle savait que j'étais obstiné, que j'allais tout faire pour la repousser. Elle savait que j'avais de l'égo et que je jamais je ne pensais qu'elle m'inviterait en tête à tête. J'étais persuadé qu'elle ne traînait qu'avec les autres. Quel con.
Et puis elle a lancé l'attaque ultime, celle qui vous met au sol. Celle qui vous pourri le cerveau d'idées noires, celle qui vous empêche de vous lever, celle qui vous interdit de manger, celle qui vous fait sentir comme le plus faible, et qui vous fait culpabiliser. J'ai riposté, mais elle a ramené avec elle un autre ennemi : le passé, qui vous rappelle qu'adolescent vous étiez plutôt rejeté, plutôt harcelé notamment dans votre club de basket. Elle et lui ont réouvert des livres que je pensais clos depuis des années.
Elle s'est installée et malgré l'entourage formidable que j'ai, elle a pris une location longue durée. Ce n'est pas une grippe non, ce n'est pas une jambe dans le plâtre, elle est sournoise, elle ne se voit pas, mais elle est là, même si elle s'affaiblit, elle reste là, dans un coin, à attendre...
Morgan, infirmier
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