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PORTRAIT / TEMOIGNAGE

"Au vu de son grand âge, on va le laisser partir tranquille..."

Publié le 19/06/2020

Parler du décès des patients lors de la crise sanitaire du COVID-19 est aujourd'hui particulièrement douloureux pour les soignants. Dans les unités de soins, ils ont été souvent massifs, brutaux, répétitifs et ce, sans que les équipes soignantes puissent les accompagner comme ils l'auraient voulu. Carole, infirmière, témoigne du fait que dans son service de soins de suite et réadaptation, des patients sont morts tout simplement car, âgés, ils n'ont pas été hospitalisés... Partager ses mots et déjà pour elle un premier pas vers la résilience.

"Je me suis entendu dire a une femme que son papa allait mourir, que c'était imminent et qu'il fallait qu'elle vienne pour lui dire au revoir, alors qu'elle ne comprenait pas pourquoi car elle avait échangé avec lui la veille et que ça allait bien", raconte Carole.

Je travaille comme infirmière dans un service de soins de suite et réadaptation. Les patients que nous accueillons habituellement ont une durée d'hospitalisation d'un mois en moyenne et la plupart d'entre eu sont agés. Nous comptons 34 lits répartis sur deux secteurs gérés chacun par un médecin, une infirmière et deux aides-soignants. Le médecin est présent du lundi au vendredi, de 9h à 17h. Au delà de 17h, les week-ends et les jours fériés, nous devons avoir recours au samu directement.

Je vous plante le contexte : au début de la crise sanitaire, début mars 2020, avant l'arrivée du fameux pic épidémique, notre hôpital a mis toute son activité en arrêt, pour organiser des places supplémentaires en réanimation et organiser des "unités covid". Ce fut un grand branle-bas de combat où toute notre énergie a été employé à penser une "organisation covid". Parallèlement, plus d'intervention non urgente au bloc, plus de scanner, plus de consultations...

Si notre service n'a compté alors aucun cas de covid, toute son organisation a été chamboulée. Nous avons commencé par vider notre unité car il fallait absolument désengorger les autres services pour qu'ils puissent faire de la place pour les éventuels patients covid+. Premières difficultés, les familles ont eu peur du virus et ont refusé catégoriquement le retour à domicile de leurs proches... Un retour un peu anticipé certes, mais tout a fait légitime. Les échanges avec les familles furent houleux et, côté patients, c'était tout aussi difficile d'autant que le contexte général était délétère et qu'il allait se creuser de plus en plus.

Bon votre patient a 80 ans passé... il ne sera pas admis en réanimation au vu du contexte... au vu de son grand âge, on va le laisser partir tranquille

Autre difficulté, et pas des moindres, la plus dure et quasi jamais relatée : les moments où certains de nos patients se sont dégradés, ont décompensé. Un patient qui, du jour au lendemain, s'est mis en état d'inconscience ; un autre devenant hypotendu et tachycarde ; un autre encore anurique et oedémateux...

Comme l'activité habituelle de l'hôpital était en arrêt et comme les places en réanimation était réservées pour les patients du pic épidémique, pas encore arrivés je précise... on  s'est entendu dire : bon votre patient a 80 ans passé... il ne sera pas admis en réanimation au vu du contexte... au vu de son grand âge, on va le laisser partir tranquille...

C'est comme cela que l'on a vécu une dizaine de décès en un mois et ce fut dur. On ne s'est plus reconnus dans notre savoir-être, dans notre savoir-faire, lorsqu'on s'est retrouvés devant les familles à ne pas savoir comment les aider, ni comment les soulager, ni comment les accompagner. Je me suis entendu dire a une femme que son papa allait mourir, que c'était imminent et qu'il fallait qu'elle vienne pour lui dire au revoir, alors qu'elle ne comprenait pas pourquoi car elle avait échangé avec lui la veille et que ça allait bien. Elle ne comprenait pas pourquoi il allait mourir, ni de quoi et pourquoi on ne faisait rien pour lui.

Il m'est très difficile aujourd'hui, comme pour mes collègues, de réaliser qu'on a laissé mourir ces patients car, contexte oblige, ils avaient 80 ans passé... Ces décès-là, ne sont pas comptabilisés dans les statistiques des morts du covid-19. Ne sont-ils que de simples dommages collatéraux de la crise sanitaire ? Cette pensée m'est insupportable. Voilà pourquoi je voulais en témoigner car le silence m'est douloureux.

Carole, infirmière dans un service de soins de suite et réadaptation

Et pour vous ? Quel impact des décès sur votre état émotionnel pendant la crise sanitaire au COVID19 ?

L’objectif de cette enquête , à l'initiative de l'association Soins aux Professionnels en Santé (SPS) en collaboration avec Infirmiers.com est d'apprécier l’impact, sur l’état émotionnel des infirmier(e)s, des décès des patients survenus lors de leur exercice professionnel pendant la crise sanitaire du Covid-19 afin de mieux répondre à leurs besoins et les accompagner. Merci de livrer votre ressenti sur ce sujet, on le sait très sensible et douloureux. Les résultats feront ensuite l'objet d'une restitution sur Infirmiers.com et plus largement dans les medias professionnels et grand public. Et si, comme Carole, vous souhaitez témoigner, n'hésitez pas à nous adresser votre contribution. Merci d'avance.

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Source : infirmiers.com