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SANTÉ PUBLIQUE

Antibiorésistance : une menace pour la santé mondiale

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Publié le 26/10/2023

S’appuyant sur les données communiquées par 87 pays, le dernier rapport de l’Organisation mondiale de la santé sur la surveillance de l’usage des antimicrobiens (GLASS) pointe une progression de la résistance aux antibiotiques (RAM) dans les infections bactériennes chez l’être humain, de même que la nécessité de disposer de données plus solides.

Antibiorésistance (Pixabay)

Le cinquième rapport du Système mondial de surveillance de la résistance aux antimicrobiens et de leur usage (GLASS), publié par l’Organisation mondiale de la santé (OMS),  met précisément en évidence « des niveaux élevés de résistance (supérieurs à 50 %) pour des bactéries », donnant souvent lieu « à des infections sanguines en milieu hospitalier, comme Klebsiella pneumoniae et Acinetobacter spp. » . Potentiellement mortelles, ces infections doivent de fait obligatoirement être soignées à l’aide d’antibiotiques de dernier recours, tels que les carbapénèmes. Cependant, alerte l’OMS,  8% des infections sanguines dues à la bactérie Klebsiella pneumoniae résistent à ces mêmes carbapénèmes, ce qui augmente le risque de décès imputables à des infections qu’il est impossible de prendre en charge.

Progression de la résistance au traitement de plusieurs bactéries

Autre fait notable pointé dans ce nouveau rapport : « une progression de la résistance au traitement de plusieurs bactéries responsables d’infections courantes dans la population ». Ainsi, plus de 60% des isolats de Neisseria gonorrhoeae, une maladie sexuellement transmissible courante, affichent une résistance à l’un des antibactériens oraux les plus utilisés, en l’occurrence la ciprofloxacine, précise l’OMS. Plus de 20% des isolats d’E. coli – l’agent pathogène le plus courant dans les infections des voies urinaires – sont résistants à la fois aux médicaments de première intention (ampicilline et cotrimoxazole) et au traitement de deuxième intention (fluoroquinolones)

Si l’OMS concède une globale stabilité quant aux tendances en matière de résistance aux antimicrobiens au cours des quatre dernières années, elle considère toutefois que « les infections sanguines dues à des souches résistantes d’Escherichia coli et de Salmonella spp., et les infections à gonocoque résistant ont progressé d’au moins 15% par rapport aux taux de 2017». L’institution internationale souhaite donc «poursuivre les recherches pour identifier les raisons du développement observé de la résistance aux antimicrobiens (RAM) et comprendre dans quelle mesure il serait lié à l’augmentation du nombre d’hospitalisations et des traitements antibiotiques pendant la pandémie de Covid-19, qui a également empêché plusieurs pays de communiquer des données pour 2020 ».

Les pays les plus pauvres parmi les plus touchés

Et ce d’autant plus que de nouvelles analyses montrent que les pays moins bien couverts en matière de dépistage principalement ceux à revenu faible ou intermédiaire, sont plus susceptibles de signaler des taux de RAM significativement plus élevés pour la plupart des combinaisons agent pathogène-médicament. Raison possible invoquée : « Dans beaucoup de ces pays, un nombre limité d’hôpitaux de référence communiquent des informations au GLASS », en l’occurrence souvent ceux « qui prennent en charge les patients les plus malades, ceux-là mêmes qui sont susceptibles d’avoir déjà reçu un traitement antibiotique au préalable » relève ainsi l’OMS. 
Par exemple, les niveaux médians de RAM observés dans le monde étaient de 42 % pour E. coli et de 35 % pour Staphylococcus aureus résistant à la méticilline – SARM – les deux indicateurs de la RAM dans les objectifs de développement durable. Néanmoins, dans les pays dont la couverture de dépistage est élevée, ces niveaux s’avèrent nettement inférieurs, à savoir respectivement 11 % et 6,8 %. C’est le cas de la France. Ainsi, en établissement de santé, la proportion de résistance aux céphalosporines de 3e génération (C3G) chez les souches de E.coli isolées d’infection invasive concerne 8,3% des souches en 2021 (3,2% en ville et 9,2% en Ehpad sachant que les objectifs de la stratégie nationale sont respectivement de <3% et <8%). Elle est d’ailleurs à la baisse depuis 2016, après avoir fortement augmenté (de < à 1% en 2002 à 11,2% en 2016).

Consommation d'antibiotiques en France et en Europe
L’antibiorésistance en chiffres en France
- Environ 700 prescriptions d’antibiotiques en France pour 1 000 habitants en 2021 (hors hospitalisation) : soit 21,5 DDJ (doses définies journalières)/1 000 habitants/jour en global. Un chiffre de 17 % inférieur à ce qu’il était en 2019 (La cible fixée par la stratégie nationale 2022-2025 étant  inférieure à 20 DDJ/1 000 hab.).
- 282 doses pour 1 000 journées d’hospitalisation. C’est la quantité consommée en 2021 dans 1 717 établissements de santé volontaires pour surveiller et analyser la consommation des antibiotiques de leurs patients. Cette valeur est plus faible qu’en 2020, avec notamment des consommations plus faibles de macrolides et de fluoroquinolones. Toutefois, la consommation d’autres antibiotiques considérés comme à large spectre (par exemple les céphalosporines de 3e génération, les carbapénèmes et les antibiotiques actifs contre les SARM) a progressé.
- La France, 4e pays européens le plus consommateur d’antibiotiques (depuis 2018) selon les données de la surveillance ESAC-Net.Parmi les traitements par antibiotiques particulièrement générateurs d’antibiorésistance, on retrouve l’amoxicilline + l’acide clavulanique ; les céphalosporines de 3e ou 4e générations ; les fluoroquinolones.
- 158 000 cas d’infections à BMR par an en France, dont 16 000 infections invasives (infections graves : méningites, bactériémies, septicémies). 12 500 décès associés à ces infections.L’étude Burden BMR réalisée par Santé publique France en 2014-2015 confirme que le poids des infections à BMR est très important ; les infections à SARM et entérobactéries résistantes aux C3G en représentent la plus grande part (deux tiers du total des infections recensées).
Sources : ESAC-Net via ANSM, Mission Spares, Résistance aux antibiotiques : données. Santé publique France, nov.2022

S’agissant de la résistance aux fluoroquinolones, celle-ci était de 14,8% des souches en 2021 (12,7% en ville mais avec une augmentation de + 7,6% par rapport à 2020 et 19,5% en Ehpad affichant ainsi une reprise à surveiller). Quant à la proportion de résistance à la méticilline chez le staphylocoque doré, la France se situe, selon le réseau EARS-Net, légèrement sous la moyenne européenne (11% versus 15,8% en 2021).
En outre, en ce qui concerne la consommation d’antimicrobiens chez l’être humain, « 65% des 27 pays ayant communiqué des informations ont atteint l’objectif de l’OMS de faire en sorte qu’au moins 60% des antimicrobiens consommés appartiennent au groupe Access, c’est-à-dire des antibiotiques qui, selon la classification AWaRe de l’OMS, sont efficaces dans un large éventail d’infections courantes et présentent un risque relativement faible d’engendrer une résistance », remarque l’OMS. C’est le cas, là encore, de l’Hexagone, puisqu’en 2021, les données de ventes d’antibiotiques montrent que 72,3 % des antibiotiques consommés dans notre pays appartiennent au groupe Access (73,3% en ville et 60,5% en établissements de santé).

La classification AWaRe
L’OMS a mis en place un indicateur de bon usage des antibiotiques nommé AWaRe qui distingue trois groupes d’antibiotiques : Access, Watch et Reserve. Il privilégie l’usage des antibiotiques du groupe Access (notamment l’amoxicilline associée ou non à l’acide clavulanique, la doxycycline, le co-trimoxazole). (Source : ANSM, données de ventes d’antibiotiques issues des laboratoires pharmaceutiques)
Risque d’impasse thérapeutique avec les BHRe
Deux types de bactéries sont définis comme des bactéries hautement résistantes émergentes (BHRe) : les entérobactéries productrices de carbapénèmases (EPC), et Enterococcus faecium résistant aux glycopeptides (ERG). Il existe en France des recommandations particulières de prise en charge des patients infectés ou porteurs d'une BHRe, dont l'actualisation a été publiée en janvier 2020. Depuis 2012, le nombre de signalements rapportant une EPC ou un ERG est en augmentation constante. En 2021, Santé publique France a reçu 1 447 signalements d'EPC et 156 signalements d'ERV. La part des signalements avec prélèvements à visée diagnostique était de 34% pour les EPC et de 20,5% pour les ERV. Les données françaises du réseau EARS-net montrent une proportion de résistance aux carbapénèmes chez les entérobactéries isolées d’hémoculture ou de LCR qui se maintient à moins de 1% depuis plusieurs années. Les EPC et les ERG ne sont responsables que de peu d’infections graves en France. Cette situation est possible grâce à la promotion de la stratégie “search and isolate”, mise en place dans les établissements de santé français, suite aux recommandations du Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP) actualisées en 2020 (parues initialement en 2013), afin de prévenir la diffusion des BHRe. Mais, les dernières données du CNR de la résistance aux antibiotiques invitent à rester vigilants. (Source : “Résistance aux antibiotiques” (dossier), Santé publique France, nov. 2022)

Combler les lacunes d’interprétation des taux de RAM

Dans ce dernier rapport du GLASS, l’OMS indique également sa volonté de « disposer de données plus solides » afin d’interpréter correctement les taux de RAM. Du fait « de la couverture insuffisante des dépistages et de la faible capacité des laboratoires, en particulier dans les pays à revenu faible ou intermédiaire », l’OMS entend ainsi à la fois mettre en place « des enquêtes nationales représentatives sur la prévalence de la RAM pour générer des données de référence et de tendance sur ce thème à l’appui de l’élaboration des politiques et du suivi des interventions » et augmenter « le nombre de laboratoires de qualité garantie qui communiquent des données représentatives sur la résistance aux antimicrobiens à tous les niveaux du système de santé ».

Un problème mondial de santé publique et d’ordre économique

En attendant, la RAM fait à ce jour partie des dix principales menaces mondiales pour la santé. « La résistance aux antimicrobiens s’attaque aux fondements de la médecine moderne et met en péril la vie de millions de personnes », a ainsi déclaré le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’OMS. Bien que la surutilisation ou la mauvaise utilisation des antibiotiques soient les principaux moteurs de son émergence, de nombreux autres facteurs interconnectés contribuent également à sa prévalence et à sa propagation. La résistance aux antibiotiques est ainsi un problème mondial urgent de santé publique (en 2019, près de 5 millions de décès étaient associés à la résistance bactérienne aux antibiotiques, dont 1,27 million attribuable à la RAM bactérienne) mais aussi au niveau socio-économique. La Banque mondiale a estimé que jusqu’à 3,8% du produit intérieur brut pourrait être perdu à cause de la RAM d’ici 2050.

Le SSES et la prévention des infections et de l’antibiorésistance
Le service sanitaire des étudiants en santé (SSES) peut permettre aux étudiants en santé, notamment infirmiers (ESI), de participer à des actions de formation/information du public dans divers domaines, dont la prévention des infections et de l’antibiorésistance.
Pour en savoir plus : https://www.preventioninfection.fr/service-sanitaire-des-etudiants-en-sante/
“Une seule santé” pour combattre l’antibiorésistance et les infections associées aux soins
Les actions de prévention conduites dans une démarche One Health, “Une seule santé”, se multiplient. L’année 2021 a vu s’achever l’action conjointe européenne de lutte contre la résistance aux antibiotiques et les infections associées aux soins (EU-JAMRAI). Coordonnée par la France de septembre 2017 à février 2021, elle avait pour objectifs de renforcer les synergies entre États membres et de proposer des mesures concrètes “Une seule santé” pour combattre l’antibiorésistance et les infections associées aux soins. Elle a donné lieu à la création d’un symbole pour représenter l’engagement contre l’antibiorésistance et dix notes d’orientations pour promouvoir les bonnes pratiques. Un second volet de cette action conjointe verra le jour en 2023, sous la coordination de la France, pour accompagner les actions engagées dans le cadre de l’EU-JAMRAI 2017-2021 et aller plus loin. Source : Prévention de la résistance aux antibiotiques : une démarche “une seule santé”. Santé publique France, nov.2022
Pour en savoir plus : https://eu-jamrai.eu/our-work/

    Sources:
    -  Prévention de la résistance aux antibiotiques : une démarche “une seule santé”. Santé publique France, nov. 2022
    - Missions nationales Spiro et Spares via RéPias/Santé publique France
    - Murray CJ, Ikuta KS, Sharara F, et al. Global burden of bacterial antimicrobial resistance in 2019: a systematic analysis. Lancet. 2022;399:629-55. doi: 10.1016/s0140-6736(21)02724-0.


    Source : infirmiers.com