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AU COEUR DU METIER

Agir ou ne pas agir en matière de prévention quaternaire : quid des infirmiers ?

Publié le 17/03/2021

La prévention quaternaire cible les patients ou populations à risque de surmédicalisation, génératrice de conséquences sanitaires et économiques, en évitant des interventions médicales non nécessaires, notamment la multiplication d’examens médicaux ou la polyprescription inutile. Des actions de prévention existent, mais les professionnels de santé – dont les infirmiers – et les instances doivent penser un changement en profondeur de notre système de santé afin de diminuer la surmédicalisation.

Le sur-diagnostic et le sur-traitement   peuvent   engendrer   des   effets   indésirables physiques et psychologiques évitables

Surmédicalisation et polyprescription vont de pair. Revers du nécessaire progrès médical, elles nécessitent aujourd’hui une réflexion collective pour diminuer leur impact délétère, tant sur le plan sanitaire que sur celui de l’économie. Infirmiers et professionnels de santé en général sont invités à s’inscrire dans cette démarche pour identifier, ensemble, comment tendre vers la "décroissance raisonnée" en santé.

Quelles préventions ?

C’est en 1948 que l’OMS décrit la prévention comme étant l’ensemble des mesures visant à éviter ou réduire le nombre et la gravité des maladies, des accidents et des handicaps. L’OMS distingue 3 types de prévention1:
-    la prévention primaire englobe l’ensemble des actes visant à diminuer l’incidence d’une maladie dans une population.
-    la prévention secondaire a pour but de diminuer la prévalence d’une maladie dans une population, notamment le dépistage.
-    la prévention tertiaire permet de diminuer la prévalence des incapacités chroniques ou des récidives dans une population et de réduire les complications, invalidités ou rechutes consécutives à la maladie.

En 1985, Jamoulle définit le principe de prévention quaternaire comme étant la prévention de la surmédicalisation2. Le but est d’identifier un patient ou une population à risque de surmédicalisation, éviter les interventions médicales non-nécessaires et lui proposer des procédures de soins éthiquement et médicalement acceptables. La prévention quaternaire correspond à l’adage "primum, non nocere3" (d'abord, ne pas nuire). Cette définition est adoptée par l’Organisation Internationale des Médecins Généralistes (WONCA) dès 1995.
Les trois premières préventions sont plutôt centrées sur la maladie alors que la prévention quaternaire offre un nouveau paradigme centré plus spécifiquement sur le patient.

Quels enjeux ?

Les avancées de la médecine ont rendu la santé efficace et omniprésente3. L’utilisation ubiquitaire de la technologie, les ressources en santé presque illimitées dans nos pays occidentaux et la médecine fondée sur les preuves (Evidence Based Medecine, ou EBM) entrainent une médecine aux possibilités démesurées4. La santé globale des populations s’en trouve peut-être améliorée, mais est apparu un pan "non nécessaire" de la prise en soin, une surmédicalisation entraînant une polyprescription et une multiplication d’examens médicaux invasifs inutiles. Un rapport de l’ANSM datant de 2013 rapporte qu’en moyenne, un Français consomme 48 boîtes de médicaments par an5. En effet, la France est l’une des plus grands consommateurs mondiaux de médicaments : 50 % des Français âgés de plus de 65 ans prennent entre 1 et 4 médicaments chaque jour dont 38% en consomment entre 5 et 10 par jour6. Les exemples de prescription inappropriée sont nombreux : on peut citer notamment les antibiotiques, les hypocholestérolémiants ou les benzodiazépines6,7

Quelles conséquences ?

Les deux principales conséquences de la surmédicalisation sont sanitaires et économiques. Le sur-diagnostic et le sur-traitement   peuvent   engendrer   des   effets   indésirables physiques et psychologiques évitables  pour  le  patient sans  qu’il  y  ait  un  vrai  impact  de  ce  dépistage  sur  la morbi-mortalité   associée   à   la   pathologie3. Cette iatrogénie, en lien avec les traitements médicamenteux ou les examens médicaux invasifs, n’est pas acceptable d’un point de vue sanitaire et éthique dès qu’un bénéfice réel n’est pas attendu, soit du fait d’une prescription non justifiée, soit d’un traitement prescrit ou maintenu dans des conditions ne permettant pas d’atteindre un bénéfice6. L’hospitalisation pour cause iatrogène représenterait 5 à 10 % des hospitalisations des plus de 65 ans et 20 % des plus de 80 ans8. D’autres conséquences sanitaires sont retrouvées comme l’augmentation de la non observance, du nombre de traitements inappropriés ou encore l’augmentation du risque d’interactions médicamenteuses potentiellement dangereuses8. De plus, le coût de la haute prévalence des prescriptions et des utilisations non conformes est considérable pour le système de santé français et serait estimé à plus de 10 milliards d’euros par an6.

Quelles actions ?

La prévention quaternaire est une activité qui fait appel aussi bien à l’EBM, qu’à l’éthique, la santé publique et la relation centrée sur le patient. En effet, comme le décrit D. Widmer dans son article : un retour à la médecine fondée sur le récit [du patient], visant la co-construction d’une histoire à partir de la plainte formulée et s’intéressant aux représentations  du  patient, permet  d’éviter de coconstruire des histoires de médicalisation technologique excessive4  Pour les prescripteurs, il s’agit aussi de se former et d’informer afin de pratiquer, de manière ciblée et pertinente, la déprescription et favoriser la déconsommation en santé. D’autres solutions impliquant le système de santé en France peuvent également être discutées afin d’éviter la surmédicalisation, en commençant par exemple par le système de rémunération des établissements de santé. En effet, la tarification à l’activité peut entrainer une course à la rentabilité en incitant à réaliser le plus d’activités possibles9. De même, la prise en charge en silo des problèmes de santé des patients entraine un risque de polymédication et de iatrogénie. Un des exemples de cette vision en silo concerne les recommandations de bonnes pratiques qui ne portent que sur une pathologie alors qu’une grande partie de la population est polypathologique. En effet, les personnes déclarent en moyenne 2,9 troubles de santé un jour donné et le nombre de maladies associées déclarées augmente avec l’âge : 4 pour les 40-64 ans, 5 pour les 65-79 ans et 6 pour les personnes de 80 ans et plus8. Enfin une autre solution, favorisant l’interdisciplinarité et la communication inter professionnelle, serait par exemple d’étendre le dossier médical partagé des patients ou d’informatiser les résultats des examens médicaux pour éviter des prescriptions répétées d’examens non nécessaires. En effet, par manque de collaboration ou de communication, les professionnels de santé n’ont pas toujours les résultats d’examen de leurs patients dont ils ont besoin au moment de la consultation, et ils peuvent être amenés à represcrire de nouveau ces examens.

Quels acteurs ?

De manière générale, l’ensemble des professionnels de santé doit être acteur de la prévention quaternaire en identifiant les patients ou situations à risque. Néanmoins, les principaux acteurs de la prévention quaternaires sont les professionnels de santé prescripteurs : les médecins, et plus spécifiquement les médecins généralistes. En effet, la prescription est probablement l’acte le plus fréquent d’un praticien6. Les Infirmiers de Pratique Avancée doivent également se positionner en acteur de santé publique sur la prévention quaternaire. En effet, ils ont la possibilité de renouveler et adapter certains traitements médicamenteux et doivent donc être attentifs aux ordonnances dont ils sont responsables10. Ils peuvent également coordonner les parcours de soins des patients, au même titre que les infirmiers coordinateurs ou les coordinateurs de parcours de soins, afin d’éviter la multiplication d’examen et favoriser l’articulation des acteurs de santé au bénéfice du patient. La prévention quaternaire est un défi de santé publique qui concerne l’ensemble des professionnels de la santé, médecins et IPA étant en première ligne. Des solutions individuelles de prévention existent mais des discussions à plus grande échelle sur l’évolution du système de santé et des pratiques de prise en charge des patients complexes avec polypathologie paraissent nécessaires.

Notes

      1. https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/annexes.pdf
      2. https://www.maisonmedicale.org/La-prevention-quaternaire-une.html
      3. https://medecine-generale.sorbonne-universite.fr/wp-content/uploads/2020/10/La-pre%CC%81vention-quaternaire.pdf
      4. Widmer D., Herzig L. et Jamoulle M., Prévention quaternaire: agir est-il toujours justifié en médecine de famille ?
        https://www.revmed.ch/RMS/2014/RMS-N-430/Prevention-quaternaire-agir-est-il-toujours-justifie-en-medecine-de-famille
      5. ANSM, Analyse des ventes de médicaments en France en 2013, rapport 2014
        https://ansm.sante.fr/var/ansm_site/storage/original/application/3df7b99f8f4c9ee634a6a9b094624341.pdf
      6. Rapport sur la surveillance et la promotion du bon usage du médicament en France, 2016
        https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/Rapport_Begaud_Costagliola.pdf
      7. Camille Lefebvre-Durel et al, Benzodiazepine and Z drug cessation in elderly patients: A qualitative study on the perception of healthcare providers and the place of advanced practice nurses, International Journal of Mental Health Nursing, décembre 2020
        https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33314689/
      8. Clerc P., Le Breton J., Polyprescription médicamenteuse et polypathologies chroniques : ce qu’en disent les médecins généralistes
        https://www.cairn.info/revue-sciences-sociales-et-sante-2013-3-page-71…
      9. Le Monde, Qu’est-ce que la T2A, qui cristallise les tensions à l’hôpital, février 2018
        https://www.lemonde.fr/sante/article/2018/02/13/qu-est-ce-que-la-t2a-qu…
      10. Décret du 18 juillet 2018 relatif à l’exercice d'infirmier en pratique avancée

Marine Bourgninaud
M. Sc
Infirmière étudiante en pratique avancée


Source : infirmiers.com