«Un salarié infirmier de bloc qui a eu un grave accident de la vie désirait retrouver son poste : on a réussi à l'accompagner, en lien avec la médecine du travail, en lien avec ses collègues. Un gros travail de l'équipe a permis de le réintégrer». Fabienne Paysant, infirmière hygiéniste, référente handicap et TMS Pros* à la Polyclinique du parc à Caen (Calvados) se souvient de ce cas particulier comme d'«une belle réussite», lors du webinaire organisé, le 17 décembre, par Hospimedia sur "L'insertion des soignants souffrant de handicap dans les structures de soins".
Pour Fabienne Paysant, la facilité d'intégration dépend des situations et du handicap. «Il ne faut pas oublier que 80% des handicaps sont invisibles», rappelle-t-elle, considérant que la situation évolue dans le bon sens. Il y a une dizaine d'années, nous n'avions pas réussi à intégrer une infirmière qui avait des problèmes d'audition. (....) mais ce qui n'était pas possible il y a 10 ans, il y a 5 ans, peut devenir possible grâce à la technologie». La posture est donc primordiale, toujours rester «dans le questionnement et dans la recherche de solutions», assure-t-elle. «Je ne me donne pas de limites dans les solutions» envisagées.
Un vivier de ressources humaines pour un secteur en tension
«La question du handicap au travail exige de faire évoluer nos représentations», observe Pierre-Marie Lasbleis, directeur de l'association Objectif emploi des travailleurs handicapés (OETH). «Les recruteurs peuvent se dire : J'ai déjà tellement de difficultés, je ne vais pas en rajouter quelques unes avec des personnes qui auraient un handicap». Or dans le paysage actuel, avec des métiers du soin en tension et une difficulté de recrutement et de fidélisation des professionnels, le handicap pourrait représenter «une chance», estime Pierre-Marie Lasbleis,à condition de changer de regard, et les politiques de recrutement. «On voit bien que dans un moment de crise des métiers, il y a une nécessité d'élargir le vivier des compétences et des candidatures».
Parfois les équipes sont fatiguées, l'inclusion peut donc prendre un peu de temps, mais aussi apporter un nouvel élan.
L'effort pour recruter des personnes en situation de handicap, suppose en premier lieu «d'élargir les profils», note le directeur associatif, «et suppose de penser autrement le recrutement. C'est stimulant pour les établissements d'évoluer dans ce domaine». Et de souligner : «Les personnes en situation de handicap ont acquis un savoir précieux (sur leur handicap notamment) qui représente un terreau de compétences et de motivation formidable». Malgré tout, les limites existent, dont il faut rester conscients : «Une infirmière aveugle peut difficilement être intégrée à une équipe», regrette-t-il.
« Éviter les généralités»
L'inclusion des soignants en situation de handicap se considère également au cas par cas car les situations sont extrêmement variées sur le terrain. «Parfois, aucun aménagement n'est nécessaire pour inclure un soignant en situation de handicap, il faut donc éviter les généralités», souligne d'ailleurs Karine Delannoy, référente handicap mutualisée pour la fonction publique hospitalière dans les Hauts-de-France. Celle-ci prend en compte les réalités de chaque situation et dégage le positif : «Parfois les équipes sont fatiguées, l'inclusion peut donc prendre un peu de temps, mais aussi apporter un nouvel élan», constate-t-elle. L'inclusion est donc une affaire de patience et de prise en compte de tous les enjeux, sans oublier de «préparer les équipes». Fabienne Paysant, en tant que référente handicap, confirme ici son rôle multi-casquettes. «J'ai la chance d'avoir une journée par semaine dédiée à cette thématique», un temps très précieux selon la professionnelle, qui souligne toute l'importance de se former sur cette fonction. «Il faut notamment être capable de comprendre le catalogue des aides, foisonnantes. Entre le dispositif, l'accompagnement, les droits possibles, il faut du temps pour s'approprier tout cela», confirme-t-elle. Si les outils ne manque pas, il faut les connaître et savoir les utiliser. «Monter un aménagement de poste, un financement, un dossier, peut présenter des difficultés».
«Il y a cette question de l'accès aux aides, mais ça n'est qu'une partie du sujet : c'est en réalité un jeu d'acteurs extrêmement complexe», réagit Pierre-Marie Lasbleis. «Au fond c'est souvent je crois ce qui peut décourager les entreprises ou les établissements». Finalement ce ne sont pas tant les ressources qui manquent que la capacité à repérer le bon acteur, la bonne aide. D'où la nécessité de ne pas rester seul en tant que référent handicap.
La spécificité des personnels hospitaliers réside dans le fait qu’ils sont avant tout des soignants et que, dans leur quotidien, le porteur de handicap, c’est l’autre, c’est le patient.
L'engagement nécessaire de la direction de l'établissement
Pour Pierre-Marie Lasbleis «il existe un tiercé gagnant : pas de politique handicap sans un engagement au plus haut de l'établissement. La thématique doit par ailleurs être connectée aux enjeux stratégiques des ressources humaines des établissements (attractivité, ressources...). Le deuxième point concerne l'organisation : il faut, dans l'établissement, des correspondants sur le terrain, qui vont pouvoir prendre le relais et éviter que tout repose sur les seules épaules du référent-handicap. Troisième élément : le projet, qui doit être défini et clair, pour éviter de se disperser : est-ce que la structure veut plutôt travailler sur le recrutement, sur la fidélisation des personnes en situation de handicap ? ». C'est aussi un travail d'équipe que de favoriser cette politique d'inclusion. Pour Pierre-Marie Lasbleis, il manque souvent sur ces thématique, aussi et surtout, d'un chef d'orchestre avec une vision globale et cohérente du sujet, dans des systèmes cloisonnés, en mille-feuille. «S'ajoute à cela une situation d'urgence, au quotidien, de la crise des métiers, qui empêche de prendre de la hauteur», constate-t-il, résumant : «Ce n'est ni un problème d'outillage ni de ressources, mais essentiellement un problème de temps et d'articulation de ces sujets-là».
La communication au sein des équipes, un levier indispensable
« La spécificité des personnels hospitaliers réside dans le fait qu’ils sont avant tout des soignants et que, dans leur quotidien, le porteur de handicap, c’est l’autre, c’est le patient », expliquait Marie Houssel, responsable du Pôle Ressources Humaines hospitalières au sein de la FHF, dans un article en ligne consacré à ce sujet. Les équipes soignantes gagneront à être sensibilisée à la question, alors que des jalousies peuvent émerger face à ce qu'elles lisent parfois comme un traitement de faveur. «On travaille beaucoup sur les aménagements d'horaire», explique par exemple Fabienne Paysant qui évoque notamment la fatigabilité des personnes en situation de handicap. Un aménagement nécessaire et pourtant parfois mal perçu. L'inclusion des professionnels en situation de handicap ne se fera donc pas sans une communication efficace, y compris au sein des équipes. Le service RH et la direction ont également leur rôle à jouer, bien sûr, avec un positionnement clair et une communication efficace auprès des agents. «Il existe encore beaucoup de préjugés, et il est vrai que les tensions de travail ne poussent pas non plus aux comportements bienveillants», note Pierre-Marie Lasbleis. «Quand une équipe va bien, on limite ce genre de réactions bien sûr». Karine Delannoy, appelée pour des situations complexes, résume assez bien la situation : « La fierté, c'est quand les acteurs cessent d'être en colère».
SANTÉ PUBLIQUE
Préserver le cœur des femmes : le rôle des infirmiers en prévention
ÉCOLE
Education à la santé sexuelle : les infirmières scolaires sous haute pression
HOSPITALISATION
L’infirmier "bed manager" au cœur de la gestion des lits
IDEL
Vidéo - "Avec un enfant, il faut savoir être enveloppant"