Mardi soir, comme bon nombre de mes concitoyens, j’ai regardé le débat télévisé des candidats pour la primaire qui déterminera le candidat des Républicains à l’élection présidentielle de 2022. Pendant le débat, les journalistes ont abordé la thématique de la santé dans notre pays et j’ai, au vu de ma profession, naturellement écouté attentivement les propositions des divers candidats. J’attendais bien entendu les idées proposées pour l’hôpital public, et plus précisément comment seraient inclus au débat les infirmiers, mis sur le devant de la scène médiatique depuis le début de la crise sanitaire.
L’introduction du thème de la santé dans les échanges entre candidats était illustrée par des séquences très courtes qui interrogeaient les soignants sur leurs conditions de travail et sur la situation à l’hôpital public. L’échantillon choisi était représentatif de la proportion des métiers soignants à l’hôpital puisque sur 7 personnes interviewées, nous avions deux médecins, deux infirmières, une infirmière anesthésiste, une aide-soignante et un cadre de santé1. Les propositions formulées in fine traduisaient-elles, elles aussi, cette répartition ?
Infirmier, première profession de santé
Par rapport à la démographie des professionnels de santé en France, nous comptons 764 260 infirmiers en poste au 1er janvier 2021 selon la DREES (Direction de la recherche, de l’évaluation et des statistiques). Parmi eux, ils seraient 135 027 libéraux ou mixtes et 490 197 à travailler exclusivement dans la fonction publique hospitalière. A ceux-ci, nous pouvons ajouter 90 000 étudiants infirmiers en France présents dans tous les territoires et surtout une formation postbac dans les villes ne disposant pas d’universités. En tout état de cause, nous pouvons dénombrer un corps social de plus de 800 000 infirmiers ou étudiants infirmiers. C’est donc la première profession de santé en France. Concernant les médecins, on en recense 227 946 en 2021 ; la moitié d'entre eux est composée de spécialistes (hors médecine générale) et près d'un tiers exerce comme salariés hospitaliers, soit 71 620 médecins.
J’ai bien entendu qu’il fallait remettre les soignants au cœur du système hospitalier
Bureaucratisation, la faute à qui ?
Cette comparaison avec le corps social des médecins a pour but de montrer qu’à la différence de ces derniers et malgré le nombre important d’infirmiers en France, nous avons du mal à exister en termes de reconnaissance et de gouvernance. Notre existence est même parfois gommée par l’emploi d’une rhétorique constante dans les médias qui nous regroupe sous le vocable de soignants comme si les soignants était un corps social constitué et homogène. Ce constat est d’autant plus frappant que, suite au reportage, les candidats républicains ont proposé des réformes pour la gouvernance de l’hôpital public avec une idée directrice qui est la débureaucratisation
de l’institution et la nomination de médecins pour diriger les hôpitaux. Cette idée est plutôt fédératrice dans le contexte de la crise sanitaire car la première vague a catalysé une prise de conscience collective sur la situation de nos hôpitaux et nos pansements en grève
collés sur nos tuniques jaunies depuis tant d’années, prenaient tout à coup un autre sens : celui de la réalité d’un système hospitalier à bout de souffle. Alors oui, mardi soir, j’ai bien entendu qu’il fallait remettre les soignants au cœur du système hospitalier et que 34 % des postes à l’hôpital étaient des administratifs… Mais la faute à qui ?
Mon objectif n’est pas de rédiger un article dans une logique partisane
Pour une gouvernance partagée
Depuis 25 ans, je travaille dans la fonction publique hospitalière. J’ai connu successivement les ordonnances Juppé de 1995, la loi Kouchner de 1999, la loi Hôpital Patient santé et Territoire de 2009, la loi Santé de 2016, le Ségur de la santé en 2020. Tous les gouvernements de droite, de gauche et du centre ont proposé des réformes visant à améliorer l’hôpital. Le constat du fonctionnement de celui-ci au printemps 2020 est un profond rejet de la politique publique hospitalière de ces 20 dernières années. A l’aube de cette élection présidentielle, les candidats respectent cette tradition et proposent leurs mesures d’urgence pour l’hôpital public. J’ai donc entendu de ces derniers qu’il fallait débureaucratiser l’hôpital, en donnant plus de pouvoirs aux chefs de service hospitaliers
, associer les médecins à la Direction de l’Hôpital
et plus encore nommer des médecins pour diriger les hôpitaux
et tous les directeurs d’hôpitaux doivent être des médecins
. En somme, selon eux, la solution pour sauver l’hôpital public est de proposer la gouvernance aux médecins ; quid des infirmiers, qui représentent 490 000 agents de la fonction publique hospitalière ? Mon objectif n’est pas de rédiger un article dans une logique partisane. Que les candidats soient de droite, de gauche, du centre et des extrêmes, ils mettent tous en avant un paradigme hospitalier très médico-centré. Ma volonté n’est pas non plus de m’opposer au pouvoir décisionnel médical, mais je souhaiterais que la gouvernance de l’hôpital soit partagée, et décidée en concertation médicale paramédicale et administrative.
La reconnaissance, la valorisation de notre métier ne passent pas exclusivement par des augmentations de salaire
Participation au pouvoir décisionnel
Le corps infirmier est autonome, en termes de recherche universitaire. De plus en plus d’infirmiers sont doctorants grâce au processus d’universitarisation des sciences infirmières. Les infirmiers spécialisés ont un niveau Master, tout comme les Infirmiers de Pratiques Avancées ; quant aux infirmiers diplômés d’État, ils possèdent un niveau licence. Le corps infirmier prépare celles et ceux qui le souhaitent à se spécialiser dans les filières de management de la santé, soit à un niveau de proximité en tant que cadre de santé et cadre supérieur de santé, soit à un niveau plus stratégique en effectuant la formation de Directeur des Soins à l’École des Hautes Études en Santé Publique, basée à Rennes. Il est tout à fait compétent dans les missions qui lui sont assignées à l’hôpital. Alors pourquoi aucun candidat, aucun politique ne s’appuie sur ce corps professionnel qui est le plus nombreux à l’hôpital, pour engager des réformes ? Les infirmiers ne souhaitent pas passer d’une tutelle administrative à une tutelle médicale qui a déjà existé par le passé et qui serait aujourd’hui très contreproductive pour une profession qui s’est donné les moyens de son autonomie. La reconnaissance, la valorisation de notre métier ne passent pas exclusivement par des augmentations de salaire, mais bien par notre participation directe au processus décisionnel de l’hôpital.
Au sein de l’Assemblée Nationale, nous dénombrons une seule infirmière anesthésiste
Absence d’infirmiers dans la sphère publique
Lors du débat télévisé, un candidat médecin de profession proposait de doubler le nombre d’étudiants infirmiers. Or c’est encore une fois méconnaître les enjeux de la formation infirmière, le manque de places de stage et la difficulté du tutorat dans les services de soins. Le fait de travailler ensemble à l’hôpital ne présage pas de l’ascendant d’une profession sur une autre. Je pense que mes collègues médecins n’apprécieraient guère que j’évoque le besoin de réforme des études médicales et que je sois partie prenante dans la réingénierie des études médicales du point de vue de mes compétences paramédicales. Cette absence de prise en compte de l’infirmier par les politiques est le fruit d’un héritage religieux qui conditionnait une attitude de dévouement, de vocation, de retrait et de discrétion. Cette culture professionnelle a perduré et se traduit aujourd’hui par l’absence de représentants infirmiers dans la sphère publique. Au sein de l’Assemblée Nationale, nous dénombrons une seule infirmière anesthésiste parmi les députés et à ma connaissance, jamais un ministre de la santé a eu, pour origine professionnelle, le métier d’infirmier. Malheureusement, je ne peux pas m’empêcher de penser que cette absence d’infirmiers dans la sphère publique est aussi le corollaire du fait que ce métier est exercé par plus de 86 % de femmes. Enfin, permettez-moi d’émettre l’hypothèse que l’absence flagrante de prise en compte des 800 000 infirmiers par l’ensemble des candidats à l’élection présidentielle reflète peut-être les inégalités femmes/hommes qui semblent perdurer dans certains domaines illustres de notre société.
Note
- Les cadres de santé (12 335 en France au 1er janvier 2021, source DRESS) sont à 80 % des infirmiers qui ont réalisé une année de formation dans un Institut de Formation des Cadres de Santé (IFCS) avec comme missions soit de manager les équipes de soins paramédicales, soit de former les futurs professionnels de santé
Arnaud Barras
Infirmier, Cadre Supérieur de Santé
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