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SAPEURS POMPIERS

Un infirmier de Pompiers sans Frontières à Haïti

Publié le 12/02/2010

Infirmiers.com a rencontré et interviewé Patrick Rustul, 48 ans, marié et 2 enfants. Infirmier du groupe Total à Pau, Infirmier de Sapeurs Pompiers à la caserne de Mourenx (Service Départemental d'Incendie et de Secours des Pyrénées Atlantique (64)) depuis 20 ans et membre de Pompiers Sans frontières.
L’équipe de la mission n°2 de Pompiers Sans frontières était composée de : 1 médecin – 2 infirmier(e)s – 1 logisticien – 2 techniciens des eaux

Infirmiers.com : dans quel état d'esprit avez-vous préparé cette mission ?

Patrick Rustul :
C'est une action que je mûris depuis 2005.
J’ai vu partir des collègues au tsunami, sur des tremblements de terre, et d’autres catastrophes à travers le monde. Les pompiers m’ont plusieurs fois mis en alerte pour un départ immédiat nécessitant de ma part de poser des congés, de m’organiser d'un point de vue travail, famille, social, vaccination, administratif ...
Ces faux "exercices" ont fait que j'étais prêt. J'avais donc très envie de partir, partir porter secours là où la catastrophe se produit et apporter ma compétence, mon aide. C'est Gaëlle Selas qui m'a insufflé la solution en me présentant l’association de Pompiers Sans frontières (voir l'encadré ci dessous).

infirmiers.com : comment s'est passé l'inclusion de Pompiers sans Frontières dans le dispositif Français ?

Patrick Rustul : Mal. On est la mission 2 qu'organise Pompiers Sans Frontières pour Haïti. La première équipe est partie de Point à Pitre avec Médecins sans Frontières qui avait des places libres dans l’avion loué. Ensuite la France s'est organisée et n'a pas souhaitée de petite ONG sur place alors que notre association est justement pour cela agréée sécurité civile pour les missions internationales d'assistance aux populations.
La préfecture de Martinique a refusé de nous permettre d'embarquer sur l'un des trop rares vols du pont aérien établi par les militaires, qui eux, ont fait le maximum pour nous aider. L'association Pompiers Sans Frontières est pourtant autonome tant pour son hébergement, l'abri que ses soins, que sa restauration avec plus d'une semaine de vivres dans nos 1.7 tonne de fret.
Nous sommes arrivés avec une unité de potabilisation d'eau, pour nous fournir mais aussi fournir à la population de l'eau potable.
Nous avons donc perdu comme toutes les organisations sur place un temps important en formalités administratives.

Après un temps conflictuel avec la préfecture, nous avons décidé de gérer notre propre déplacement avec Air Caraïbes pour Saint Domingue en ne se chargeant que des sacs médicaux et de la potabilisation soit 750 kg.

La 2ème structure avec le groupe électrogène et du matériel divers sont partis par le fret d’Air France du Vendredi soir.

Arrivé le jeudi soir à Saint Domingue, nous avons été pris en charge par Miguel Muñez (guide touristique) qui nous a amené au Centre Opérationnel d’Urgence (Emergency) C.O.E à Saint Domingue. (Il gère les situations de crises et l'organisation des secours pour le pays) et porte assistance à Haïti. M. Pimentel responsable à C.O.E. nous a hébergé et permis de transiter gratuitement avec notre matériel jusqu'à Port au Prince. 13 heures de bus.

Nous sommes arrivés le samedi soir à Jimani après la fermeture de la frontière, nous avons donc dû rester sur place à proximité d'un hôpital. Plusieurs ONG étaient sur place dans des tentes avec plusieurs équipes médicales internationales.
Ces membres de la coopération humanitaire nous ont prêté de la logistique afin de dormir à l’abri. Stephéne Dubourdieu (notre médecin) nous a proposé de prêter main forte à l’hôpital. Nous avons donc renforcé le service de pédiatrie où de nombreuses spécialités du corps d'assistance médical étaient présentes mais peu de soignants. Ce fut certainement une des parties les plus douloureuses de la mission en raison du grand nombre d'enfants en souffrance et amputés devant des parents respectueux, dignes. Parfois une larme s’échappe, et un sanglot, il a perdu sa femme et sa fille dans la catastrophe.
Pendant notre présence, nous avons vécu une réplique avec une secousse violente qui nous a sidéré, comme le bruit assourdissant d’un gros bulldozer, mais sans conséquence pour là ou nous étions.

Le dimanche matin, nous sommes repartis pour 5 heures de route vers Port au Prince.
A notre arrivée, près de l’aéroport nous n'avons pas vu encore l’ampleur du désastre mais des camps de fortune avec une population vivant dans la rue, des gens calmes, ayant très certainement faim, soif mais toujours cette dignité qui donne une grande leçon de vie.

Nous avons déchargé tout le matériel transporté par C.O.E. pour le charger dans un camion d’Handicap International. Éric, un médecin Haïtien qui a fait voyage avec nous depuis la Martinique, a loué une voiture et nous a proposé de rejoindre la première mission présente sur les lieux et basée à Brache (3 kilomètres avant Léogâne) situé près de la rivière Momance. Cette zone n’est pas médicalisée, les principales ONG se trouvant au centre des villes dévastées. Nous avons une population d'environ 2.500 personnes à qui aucun soin n’avait été fait.

De nombreux secours de différents pays étaient présents à Léogâne, Médecins sans Frontières, une unité de radiologie Japonaise, une unité de potabilisation de la Croix-Rouge Espagnole, une équipe chirurgicale de l'armée Canadienne, une unité de soins Allemande, du matériel de terrassement de l'armée américaine, une clinique privée aidée par les Dominicains.

infirmiers.com : quelles ont été vos missions ?

Patrick Rustul : Nous avons monté au plus tôt l'unité de potabilisation d'eau afin de pouvoir fournir une eau potable, pendant que l’équipe médicale commençait à réaliser des soins sous des bâches. En 2 jours et demi, avec le bouche à oreille, nous avons soigné plus 197 patients principalement pour de la traumatologie avec des plaies infectées jusqu'à pour certaines l'ulcération et nécrose, des fractures du fémur, de la mâchoire, avant bras… à 12 jours de la catastrophe non vus par des médecins. Nous les avons immobilisés avec des attelles fabriquées en carton puis dirigés vers MSF.

La première action du médecin fut la mise sous antibiotique des blessés, les plaies sont béantes, jusqu’à l’os, des plaies de guerre. Peu de déshydratation ou de dénutrition.
En matière d'urgence vitale, peu, une seule pour notre mission évacuée par Médecin sans Frontières sur un hôpital.

Une autre mission importante fut aussi d'établir un plan de zone, d'échange avec les autres ONG afin de permettre le montage d'un réseau d'assistance et d'entraide entre les acteurs humanitaires. Chaque ONG ouvrant ses portes aux autres pour le soutien logistique et l'entraide. Le mot SOLIDARITE prend toute sa valeur.
Lors de ma visite à Léogâne, j'ai rencontré d'autres ONG qui mettaient en place une coordination locale à laquelle nous nous sommes joints pour proposer notre aide et établir une carte des moyens en présence.
Nous sommes donc partis d'une action localisée et nous nous sommes retrouvés dans une action concertée.

De toute manière on ne peut travailler seuls sur place, il faut se concerter, mais c'est une action individuelle, il n'existe pas de point de regroupement des associations, il faut aller au devant des autres comme on le fait avec les populations et présenter son organisation, ses moyens, ses spécialités en insistant bien sur le fait de ne pas vivre sur le dos des autres mais avec les autres.
Certaines associations n'ont fait qu’un aller-retour sur Haïti en raison de leur manque d'organisation, de leur manque de moyens matériels et financiers ; c'est certainement d'ailleurs cela qu'a cherché à tout prix à éviter la préfecture de Martinique dans son attitude dure mais compréhensive.

infirmiers.com : quel fut votre ressenti durant cette mission ?

Patrick Rustul : Avoir apporté une pierre à l'édifice et s'être occupé d'une population dans le besoin, et qui est une population reconnaissante, digne, propre. La vie ne nous a pas attendue pour reprendre, les gens nous reçoivent avec le sourire, les enfants jouent, les marchés de rue sont achalandés, les couleurs ré apparaissent ...

infirmiers.com : quel rapport avec la mort ?

Patrick Rustul : la mission 1 de PoSF a été plus dure que la nôtre. Nous avons été moins exposés, les cadavres avaient disparus des bords des routes, juste des carcasses de pneus laissant imaginer qu'un ou plusieurs corps aient été brûlés dessus (nous a expliqué Éric le médecin Haïtien).

infirmiers.com : question sécurité ?

Patrick Rustul : aucun problème de ceux décrits par les médias. On a vu de longues queues de sinistrés attendant les rations alimentaires, mais calmes et sans bousculades. Ici et là, quelques personnes qui couraient lors des largages par hélicoptère de denrées, mais c'est tout.

Le business sur le ONG est une source financière importante pour les locaux, mais souvent agriculteurs et éleveurs, la population avaient en quantité fruits et légumes, poulets....
Malgré tout, l'armée Sri Lankaise dépêchée par les Nations Unies gardait le camp la nuit avec l'armée canadienne à 200 mètres.
On a vraiment vécu avec la population digne, solidaire, cordiale ; des mots importants.

infirmiers.com : comment s'est géré le retour vers la France

Patrick Rustul : trop rapide, l'impression de ne pas avoir suffisamment fait. La 3è équipe est arrivée le mardi soir pour nous relayer. Ils avaient récupéré le reliquat de matériel qu'on avait laissé en Martinique. Mais il y avait les impératifs d'avion le jeudi après midi pour correspondre avec la Martinique et la France.

Le but de la mission est atteint par l’acheminement du matériel, le montage de la potabilisation qui a mobilisé l’armée américaine avec son génie civil et nos muscles ainsi que d’avoir débuté les soins à la population, d'avoir pu apporter notre pierre à l'édifice même si l'on peut penser en avoir fait encore trop peu.

La 3ème équipe a pu assurer de suite la continuité des soins, renforcée (une première pour nous) par une équipe Française de gynécologues sans frontières.
Le retour s'est fait en voiture (10 heures) avec un passage "un sas" de compression de deux jours en Martinique dans l'attente de l'avion pour la métropole. Ces deux jours sont très importants car ils nous permettent de récupérer et de revenir à des choses plus terre à terre de la vie courante ; libération de parole, de vécu, d'image, des moments importants qui soudent une équipe pour longtemps.

Nous en avons profité pour faire un passage à Radio Française d’Outremer (RFO) ainsi que son journal télévisé du soir et faire parler de PoSF ainsi qu’apporter le témoignage du désastre Haïtien.

infirmiers.com : le retour à la vie normale ?

Patrick Rustul : Dur. Difficile car on sait ce qu'on a laissé, reprise du boulot avec nos petits problèmes journaliers, le décalage horaire et un enchainement fatiguant et plusieurs jours de difficultés.
Aujourd'hui encore, le fait d'en parler, de diffuser à l'entourage permet de décharger une grande partie d'émotion nécessaire à la prise de conscience collective mais aussi au débriefing psychologique personnel.

Je remercie mon employeur du Centre Technique et Scientifique Jean Féger de Total à Pau de m’avoir libéré pour cette mission ainsi que le don de 20.000 € fait à PoSF sans lequel rien n’était possible.
M. Monthieu, maire de Le Robert à la Martinique et président du CASDIS qui nous a hébergés dans le CIS de Le Robert puis chez un ami, M. Marie Luce et cela gracieusement.


Pompiers Sans Frontières est une ONG de Solidarité Internationale créée en 1991, agréée Sécurité Civile (Arrêté du 17 oct. 2006-J.O. n°254), spécialisée dans l’aide au développement dans les missions internationales.
L’ensemble de ses activités, qu'elles soient ponctuelles ou de longue durée, s'inscrit dans une optique de transfert de savoir-faire auprès des acteurs de la Sécurité et de la Protection Civile des pays émergents.
Pompiers Sans Frontières mène des missions d’Urgence, de Réhabilitation et de Développement en privilégiant une logique de Développement Durable dont bénéficie l’ensemble de la population.
Depuis 1991, Pompiers Sans Frontières a acquis une connaissance pratique des systèmes locaux de Sécurité et de Protection Civile publics et privés. Cette expérience lui permet aujourd’hui d’optimiser son action de coopération et d’assistance partout dans le monde.
Pompiers Sans Frontières dispose d'un bureau permanent au Pérou

Pour plus d'informations ou pour les soutenir : http://www.pompiers-sans-frontieres.org
Pompiers sans Frontières recherche des dons pour maintenir son action, dont plusieurs semaines sont déjà prévues à Haïti
Pour les aider, merci de cliquer sur http://www.pompiers-sans-frontieres.org/Faire-un-don-utile_a45.html

Facebook : Groupe Pompiers Sans Frontières – Antenne sud ouest



James IACINO
Infirmier consultant
james.iacino@izeos.com


Source : infirmiers.com