SOUFFRANCE NEONATALE

Une échelle innovante pour évaluer la douleur chez les prématurés

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Publié le 21/03/2023

Les équipes de la clinique de médecine néonatale de l’hôpital Jeanne de Flandre ont mis en place une nouvelle échelle d’évaluation de la douleur chez les bébés prématurés. L’objectif : affiner l’observation du comportement des nouveau-nés face à une situation douloureuse, en collaboration avec les parents.

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Comment mieux évaluer la douleur et l’inconfort chez les grands prématurés ? C’est la question que se sont posées les unités de réanimation, de soins intensifs et de médecine de la clinique de médecine néonatale Jeanne de Flandre de Lille. Un établissement qui accueille les bébés prématurés à partir de 24 semaines. Menée conjointement par les différentes équipes et appuyée par le programme NIDCAp (voir encadré 1), leur recherche a permis la mise en place d’une nouvelle échelle de mesure de la douleur plus adaptée au profil des petits patients pris en charge.  

On dénombre 115 procédures douloureuses durant les deux premières années de vie.

Des échelles souvent inadaptées

Tout est parti de deux constats : « De nombreuses procédures douloureuses sont réalisées au quotidien dans nos unités », raconte Céline Dervyn, coordinatrice NIDCAP1. En tout, selon l’étude EPPIPAIN publiée en 20062, on dénombre 115 procédures douloureuses durant les deux premières années de vie. Y sont notamment inclus les soins de routine (soins des yeux, de la bouche, les changes…), « qui peuvent être réalisés 8 fois par jour et apporter de l’inconfort » aux enfants. Or « les échelles d’évaluation de la douleur sont peu ou mal utilisées », poursuit-elle, donnant l’exemple des nourrissons sous morphine, pour lesquels il n’existe pas de cotation sur les postes infirmiers. « Et certaines sont inappropriées dans certaines situations », telle que l’échelle EDIN (voir encadré 2) qui n’est pas adaptée aux enfants intubés, à la différence de la Comfort Behavior.

Le NIDCAP, une philosophie du soin qui existe depuis 1986
Le Neonatal Individualized Developmental Care Assessment Programm (ou Programme néonatal individualisé d’évaluation et de soins de développement, NIDCAP) a pour objectif de soutenir le développement des bébés prématurés ou vulnérables, avant leur hospitalisation. Grâce à des plans de soins et des environnements adaptés à chaque enfant, il vise à protéger leur développement cérébral en limitant les sources de stress. Pour parvenir à cette individualisation, des observations régulières des nouveau-nés et de leur comportement sont nécessaires. Enfin, il prône une plus grande implication des parents auprès de leur enfant lors de son hospitalisation.
Au sein de l’hôpital Jeanne de Flandre, un poste de coordinatrice a été créé dès 2018. À l’heure actuelle, 97 infirmières et 6 médecins ont reçu la formation de niveau 1 ; 24 infirmiers et 3 médecins ont suivi la formation de niveau 2 (FINE) ; et 2 puéricultrices ont reçu celle de niveau 3, dispensée actuellement à un médecin et deux puéricultrices.

De la réflexion au choix de l’échelle

Afin d’y remédier pour mieux prévenir, évaluer et prendre en charge la douleur, les trois unités ont nommé des référentes "douleur", créé un groupe de travail, et dressé un état des lieux des procédures mises en place au sein de la structure avant d’imaginer une carte conceptuelle. « Nous avons commencé par définir ce qu’est la douleur, selon 3 états : vécue, prolongée, procédurale, et son impact sur l’enfant mais aussi les parents et les soignants à court et moyen terme », relate Céline Dervyn. Suite à des recherches bibliographiques, le groupe a opté pour l’échelle comportementale Néoconfort, jugée plus adaptée aux prématurés. « C’était la première fois que nos unités travaillaient en transversal », note-t-elle.

L’échelle Néoconfort, explique sa collègue Chrystel Knapen, elle aussi coordinatrice NIDCAP, est une version modifiée de l’échelle Comfort Behavior. A savoir une échelle d’hétéro-évaluation, qui mesure à la fois la douleur et le niveau de sédation des nouveau-nés et qui s’appuie, entre autres, sur des items comportementaux. Déjà testée à Rotterdam, dans un centre NIDCAP, en 2005, elle a bénéficié d’une traduction en français en local, précise-t-elle. L’échelle permet d’évaluer la douleur aigüe et/ou prolongée ainsi que la profondeur de la sédation chez les enfants intubés et ceux en ventilation spontanée, avec des items adaptés en fonction de ces deux situations (« Vigilance », « État de calme ou d’agitation », « Pleurs » en ventilation spontanée ou « Respiration » pour les enfants intubés, « Mouvements », « Tension du visage » et « Tonus musculaire »). 

EDIN, Comfort Behavior : des échelles spécifiques
L’Échelle de Douleur et d’Inconfort du Nouveau-né (EDIN) est utilisé pour évaluer la douleur prolongée et l’inconfort chez les bébés prématurés mais aussi nés à terme en réanimation. Elle est utilisable jusqu’à 3 mois et comporte 5 items.
L’échelle Comfort Behavior mesure la douleur et le niveau de sédation, principalement chez les enfants intubés ou sédatés en réanimation. Elle se compose de 8 items, dont 3 physiologiques. Elle peut également être utilisée pour évaluer l’excès de sédation.

Des tests et des modifications

Avant d’être diffusée au sein des équipes, l’échelle a dû être testée par les coordinatrices, organisées en binômes. « Nous avons coté 10 échelles pour des enfants intubés et 10 autres pour les non intubés. Nous avons ensuite comparé nos cotations, en menant toujours une discussion en post-réalisation afin de prendre en compte l’environnement », détaille Céline Dervyn.  Sur les différentes cotations, « 8 se sont trouvées dans la même zone » de score une fois comparés les résultats au sein des binômes, pointe Chrystel Knapen. Au fur et à mesure des observations et de la formation, « la qualité des observations est devenue plus fine et s’est améliorée ». À chaque divergence de score, les coordinatrices ont pu échanger afin de justifier leur cotation.

À l’arrivée, plusieurs modifications ont été apportées à l’échelle Néoconfort, notamment pour l’item « Vigilance » pour lequel les coordinatrices se sont trouvées « en difficulté quand l’enfant était en état de somnolence », décrit-elle. « Nous passions alors de 2 minutes d’observation à 3 pour voir si l’enfant passait dans un état de sommeil différent. »  Même chose pour les mouvements, ceux-ci étant parfois trop peu nombreux au cours de la durée d’observation pour coter un seuil. La durée d’observation a été, là aussi, augmentée d’une minute. Par la suite, des évaluations ont également été réalisées avec les référentes "douleur", dont certaines formées au niveau 1 NIDCAP, afin qu’elles s’approprient l’échelle.

Graphique, enfant intubé, cotation, évaluation douleur
Exemple d'une cotation réalisée en binôme sur des enfants intubés

Des pistes d’amélioration déjà identifiées

C’est d’ailleurs l’un des points forts de cette échelle : « son utilisation est rapide et facile », avance Céline Dervyn, qui met également en avant le fait qu’elle permet d’améliorer « les capacités d’observation » des soignants et qu’elle sensibilise à « l’impact de l’environnement sur l’expression de la douleur ». Une évolution qui se manifeste dès la formation, ajoute l’infirmière : sur 14 personnes, après une deuxième série d’observations, 13 sont ainsi en mesure de coter dans une même zone, contre seulement 10 lors de la première, donne-t-elle en exemple. L’échelle a toutefois des points faibles, à commencer par des actions de cotation contraintes dans le temps et qu’il est donc nécessaire de réaliser à plusieurs reprises sur un même poste. Elle n’est également pas adaptée aux enfants atteints de lésions neurologiques.

Quant aux perspectives, les équipes souhaiteraient la mise en place de l’échelle en ventilation spontanée dans l’ensemble de la clinique ainsi qu’un accompagnement renforcé des parents des nourrissons afin d’augmenter leur implication. Il s’agirait également « d’améliorer la qualité des relevés pour créer des statistiques », conclut Chrystel Knapen.

1 Propos recueillis lors de la première Journée d’Étude Paramédicale en Néonatologie le 31 janvier 2023 à Créteil.

2 Réalisée entre septembre 2005 et janvier 2006 chez 430 nouveau-nés admis en centres de réanimation.


Source : infirmiers.com