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"Je me sens enfin infirmier" : les IPA, ces nouveaux soignants qui arrivent sur le terrain

Publié le 22/10/2021

En juillet 2018, cinq textes de loi voyaient le jour pour encadrer en France les soins infirmiers en pratique avancée. Les tout-premiers étudiants, diplômés via une VAE dès 2019 (une soixantaine environ) et en 2020 post cursus universitaire, ont commencé à gagner les services de soins et la pratique libérale. Comment ces professionnels d’un genre nouveau s’insèrent-ils dans le paysage soignant ? Quel accueil leur est réservé ? Et surtout, les bénéfices attendus sont-ils au rendez-vous ? Sur le terrain, le bilan est parfois contrasté.

Il n’aura pas fallu moins de deux décrets et trois arrêtés au Journal Officiel pour offrir un cadre législatif à la pratique avancée. En 2019 et 2020, les promotions pionnières d’infirmiers en pratique avancée (IPA) sont donc sorties de l’université dont elles avaient gagné les bancs pour se former à ce nouveau métier. Un métier que les pouvoirs publics voulaient d’un niveau intermédiaire entre le médecin et l’infirmier diplômé d’état et apte à exercer de manière interprofessionnelle pour « assurer des soins de qualité et faciliter la prise en charge ambulatoire ». En pratique, comment l’implantation des premiers arrivés s'est-elle déroulée ? Hospitaliers et libéraux témoignent.

Des motivations communes

Je me sens enfin infirmier et plus technicien sous délégation médicale. Depuis la fin de son Master, c’est le sentiment de Roland Pautonnier, ancien IDEL et IPA mention PCS1 en maison de santé et en centre de dialyse dans la Manche. Déjà titulaire de deux DU et défavorable à la démarche de soins en silos, il s’était déjà engagé dans une démarche de progression de ses compétences bien avant de s’orienter vers la pratique avancée, qu’il a considérée comme une opportunité d’envisager enfin le travail en collaboration avec le médecin. Je crois beaucoup au pluri-professionnalisme et à l’approche populationnelle, revendique-t-il. Une conviction qui semble donc correspondre à la feuille de route fixée par les pouvoirs publics dès 2018.

C’est un sacré changement de cap !

Sébastien Chapdaniel, ancien IDEL désormais IPA libéral (mention PCS ; PPCSP) dans l’Hérault, par ailleurs Président de la SoFRIPA2, partage cette orientation : la pratique avancée, c’est une alliance avec le médecin ; c’est acquérir de nouvelles compétences, coordonner le parcours de soin, mobiliser le raisonnement clinique, avoir davantage d’autonomie et de latitude pour la prise de décision, pour la prescription de médicaments ou d’examens d’imagerie… Tout cela est indispensable à la prise en charge globale du patient ; c’est ce qui a motivé mon engagement dans ce métier, se souvient l’infirmier. L’engagement est de taille, a fortiori lorsque le professionnel est IDE depuis de nombreuses années. Il faut accepter de passer d’un métier qu’on maîtrise parfaitement à l’entrée dans une voie où l’on redevient débutant sur certains aspects et qui requiert un positionnement différent : explorer la corporalité du patient sans l’objectif du soin pratique, c’est un sacré changement de cap !, concède Sophie Chrétien, IPA en soins palliatifs à l’hôpital Bichat à Paris et Présidente de l’Anfipa3.

Effectifs des infirmiers en pratique avancée1

1 393 étudiants (dont 729 en Master 1 et 664 en Master 2) pour l'année 2020-2021
360 mention PCS
143 mention SMP
108 mention OH
53 mention NDT

En 2020, on comptait 260 infirmiers diplômés en pratique avancée sur le territoire national.
L’objectif affiché par la DGOS en 2018 était de 5 000 professionnels formés à l’horizon 2023.
Celui du Ségur de la santé est de 3 000 professionnels formés à l’horizon 2022.

Source : Unipa
 

Un accueil en demi-teinte

Dans de nombreux cas et malgré l’impact de la crise sanitaire, patients et équipes en place réservent aux infirmiers en pratique avancée un accueil globalement bienveillant et facilitateur. La plupart du temps, les circonstances favorables et la convergence médico-soignante sont le fruit d’une participation hiérarchique active et d'un projet pensé en amont (fiche de poste, protocole…), à la fois du côté du professionnel mais également de celui de son établissement d’exercice. Le soutien de ma hiérarchie directe a été très précieux à mon implantation. J’avais par ailleurs une antériorité importante dans mon établissement et mon statut de "faisant fonction d’IPA" n’a nécessité que quelques ajustements de poste mineurs depuis ma prise de fonction officielle, relate Marie-Astrid Meyer, infirmière en pratique avancée en psychiatrie – santé mentale au sein d’un établissement francilien et secrétaire de l’Anfipa. Mais le constat n’est pas toujours si rose. Résistances et craintes sont parfois vivaces, d’autant plus que le métier est nouveau et qu’il a connu des délais de mise en œuvre très courts (les textes législatifs ont vu le jour en juillet 2018 pour trois des quatre mentions actuelles, deux mois seulement avant la première rentrée universitaire). La méconnaissance et l’incompréhension – voire la jalousie – de quelques collègues ont parfois douché l’enthousiasme de certains IPA fraîchement diplômés, qui ont entendu des remarques du type le cadre ici, c’est moi, et vous n’encadrerez pas mes équipes, ou je ne vois pas ce qu’il apporte, je fais déjà la même chose, ou encore les IPA sont trop autonomes, il faut resserrer la bride.

Communiquer, communiquer, communiquer…

Il faut y aller progressivement et faire preuve de pédagogie. Nous sommes un maillon parmi d’autres dans le système de soin et il faut rester humble, insiste M-A Meyer. Quelles que soient les conditions de la prise de poste, le retour d’expérience des IPA est clair : il faut communiquer, communiquer, communiquer… et rassurer. Une communication d’autant plus nécessaire que les actions des infirmiers généralistes, qui agissent sous délégation médicale, sont informatiquement invisibles, relève S. Chrétien. Compte tenu de l’autonomie de l’IPA, y remédier nécessite donc la révision de tout un système. Les craintes exprimées par certains membres des équipes en place nécessitent explications et rappels. Parmi les crispations récurrentes, celle des rôles et périmètres tels qu’ils ont existé jusqu’à maintenant et tels qu’ils sont connus de tous. Leur redéfinition n’est pas superflue pour désamorcer la méfiance, comme celle inspirée par l’ouverture de la prescription. C’est l’un des principaux points de friction avec les médecins, qui craignent d’être dessaisis de leurs prérogatives, même si ceux qui travaillent déjà avec les IPA en ont bien compris l’intérêt : l’IPA peut prescrire ; collaboration et respect du cadre de chacun sont tout à fait compatibles. C’est un véritable travail de compagnonnage fondé sur la confiance au sein d’un écosystème complexe où d’autres acteurs comme l’infirmier référent ont, eux aussi, leur expertise, affirme le Dr Florence Rollot-Trad, onco-gériatre à l’Institut Curie à Paris.

Certains s’appuient sur l’échange entre pairs, d’autres sur la communication institutionnelle

Pour parvenir à une compréhension mutuelle, les procédés sont variables : certains s’appuient sur l’échange entre pairs, d’autres sur la communication institutionnelle. Au CHU de Nantes où j’exerce, l’investissement dans la pratique avancée a été inscrite au projet d’établissement et la diffusion de la démarche a été générale. Aujourd’hui et grâce à la mobilisation des autres équipes, je suis clairement identifié et certains patients me sont adressés pour avis en lien avec mon expertise, constate Thomas Jezequel, IPA en oncologie – hémato-oncologie pédiatrique. Même démarche côté patients, à l’heure actuelle nécessairement adressés par le médecin, lequel a procédé à une première explication du périmètre de son collègue.  Après la consultation médicale, l’IPA prend soin d’expliciter à nouveau au patient qui il est et quel est son rôle et sa contribution au parcours de soin. Jusqu’à maintenant, je n’ai rencontré aucune réticence. Au-delà de la perception favorable des patients, il m’est arrivé de devoir clarifier à nouveau les choses et de répéter aux enfants que je reçois et à leurs parents que je ne suis pas docteur, s’amuse l’infirmier nantais.

Pratique avancée en exercice libéral exclusif, un cas particulier

Sébastien Chapdaniel fait partie de la poignée d’infirmiers en pratique avancée qui exerce en libéral exclusif. Pour établir une collaboration une fois diplômé, il a contacté plusieurs cabinets médicaux, qui lui ont répondu que sa proposition ne présentait pas d’intérêt en lien avec les besoins de santé locaux. Il a donc dû s’éloigner à plusieurs dizaines de kilomètres pour installer son activité.
Pour lui, la tarification à la « consultation » doit remplacer celle au forfait, prévue par l’avenant 7, qui rend la viabilité de son exercice quasi-impossible car elle est inadaptée aux soins primaires (80 % de son activité). Pour le même chiffre d’affaires, il travaille aujourd’hui 25 jours par mois (contre 10 auparavant en tant qu’IDEL) et doit faire face aux investissements matériels importants qu’il a consentis pour établir et équiper son cabinet.
Il déplore l’absence d’outils indispensables à sa pratique (inscription au RPPS, ordonnancier sécurisé pour renouvellement de stupéfiants…) et regrette avoir perdu de nombreux patients, lesquels craignent de faire appel à lui et de ne pas être remboursés de leurs frais de santé en raison des ordonnances qu’il établit, souvent considérées par méconnaissance comme non-valides.

Des bénéfices au rendez-vous ?

En matière de rémunération, les grilles indiciaires de la fonction publique hospitalière publiées en mars 2020 ont suscité une levée de boucliers. Selon Tatiana Henriot, IPA en Maison de Santé Pluriprofessionnelle (MSP) et Présidente de l’Unipa4, elles ne reflètent ni les activités de l’IPA ni ce qu’elles peuvent rapporter sur le plan pécuniaire aux établissements de santé. La proposition actuelle est très insuffisante. Nous demandons à ce que le niveau de salaire de l’IPA, titulaire d’un Master et qui contribue aux activités transversales et à la qualité des soins, soit basé sur celui des ingénieurs, s’indigne-t-elle, en ajoutant que de nouvelles grilles avaient été présentées lors du Ségur de la santé puis en mars dernier au Comité de suivi, présidé par Julie Devictor, IPA à l'hôpital Beaujon (Clichy) et Rédactrice en chef de la Revue de pratique avancée. Après que l'IGAS aura rendu son rapport suite à ce Comité et d'ici sa session estivale, quatre axes indispensables à l’implantation (exercice, attractivité, premier recours et formation) seront débattus. Pour réussir l'implantation des IPA, le modèle français doit continuer de se construire sur des bases solides, précise J. Devictor.

Vous, vous prenez le temps

La libération du temps médical que visait la création de la pratique avancée par le gouvernement est-elle par ailleurs au rendez-vous ? La réponse n’est pas binaire. Si les infirmiers en pratique avancée constatent unanimement l’utilité du binôme médecin-IPA comme réponse aux besoins territoriaux de santé, le temps médical est certes réinvesti auprès d’autres patients, mais aussi dans d’autres activités. Ma collaboration avec un IPA me permet en effet de recevoir de nouveaux patients ou ceux, plus complexes, qui ne sont pas stabilisés ; mais elle requiert naturellement un accompagnement post-théorique continu de l’IPA (relecture de documents, réponse aux sollicitations…) relativement chronophage, précise F. Rollot-Trad. Pour les patients enfin, la lecture de la situation comporte moins d’ambiguïté et les bénéfices qu’ils trouvent auprès de leurs nouveaux interlocuteurs sont nets : proximité, examen clinique prolongé… Vous, vous prenez le temps, entendent régulièrement les IPA de la part de leurs patients, auxquels ils accordent une consultation de trente minutes à une heure. Les médecins font leur possible mais ils manquent de temps, et l’IPA peut répondre à ce besoin en s’adaptant au territoire et au domaine ; c’est l’un des enjeux de santé publique et d’économie de la santé, estime T. Jezequel. En clair, une profession qui a toute sa place dans le paysage soignant, et dont les évolutions doivent être accompagnées.  Et F. Rollot-Trad de conclure : la connaissance de cette nouvelle discipline mérite d’être largement diffusée pour faciliter le développement des missions des IPA.

La recherche, une activité nouvelle

Formés initialement aux soins infirmiers, les IPA incluent également à leur pratique une composante transversale de recherche. Grâce à d’autres formations (Master, travaux universitaires…), certains sont plus familiarisés que d’autres aux codes et à la méthodologie qu’elle requiert, mais tous inaugurent l’activité avec un niveau d’exigence supérieur. Un travail d’acculturation, y compris entre pairs, est donc nécessaire. Concrètement, les IPA se fondent, dans leur exercice quotidien, sur les données probantes produites par la littérature (recommandations de bonnes pratiques…) et participent activement par ailleurs à la production de travaux de recherche. Dans ce dernier cas et pour de nombreux IPA, la recherche en soins infirmiers ne doit pas être la réplique de la recherche médicale, mais bien porter sur une discipline qui existe par elle-même, ou sur l’apport de cette discipline propre à un travail pluriprofessionnel.

Notes

      1. Pathologies chroniques stabilisées (PCS) ou prévention et polypathologies courantes en soins primaires (PPCSP) pour le secteur libéral. Les trois autres mentions disponibles en pratique avancée sont l’oncologie - onco-hématologie (OH) ; la maladie rénale chronique - dialyse - transplantation rénale (NDT) ; la psychiatrie - santé mentale (SMP).
      2. Société Française de Recherche des Infirmiers en Pratique Avancée (site Web à venir)
      3. Association Nationale Française des Infirmiers de Pratique Avancée
      4. Union Nationale des Infirmiers en Pratique Avancée

 

Pour aller plus loin :

Accès aux textes législatifs en lien avec la pratique avancée

Tableau des universités proposant la formation d'IPA

Démarches administratives post diplomation

Anne Perette-FicajaDirectrice de la rédactionanne.perette-ficaja@gpsante.fr @aperette

 

Source : infirmiers.com