IBODE

Nouvelle bonification indiciaire: la justice fait bouger les lignes pour les IBODE

Publié le 01/02/2022

Longtemps privés de la nouvelle bonification indiciaire, les IBODE dans leur ensemble sont en passe d’en bénéficier. Une petite révolution pour la profession, qui découle directement de deux décisions de justice en sa faveur.

"Le bénéfice de la nouvelle bonification indiciaire1 (NBI) n’est pas lié au corps d’appartenance ou aux grades des fonctionnaires mais aux emplois qu’ils occupent, compte tenu de la nature des fonctions attachées à ces emplois au regard des responsabilités qu’ils impliquent ou de la technicité qu’ils requièrent."" C’est par ces mots que le tribunal administratif de Marseille a statué le 12 juillet 2021 en faveur des infirmiers de bloc opératoire (IBODE) qui l’avaient saisi afin de réclamer le versement de ce complément de salaire ainsi que de sa rétroactivité sur 4 ans. Quelques mois plus tard, en novembre, le tribunal administratif de Lille tranchait dans les mêmes termes, condamnant le centre hospitalier de Hazebrouck à les accorder à ses propres IBODE.

Une application hétérogène de la loi

Tout est parti d’un constat par le Collectif Inter-Blocs (CIB) : certains IBODE ne touchent pas cette NBI, pourtant versée aux infirmiers en soins généraux exerçant en bloc opératoire dans les mêmes conditions. "Nous nous sommes emparés du sujet dès notre création, en 2019", relate Grégory Chakir, le porte-parole du Collectif. "Très vite, dès que nous avons commencé à en parler, des infirmiers nous ont indiqué qu’ils subissaient ce même [préjudice]. En prospectant, nous nous sommes rendu compte que tous les IBODE étaient concernés". En cause : une lecture erronée du décret de février 1992 (qui instaure la NBI), conditionnée par les modes de gouvernance des hôpitaux qu’a imposé la loi HPST de 2009, dite Bachelot, en renforçant le pouvoir des instances de direction. "Les directions appliquent leurs directives en local, ce qui explique qu’il existe une telle disparité, entre les établissements qui la versent et ceux qui ne la versent pas", explique ainsi Grégory Chakir. Seule une trentaine de centres hospitaliers (CH Métropole-Savoie de Chambéry, de Montauban ou encore de Saumur) accordaient ainsi la NBI. La position des structures qui se refusent à la verser est par ailleurs renforcée par celle de la DGOS. Dans son point réglementaire du 8 février 2021, celle-ci déclarait en effet que la "NBI est destinée aux infirmiers appartenant au corps de catégorie B en extinction et aux infirmiers en soins généraux relevant de la catégorie A lorsqu’ils exercent leurs fonctions dans les blocs opératoires à titre exclusif", les IBODE n'étant donc pas "éligibles" à son versement.

 

La NBI n’est pas une prime,c’est une partie de notre salaire qui ne nous est pas versée.

Le préjudice pour les IBODE qui ne la perçoivent pas est pourtant important. La NBI est en effet notamment prise en compte dans le calcul des pensions de retraite. "La NBI n’est pas une prime, c’est une partie de notre salaire qui ne nous est pas versée. Au sein du CIB, nous considérons cela comme un vol", s’insurge le porte-parole." La loi est pourtant très claire : les infirmiers qui travaillent en bloc opératoire doivent bénéficier d’une revalorisation", ajoute-t-il.

Des différences de traitements entre professionnels

Le Centre Hospitalier Intercommunal des Alpes du Sud (CHICAS) est l’un des établissements concernés par ces jugements. Le 12 juillet 2021, il a ainsi non seulement été condamné à verser la NBI aux IBODE requérants mais aussi la rétroactivité sur 4 ans, le délai autorisé par la loi. Soit la conclusion d’une procédure débutée à l’été 2020. "À la demande de la CFDT, nous avons envoyé le 25 août une lettre au directeur de l’établissement afin de lui demander l’attribution de la NBI. Il a refusé. Nous avons donc fait un recours gracieux2, soit une lettre qui l’informait que nous portions l’affaire devant le tribunal admifnistratif", relate Françoise Amar, qui fait partie des 12 IBODE de l’hôpital concernés par la procédure. À l’origine de leur action : une différence de traitement, jugée incompréhensible, entre les IBODE et les autres infirmiers de l’établissement, dont les IADE, qui en bénéficient.

"Je travaille comme infirmière de bloc depuis plus de 20 ans, et j’ai touché la NBI durant toute la période où j’ai fait fonction d’IBODE sans en avoir la qualification officielle", témoigne de son côté Hélène Mardikian. "Mais on a cessé de me la verser en 2006, quand je suis revenue de l’école pour devenir IBODE." Pour les aider, les infirmiers ont pu bénéficier du soutien du CIB, en premier lieu, mais aussi de la CFDT, qui les ont notamment mis en relation avec des avocats et facilité le financement des frais engagés. L’accompagnement est d’autant plus nécessaire, relève Grégory Chakir, qu’il est "très difficile de faire une telle demande auprès de son établissement, car on a toujours peur des pressions".

Des décisions de justice qui font date

Les montants accordés à la suite du jugement du tribunal administratif de Marseille paraissent toutefois dérisoires : 3 023 euros au titre de la rétroactivité et 60,91 euros par mois au titre du versement mensuel pour Françoise Amar, qui travaille à temps plein et cumule 22 ans d’ancienneté. Hélène Mardikian indique avoir reçu 1 900 euros au titre de la rétroactivité, citant un temps de travail moindre que celui de sa collègue (80% puis 60%). Et seuls les IBODE ayant fait la démarche ont d’ailleurs été concernés par cette décision. "Dans notre établissement, seuls les IBODE qui ont participé à la procédure bénéficient du versement de la NBI et de la rétroactivité", prévient l’infirmière. Sollicité, le CHICAS, qui a fait appel, n’a pas souhaité s’exprimer sur le sujet.

Les décisions des tribunaux de Marseille et de Lille ont néanmoins fait boule de neige. Les IBODE qui lancent ce type de procédure sont ainsi de plus en plus nombreux. Plus d’un millier de dossiers seraient en cours d’instruction au sein du cabinet Cassius Avocats, mobilisé par le CIB. Et depuis, Olivier Véran, le ministre de la Santé, a annoncé en janvier que la NBI serait bien versée à l’ensemble de la profession à compter d’avril 2022. Mais sans la rétroactivité, précise le porte-parole du CIB, qui encourage les IBODE à se mobiliser pour en faire la demande auprès des établissements. Car les jugements des deux tribunaux créent un précédent qui peut faciliter les négociations et éviter ainsi un passage devant la justice. Plusieurs établissements (CHIVA de Foix, CH de Sélestat, GHT Nord-Ouest Vexin Val d’Oise) ont en effet choisi d’attribuer NBI et rétroactivité à leurs IBODE à la suite d’une conciliation.  

Le CIB, lui, ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Après la généralisation de l’attribution de la NBI à tous les IBODE de France, il entend réclamer sa revalorisation à 50 points, contre 13 points actuellement.

1. Complément de rémunération accordée à certains emplois de la fonction publique comportant une responsabilité ou une technicité particulière et qui consiste en l’attribution de points d’indice majoré supplémentaires.

2. Recours administratif que peuvent exercer les administrés contre une décision prise par une autorité administrative.

Journaliste audrey.parvais@gpsante.fr

 


Source : infirmiers.com