Grèves, arrêts maladie, réquisitions… C’est dans ce contexte particulièrement tendu que s’est tenu du 5 au 7 juin, le Congrès Urgences 2019. Yann Jaouen, infirmier, a exposé au cours d’une conférence, les différents risques professionnels rencontrés en structures d’urgence. Revue de détails.
Aux urgences, plus qu’ailleurs, les professionnels sont soumis à une pression très forte
, a déclaré la ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn dans une allocution lors du congrès Urgences le 6 juin dernier. Quelques heures après, plusieurs centaines de soignants manifestaient à Paris pour dénoncer leurs conditions de travail
après trois mois de crise
. L’engorgement des services d’urgence était autrefois majoritairement évoqué en période de grippe saisonnière ou de canicule. Aujourd’hui, les services sont saturés en quasi-continuité. Cette saturation engendre une augmentation des risques professionnels.
Yann Jaouen est infirmier et exerce en santé au travail
auprès d’une mutuelle. Il énumère les risques qui prévalent aux urgences : l'exposition aux agents biologiques, l’activité physique et les risques psychosociaux.
À l’origine de la souffrance au travail...
Les risques d’exposition aux agents biologiques sont des micro-organismes susceptibles de provoquer une infection, une allergie ou une intoxication : Quand on parle de risques biologiques, ce qui vient tout de suite à l’esprit, ce sont les accidents d’exposition au sang (https://www.infirmiers.com/les-grands-dossiers/aes/). Les voies aériennes sont aussi une autre grande voie d’exposition avec la grippe
comme le rappelle Yann Jaouen. Aux urgences, le deuxième grand facteur de risque est lié à l’activité physique. Porte d’entrée de l’hôpital, ouvert 24h/24, 365 jours par an, le service des urgences est un lieu qui présente de nombreuses contraintes, des conditions de travail particulières, des horaires décalées et des pics d’activité dans des endroits exigus. Tous ces éléments sont propices à l’apparition d’événements indésirables qui peuvent avoir des répercussions physiques
, poursuit l’infirmier. Ces risques appelés ‘accident de travail’ ou ‘accident de service’ sont caractérisés par une arrivée soudaine. A contrario, la maladie professionnelle arrive de manière plus insidieuse. Son apparition prend généralement plus de temps et fait suite à des mauvaises positions répétées maintes et maintes fois au cours d’une carrière (le lumbago…).
Engendrés par des conditions d’emploi difficiles et des facteurs organisationnels et relationnels, les risques psychosociaux sont susceptibles d’interagir avec le fonctionnement mental
. Ils ont aussi un impact sur la santé physique et sociale : Là, nous parlons de souffrance au travail
, résume Yann Jaouen. Les causes liées aux risques psychosociaux sont multiples. L’infirmier cite notamment le stress, les violences internes à l’organisation et au mode de management, le harcèlement entre collègues ou hiérarchique ou encore le conflit avec soi-même, aussi appelé conflit de valeur
(lorsqu’une personne n’est plus en adéquation avec ce quelle fait). Ajoutez à la violence interne, la violence externe à l’organisation : insultes, crachats, violences physiques, commises par les patients.
Les risques psychosociaux ont des conséquences au niveau somatique : Nous savons que ce type de risque augmente les maladies cardiovasculaires et les troubles musculo-squelettiques (TMS). Les risques psychosociaux ont aussi une incidence psychique (estime de soi, démotivation).
L’événement indésirable est synonyme de démotivation et d’une baisse de la prise en charge
Que se passe-t-il lors de l’apparition d’un événement indésirable ? Yann Jaouen l’explique ainsi : L’impact est d’abord individuel. Dans le cas d’un accident de service, il y aura un traumatisme et donc une impotence qui entraînera un arrêt de travail ou des difficultés à travailler. La peur qu’un événement indésirable se produise à nouveau pourra mener à une dépression et dans le pire des cas, à l’acte ultime qu’est le suicide
. L’apparition d’un événement indésirable provoquera une compensation par les collègues : un sous-effectif qu’il faudra palier. Si l’événement se produit de façon récurrente, les troupes seront démotivés et l’absentéisme deviendra chronique. Aux urgences où la population de soignants est plutôt jeune, le ‘turn-over’ est plus important et la capacité à voir ce qu’il passe ailleurs, plus grande. Tous ces éléments déclencheront une baisse de la prise en charge des patients et donc la démotivation du personnel soignant au péril de la prise en charge. C’est une boucle !
Comment évaluer les risques professionnels ?
Du service jusqu’au législateur, différents axes permettent de remédier aux risques évoqués comme le rapporte Yann Jaouen: Le premier à avoir été mis en place en 2001, est le document unique d’évaluation (DU) des risques professionnels. https://www.fonction-publique.gouv.fr/document-unique-devaluation-des-r… Ce document liste et hiérarchise tous les dangers que l’on peut rencontrer dans un établissement de santé. Si l’employeur ne possède pas ce document, il encourt une amende de 1500 € et si il récidive, elle s’élèvera à 3000 €. Le document unique donne un plan d’action pour réduire ou supprimer les dangers. Il doit être réactualisé après chaque accident ou modification dans une unité de travail. C’est un outil de prévention primordial qui se trouve chez les préventeurs ou au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).
En parallèle du document unique d’évaluation, les protocoles de service et les procédures permettent aux soignants de se poser la question suivante : Quel moyen vais-je utiliser pour arriver à ce que je veux faire ?
L’organisation d’un service est toujours améliorable et pour ce faire, il est nécessaire d’intégrer le personnel : C’est à vous infirmiers, encadrants, de faire valoir que vous y travaillez et que vous avez besoin d’être partie prenante
, exhorte l’infirmier en santé au travail.
Les facteurs de risques
Aux urgences et ailleurs, il est possible d’agir sur les facteurs biomécaniques qui représentent des efforts excessifs : la personne à terre qu’il va falloir monter, les actes qui nécessitent des gestes précis et fins (les ponctions veineuses) et les postures inconfortables (les toilettes). Viennent ensuite les facteurs organisationnels : le nombre de temps de récupération, la tâche sous contrainte de temps, appelé pression temporelle
. Quant au travail morcelé, il est inhérent aux urgences. Lorsqu’un soignant traverse la salle d’attente pour aller chercher quelque chose, il pense le faire en trente secondes mais il le fera en une demi-heure parce qu'il a été arrêté par des patients sur son chemin
, décrit Yann Jaouen. Le travail morcelé est un immense facteur de risque pour les troubles musculo-squelettiques (TMS) et pour les risques psychosociaux : manque de participation frustration, manque de soutien social des collègues et de la hiérarchie, exigences émotionnelles (travail face à la mort, face à la détresse). Le conflit de valeur est typiquement ce que l’on rencontre actuellement au niveau des urgences. Lorsqu’un soignant se demande pourquoi il est à cette place, il est en plein conflit de valeur
, poursuit-il. L’architecture d’un établissement de santé est aussi un facteur de risque cité par Yann Jaouen : Cela ne veut pas dire tout détruire et tout reconstruire. On peut par exemple penser à la localisation du matériel tels que le lève-malade ou les draps lisses qui ne devraient pas forcement se situer dans un petit placard, derrière trois brancards
.
Lorsqu’un événement indésirable survient, la déclaration d’accident de travail doit être envoyé sous 48 heures à l’administration (publique hospitalière) et à la Caisse Primaire d’Assurance Maladie pour le privé. Afin d’actualiser le document unique et appliquer les procédures en vigueur, un préventeur effectuera une visite dans le service concerné. Dans les faits, la déclaration d’accident de travail n’est pas toujours vue d’un bon oeil comme l'a souligné une infirmière, en conclusion de la conférence sur les risques professionnels : Nous avons soit des retours négatifs, soit aucun retour après une déclaration d’accident. Il nous arrive même d’être convoqués dans le bureau de nos supérieurs. C’est pour ces raisons qu’il y a de moins en moins de déclaration d’accident dans mon service.
Inès KheireddineJournaliste infirmiers.com ines.kheireddine@infirmiers.com @Ineskheireddine
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