Tout est parti d’un constat dressé par l’Union nationale des associations d’infirmiers de bloc opératoire (UNAIBODE) et le Syndicat national des infirmiers de bloc (SNIBO). « Il existe au niveau international des directives, de fortes recommandations, et même des points de loi sur la protection des soignants en bloc opératoire face aux risques des fumées chirurgicales » mais qui n’ont pas encore d’équivalent en France, rapporte Olivier Wacrenier, infirmier au CHU de Lille en chirurgie thoracique et président du SNIBO. Il fallait donc entamer une démarche pour que l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) s’empare du sujet. Dans une lettre de saisine datée du 30 juin 2023, l’UNAIBODE et le SNIBO, soutenu par trois autres organisations (association et sociétés savantes)1, la sollicitaient afin qu’elle apporte « son expertise sur les risques liés à l’exposition aux fumées chirurgicales ». Ce qui suppose non seulement de réaliser un état des lieux des connaissances actuelles mais aussi une enquête épidémiologique, précise Olivier Wacrenier. Entre la diffusion de cette lettre et l’annonce d’un premier échange avec l’ANSES, il aura donc fallu attendre plus d’un an.
Une réglementation qui fait défaut en France
En réalité, la réflexion s’est initiée il y a deux ans, relate-t-il. Elle a mis en lumière des disparités de pratiques entre la France et certains pays plus avancés sur la question. Aux États-Unis, notamment, plusieurs État « obligent les établissements à installer des aspirateurs à fumée » dans les blocs opératoires. En Europe, le Danemark et l’Allemagne ont également pris position en ce sens. En France, a contrario, la prise en compte et la prévention des risques liés à ces fumées sont à l’initiative de chaque établissement, aucune loi ne venant les contraindre à appliquer des mesures spécifiques. Et si certains le font, la plupart contournent le problème en ayant recours à « l’aspirateur qui sert à recueillir le sang, les sécrétions », détaille l’infirmier. « Ça ne fait que reporter le nuage de fumée d’un endroit à un autre, et il n’est ni filtré ni traité. » Or, rappelle la lettre de saisine, la prévention des risques liés à toute forme de pollution sur le lieu de travail relève d’une obligation légale :« la réglementation du travail prévoit que les installations de captage et de ventilation soient réalisées de telle sorte que les concentrations dans l'atmosphère ne soient dangereuses en aucun point pour la santé et la sécurité des travailleurs et qu'elles restent inférieures aux valeurs limites d'exposition », spécifie ainsi le Code du travail.
5% d'éléments toxiques pour la santé
Car le danger des fumées chirurgicales sur la santé n’est plus à prouver, insistent les signataires de la lettre, citant à l’appui une quinzaine d’études, la plupart en anglais. Ces fumées, décrit Olivier Wacrenier, sont essentiellement provoquées par « le bistouri électrique, un instrument qu’on utilise dans 86% des cas en chirurgie ». Celles-ci, outre leurs 95% de vapeur d’eau, contiennent à 5% « des virus, des bactéries, des composants cancérigènes. » Une étude de 2009 y démontre notamment la présence du virus HPV. Ces éléments, provoquent sous forme bénigne « des maux de tête, une irritation des yeux avec larmoiement, des maux de gorge… », rapporte une étude française publiée en 2011 par l’INRS2, poursuit-il. « Nous savons très bien que ce que nous respirons est d’une toxicité importante. » Et tous les acteurs qui opèrent au bloc sont concernés : IBODE, infirmiers anesthésistes, chirurgiens, infirmier circulant…
Parallèlement, pourtant, peu sont les professionnels de santé réellement au fait de ces risques. Une enquête menée en France en 2020 et 2021 par la Surgical Smoke Coalition a ainsi démontré que 66% des interrogés déclaraient n’avoir reçu aucune information sur les risques induits par les fumées chirurgicales.
Des mesures de prévention pourtant simples à mettre en place
Les mesures pour les prévenir sont pourtant simples à mettre en place, argumente le président du SNIBO. Il existe ainsi des dispositifs qui permettent d’aspirer la fumée jusqu’à un filtre qui recueille les particules nocives et qui doit être changé une fois sa durée de vie épuisée. « Comme il y a une partie constituée de consommables, il est facile de négocier avec le laboratoire qui propose le dispositif pour l’avoir gratuitement, tout en lui donnant l’assurance de revenus issus de la vente de ces consommables aux établissements. »
D’où la nécessité d’établir des recommandations fortes pour convaincre les structures d’investir dans ces mesures de protection, dont le suivi médical des professionnels de santé et des actions de sensibilisation et de formation. C’est tout l’intérêt de la saisine de l’ANSES et de l’enquête épidémiologique que celle-ci doit lancer. Le premier rendez-vous entre l’agence et les signataires de la lettre est prévu pour le mois de juin, qui doit permettre à l’une de présenter les lignes de sa démarche et aux seconds de faire part de leurs attentes, explique Olivier Wacrenier. « Les modalités n’ont pas encore été définies », mais les organisations représentantes des IBODE sont « un relais essentiel » dans le cadre du recueil des données épidémiologiques puisque leurs membres exercent en bloc opératoire. « Donc nous serons sûrement amenés à travailler de concert avec l’ANSES. » Une fois cette étape franchie et des recommandations clairement établies, se posera alors certainement la question des recours pour faire reconnaitre les préjudices provoqués par ces fumées. Sur ce point, le Collectif Inter Blocs s’est déjà positionné en lançant une procédure juridique pour faire indemniser les soignants exposés.
1Ont également signé la Société francophone de chirurgie oncologique (SFCO), la Société française d’hygiène hospitalière (SF2H) et l’Association nationale de médecine du travail et d’ergonomie du personnel des hôpitaux (ANMTEPH).
2« Fumées chirurgicales. Risques et mesures de prévention. Documents pour le médecin du travail »
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