Très attendu par la profession infirmière, infirmiers en pratique avancée (IPA) et infirmiers anesthésistes (IADE) en tête, le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), intitulé "Trajectoires pour de nouveaux partages de compétences entre professionnels de santé" et publié mercredi 5 janvier, soulève un certain nombre de problématiques liées à la coopération interprofessionnelle en santé. Si les premiers effets de l’instauration des protocoles de coopération font l’objet d’une analyse, c’est toutefois l’état des lieux de la pratique avancée (PA) qui interroge, avec comme corollaire la reconnaissance en son sein de l’exercice des IADE. Car sur ce point, les conclusions de la mission sont sans appel : "Confrontée dès l’origine à de fortes oppositions, la PA infirmière n’a pas pu se développer à la hauteur des objectifs fixés"
, constate-t-elle dans sa synthèse. Un paradoxe, alors qu’elle note parallèlement un impact très positif de l’installation des premières IPA en matière de qualité de suivi et de soins des patients comme d’amélioration des conditions d’exercice des médecins impliqués
.
Agir rapidement pour la PA
Cette situation, elle l’explique par plusieurs freins, à commencer par un modèle économique inadapté et sous-dimensionné, une dépendance au médecin dans l’accès direct au patient, qui contrarie son essor, et un manque de compréhension quant aux missions propres aux IPA. Et de pointer également du doigt la persistance de certains réflexes corporatistes
, déjà à l’œuvre lors de la rédaction du décret actant la création de la PA, dans le cadre de la loi de modernisation du système de santé. Un constat partagé au sein de la profession. "La mission de l’IGAS porte un regard lucide sur l’implantation des IPA et les difficultés qu’ils rencontrent"
, réagit Patrick Chamboredon, le président de l’Ordre National des Infirmiers. "Nous avions demandé que le contrat soit plus souple, que l’adressage des patients puisse relever d’un accès direct… Mais l’arbitrage ne nous avait pas été favorable à l’époque. Et deux ans après [la mise en place effective de la PA en 2018], on se rend compte que les professionnels ne peuvent pas exercer."
"Nous partageons le constat de la mission sur les freins à l’implantation des IPA et l’analyse qu’elle en fait"
, abonde de son côté Tatiana Henriot, présidente de l'Union Nationale des Infirmiers en Pratique Avancée (UNIPA). "Il y a actuellement un vrai problème de compréhension"
, notamment chez les médecins, "qui nous perçoivent comme des concurrents. Alors que les médecins avec lesquels nous collaborons comprennent très bien notre plus-value !"
Autant d’obstacles qui mettraient la profession en danger, 3 ans seulement après sa création.
L’ouverture à la primo-prescription et l’accès direct nous permettraient de développer complètement notre rôle d’IPA
En réponse à ces problématiques, la mission émet un certain nombre de recommandations pour encourager le développement de la PA, au premier rang desquelles l’ouverture à la primo-prescription et à l’accès direct. La première doit faire l’objet d’une expérimentation, définie dans le cadre de la loi de financement de la Sécurité sociale 2022, mais l’IGAS préconise d’ores et déjà de l’étendre à l’ensemble des IPA dès que possible et par voie législative
. Quant au second, elle relève : "la situation de dépendance entre le médecin et l’IPA, qui découle dans les textes actuels de la notion de "patient confié" est un défaut majeur de conception du dispositif"
. La suppression de cette mention permettrait ainsi à des patients déjà diagnostiqués pour des maladies chroniques de poursuivre leur suivi par un IPA même après un changement de médecin traitant, voire à des patients de consulter directement un IPA sans passer par un adressage par un médecin. De quoi grandement faciliter l’exercice des professionnels libéraux, souvent en difficulté dès lors qu’il s’agit de trouver des médecins volontaires pour travailler avec eux. "L’ouverture à la primo-prescription et l’accès direct complèteraient nos outils et nous permettraient de développer complètement notre rôle d’IPA"
, défend Tatiana Henriot, qui précise que ces missions s’effectueraient toujours en complète collaboration avec les médecins. Et côté rémunération, l’IGAS suggère fortement de redéfinir le dispositif conventionnel des IPA libéraux, et la création d’un régime indemnitaire spécifique aux IPA travaillant en établissement, avec majoration pour le travail de nuit, les week-ends et jours fériés
, ainsi que de renforcer les mesures d’accompagnement à la formation et à l’installation, trop hétérogènes car largement dépendantes actuellement des ARS.
Pour les IADE, des conditions qui interrogent
La reconnaissance de l’exercice des IADE en PA, au cœur de leurs revendications , est l’autre gros morceau de ce rapport. Réalisation d’actes techniques, ajustement de la posologie des produits, intervention autonome sans supervision du médecin, niveau d’expérience requis identique à celui des IPA…, la similarité des conditions d’exercice des deux professions justifie ce positionnement, explique l’IGAS. Chez les IADE, on se réjouit de ces conclusions, même si demeurent certaines inquiétudes. En effet, la mission fait reposer la reconnaissance de l’exercice des IADE en PA sur deux conditions : la distinction de la PA en deux branches (IPA praticiens et IPA spécialisés) et l’universitarisation du diplôme IADE. Sur le premier point, "s’agit-il de décliner les spécialités sous forme de mentions ?"
, s’interroge Christophe Paysant, le président du Syndicat National des Infirmiers Anesthésistes (SNIA). "Auquel cas, il n’y aurait plus d’IADE mais un IPA spécialisé en anesthésie, ce qui n’a rien à voir avec un infirmier anesthésiste"
. Avec une telle distinction, "on risquerait de trop spécialiser une profession qui est polymorphe"
, craint-il en effet. Des craintes qui sont partagées par les IPA : "Cela signifie que l’on redéfinirait la nature de la PA ; or, aujourd’hui, nous avons d’abord besoin de la définir"
, relève Tatiana Henriot. "Créer deux modèles mixtes, c’est encore cloisonner, alors que la PA a vocation à être transversale, d’autant plus dans un système de soin qui s’ouvre entre la ville et l’hôpital."
"Les deux branches existent dans d’autres pays et se réunissent en instance unifiée"
, temporise de son côté Patrick Chamboredon. "Tout dépend du système de santé et de ce que l’on peut y insérer."
Derrière ce rapport, il existe "des enjeux de correspondance des diplômes au sein de l’Europe, de libre circulation des professionnels"
Quant à l’universitarisation de la profession, les IADE y sont a priori peu favorables car ils s’inquiètent d’une perte éventuelle de professionnalisation. "Nous entendons très bien qu’il faille créer un pont entre l’université et les écoles d’IADE, gagner en qualité universitaire"
, explique Christophe Paysant. "Mais nous sommes une profession à haut risque, et nous avons besoin d’une formation clinique très intense, auprès du malade. Et cela, l’université ne le permet pas."
Rappelant que les IADE demeurent très attachés au système hospitalo-universitaire et aux écoles d’infirmières, le président du SNIA souhaiterait plutôt que "ces écoles deviennent de hautes écoles en santé"
, qui existeraient sur le même modèle que les écoles d’ingénieurs, à titre d’exemple. Patrick Chamboredon y voit au contraire une opportunité de valoriser la spécialité IADE, notamment dans un souci de mobilité, aussi bien au sein de la profession infirmière, que l’universitarisation faciliterait en permettant notamment de valider des compétences acquises en exercice, que sur le plan de la mobilité géographique. La profession dans son ensemble doit aller à l’université
, défend-il même. "Car derrière, il y a des enjeux de correspondance des diplômes au sein de l’Europe, de libre circulation des professionnels".
"Franchir le Rubicon"
Au-delà de ces deux problématiques, c’est toute la question de la coopération entre les différentes professions de santé que soulève le rapport de l’IGAS, qui dresse par ailleurs un constat mitigé sur l’instauration des protocoles de coopération et note des réticences de chaque profession à partager des tâches
. Il observe notamment que ces protocoles se résument souvent, pour les infirmiers, à se voir déléguer un certain nombre d’actes par les médecins, et non de missions. "À l’origine, les protocoles de coopération ont été créés pour être investis par les autres professions de santé, en l’occurrence, les infirmiers, et pour valider les compétences acquises dans ce cadre. Mais cela n’a jamais été le cas"
, déplore en effet Tatiana Henriot. En cause, une hégémonie médicale, héritée du XIXème siècle et de l’existence de l’exercice libéral, et que la mission remettrait en question selon Christophe Paysant, qui juge le document" assez iconoclaste"
. De quoi alors nourrir les réflexions autour de la révision du décret infirmier, que porte l’ONI ? "Je crois que le temps où les infirmiers étaient régis par un décret d’actes est révolu. Je pense que le décret doit évoluer et que les infirmiers doivent passer sur des missions"
, affirme Patrick Chamboredon. "Mais tout ceci relève d’une volonté et d’une décision politiques."
Car après le constat, vient le temps des concertations et des arbitrages politiques, qui nécessitent la participation de l’ensemble des professions concernées, alors que les échéances électorales contraignent le calendrier. "Le rapport pose des problèmes antiques ; il faut désormais franchir le Rubicon et mettre les choses en œuvre"
, conclut le président de l’ONI. Sur ce point, Olivier Véran a d’ores et déjà apporté de premiers éléments de réponses en recevant les représentants des IADE lundi 10 janvier et en se disant favorable à l’inscription de leur exercice en pratique avancée.
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