Infirmière de formation, Lucille Pianelli a travaillé plus de 10 ans dans des centres de santé sexuelle (ex-centres de planification et d'éducation familiale). «Dans ce contexte, j'ai fait beaucoup d'éducation à la sexualité auprès de tous les publics (enfants, adolescents, adultes, personnes souffrant de handicap, séniors, dans différentes structures)». Aujourd'hui devenue formatrice indépendante, elle accompagne les professionnels de santé amenés à faire de la prévention auprès de différents publics, dont une large part de soignants, infirmiers scolaires, puéricultrices, médecins etc.
Beaucoup de soignants sont un peu perdus quand ils s'agit d'aborder les thématiques autour du genre, de l'orientation sexuelle ou encore des comportements sexualisés avec les patients.
Un manque de formation autour des questions sexuelles
Les professionnels qui font appel à Lucille Pianelli viennent régulièrement avec des interrogations. «Bien souvent, ils n'ont pas de formation spécifique sur la santé sexuelle. Ils frappent à ma porte ou bien parce qu'ils éprouvent simplement le besoin d'outils, ou bien encore, parce qu'ils rencontrent des difficultés précises dans le cadre de leur exercice». La formatrice cite «plusieurs portes d'entrée» : «Certains professionnels de santé peuvent se trouver en difficulté pour accompagner les jeunes autour du numérique : la question de la pornographie est par exemple assez fréquente. Beaucoup sont aussi un peu perdus en ce qui concerne les thématiques autour du genre, de l'orientation sexuelle ou encore des comportements sexualisés. Par exemple les infirmières scolaires qui sont confrontées à ces questions avec les adolescents et même parfois avec les jeunes enfants.»
Que peut-on dire sur la sexualité, à quel âge ? Quelles sont les questions 'normales' d'un enfant dans ce domaine ? Est-ce que je ne suis pas intrusif, est-ce que je suis à ma place en tant que professionnel ?
«La plupart du temps, les professionnels que je rencontre ont conscience des enjeux, mais ils manquent d'outils et de cadre sur lesquels s'appuyer», explique l'ex-infirmière qui donne quelques exemples d'interrogation : «Que peut-on dire sur la sexualité, à quel âge ? Quelles sont les questions 'normales' d'un enfant dans ce domaine ? Est-ce que je ne suis pas intrusif, est-ce que je suis à ma place en tant que professionnel ?»
Si les questions concernent des exercices très différents, la formatrice s'efforce de ne pas trop cloisonner les choses : «dans le domaine de la sexualité, les actes que nous posons avec les tout petits vont se poursuivre dans une forme de continuité. Il est donc pertinent de s'intéresser à cette question à travers tous les âges. Prenons un exemple : le consentement, ce n'est pas apprendre à un adolescent de 14 ans à dire non. Toute la communauté éducative doit incarner ce consentement. Si je suis infirmière et que je viens faire une prise de sang à un jeune enfant, je vais lui demander si je peux le toucher, le prévenir de mes actes etc. C'est déjà parler de consentement».
Une posture éducative
Préalable à toutes ces interventions : «déconstruire les représentations et amener quelques bases. Je travaille beaucoup sur la posture éducative», souligne Lucille Pianelli, qui commence par interroger les professionnels sur leur vision de la sexualité, de la «normalité» pour eux dans ce domaine, etc. «Je commence toujours sur les représentations de chacun, autrement dit, je pars de leur matière». De quelques heures à quelques jours, d'une simple sensibilisation à un déploiement de la question sur plusieurs jours, la formatrice s'adapte aux profils des participants, et aux attentes de chacun.
La posture des soignants doit être à la fois cadrante et bienveillante pour accompagner l'enfant au plus près de là où il en est.
Une approche holistique
«L'idée est toujours de mettre l'accent sur une approche holistique (globale) de la santé sexuelle, de replacer l'individu dans son contexte social, dans ses interactions... Pour montrer aux participants que la sexualité est bien plus vaste que l'idée qu'ils s'en font au départ». Les infirmières scolaires peuvent avoir tendance à adopter une posture maternante, protectrice, elles qui ont un rôle majeur dans la prévention, qui sont au contact des enfants chaque jour. «Je les aide donc à prendre du recul par rapport à leurs jugements personnels, à décloisonner les cadres normatifs. J'aime bien également travailler à partir des différentes perceptions normatives : les soignants ont souvent une vision très clinique des situations et séparer le normal du pathologique. Or aujourd'hui, on n'est plus seulement sur la conscience du sida et l'importance du préservatif : les enjeux sont plus vastes, ils touchent au consentement, au genre..., et sont le reflet de l'influence sociétale sur notre vision de la sexualité».
La formatrice apporte des connaissances mais travaille aussi et surtout sur la posture des soignants, «à la fois cadrante et bienveillante» pour accompagner l'enfant au plus près de là où il en est. «La pornographie, les violences sexuelles, sont globalement des thématiques qu'il faut aborder la tête froide, afin de réagir de façon professionnelle et un peu distanciée. La question de la pornographie est «très significative» : le sujet suscite de très nombreuses réactions parmi les professionnels, selon Lucille Pianelli, qui tient à «sortir de la panique morale. La pornographie est surtout pour moi très symptomatique d'une société qui se nourrit des tabous», explique la formatrice : «symptomatique d'un manque d'accès aux réponses, d'un manque d'accès à l'éducation à la sexualité. Il s'agit donc surtout d'accompagner les jeunes vers un esprit critique sur ces questions. C'est ce que j'essaye de montrer aux professionnels qui viennent me voir».
«Quel que soit le champ d'intervention, les soignants, et peut être encore plus les infirmiers qui sont au contact du tous les publics, peuvent être amenés à accompagner des personnes qui vivent des violences sexuelles ou qui se confient», observe Lucille Pianelli. L'infirmier donne donc aussi des bases sur la prévention, la réalité des violences sexuelles et sur le psychotraumatisme («La confrontation à une situation violente, la peur pour sa propre vie, une menace pour son intégrité ou celle d’un proche, peuvent provoquer un traumatisme psychique, un psychotraumatisme. Autrement dit une perturbation aiguë ou durable, plus ou moins intense, de l’équilibre psychique», résume la revue Santé Mentale).
Bousculer les professionnels pour les pousser à s'interroger
Durant ces journées de formation, Lucille Pianelli «n'a pas forcément de message à faire passer. Ce qui m'intéresse, c'est plutôt que les personnes commencent à identifier les représentations qu'elles peuvent avoir sur la thématique (type : le genre serait un effet de mode, ...)» Parfois aussi, elle constate de la résistance : «Mais une bonne formation doit être relativement inconfortable, elle doit venir (un peu) bousculer quelque chose», sourit-elle.
Les professionnels sont poussés à réfléchir, à sortir de leurs retranchements, et repartent avec beaucoup d'outils. «Je leur fait expérimenter, je leur fait tester des outils d'animation (matériel audio-visuels, jeux, positionnements débats, mises en situation...) Pour moi, l'outil arrive vraiment dans un deuxième temps, pour amener quelque chose de ludique, un support sur lequel s'appuyer. Il faut que l'intervenant soit à l'aise avec parce que l'outil (une affiche, un petit clip peu importe) va jouer un rôle de médiateur» : amener de la curiosité ou engager la conversation sur des questions qui peuvent encore mettre mal à l'aise.
Les principaux enjeux à se former pour intervenir sur le thème de la sexualité ?
- Favoriser un accès pour tou-te-s à une sexualité libre, épanouie, respectueuse de soi et des autres
- Accompagner les enfants et ados à l’ère du numérique et d’un accès sans limite à la pornographie
- Comprendre les questionnements « normaux » des jeunes à chaque stade de leur développement et pouvoir répondre ou orienter
- Favoriser une meilleure santé sexuelle = meilleure santé globale
- La santé sexuelle ne se limite pas à prévenir les IST et grossesses non prévues
- Aider à mieux connaitre son corps renforce l’autonomie et le pouvoir d’agir, l’estime de soi et la confiance en soi (rôle infirmier important/corps , image du corps etc)
- Repérer et prévenir les violences sexuelles et toute formes de discrimination liée au sexe/genre/ orientation sexuelle..
- Eduquer au consentement dès le plus jeune âge
- Incarner soi-même un modèle de consentement
- Connaitre les lieux et personnes ressources
ENQUÊTE
77% des étudiants en soins infirmiers ont envisagé d’abandonner leurs études
REFONTE DE LA FORMATION
L'idée d'un tronc commun en master hérisse les infirmiers spécialisés
SERVICE DE SANTÉ DES ARMÉES
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FORMATION
Une formation d'infirmier en puériculture au CHU de Poitiers