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Soins infirmiers non programmés : comment y répondre ?

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Publié le 22/09/2023

Lors des Premières Rencontres des infirmiers libéraux d'Ile-de-France, la question des soins non-programmés a donné lieu à des échanges animés. Dans un contexte de vieillissement de la population, l'enjeu est crucial. 

Soins infirmiers

Qu'appelle-t-on un soin non programmé ? Selon Mathias Wargon, chef de service Urgences-adultes-Smur de l'hôpital Delafontaine de St-Denis, la notion n’existait pas il y a encore quelques années. «Il y avait soit du soin (de la médecine générale), soit des urgences», résume-t-il lors des Premières Rencontres des infirmiers libéraux d'Ile-de-France*. La notion est donc récente et elle se définit plutôt en creux : «Ce ne sont ni des soins de médecine générale, ni des urgences». Ou bien encore : «des soins qui appartiennent aux niveaux de gravité les plus faibles des urgences».

Des soins devant répondre à une urgence ressentie mais ne relevant pas médicalement de l'urgence

Dans un rapport produit par le ministère de la Santé, les soins non programmés sont entendus comme ceux «devant répondre à une urgence ressentie, mais ne relevant pas médicalement de l’urgence et ne nécessitant pas une prise en charge par les services hospitaliers d’accueil des urgences». L'émergence de soins non programmés est allée de pair avec l’émergence de «centres de soins non programmés», soit des cabinets de ville, soit de petites urgences «où l'on voit intervenir plutôt des infirmières salariées avec des médecins libéraux, ou bien même des urgentistes, qui ont l'avantage (pour eux) d'être ouverts de 10h du matin à 22h environ, avec des fermetures et surtout pas d'obligation de garde».

Une exigence d'adaptabilité 

«Le soin non programmé exige d'abord une grande adaptabilité (des médecins de ville mais aussi des IDEL), et c'est là qu'est le problème», avance Mathias Wargon qui constate des difficultés sur le terrain dès lors que les patients «n'ont pas d'infirmière» à la sortie de l'hôpital. «On se retrouve face à des structures, avec des prestataires qui vont jongler avec des infirmières libérales, avec des entreprises de matériel et des pharmaciens. Et ces prestataires ont une souplesse que n'ont pas les soignants libéraux», assure-t-il. «Dès que l'on commence à parler de matériel, ça devient très compliqué pour les familles : gérer les médicaments, aller les chercher... Et les prestataires offrent une solution que n'offrent pas les libéraux qui sont isolés. Il y a vraiment une difficulté d'adaptation des infirmières et des médecins libéraux sur ces sujets», assure-t-il. 

Mathias Wargon lance quelques pistes : «La téléconsultation par un IDEL qui connaît son patient, à mon sens, un réel intérêt. Et nous devons aussi miser sur les IPA, parce que ce nouveau statut représente vraiment une évolution intéressante du métier. On parle de l'autonomie des infirmiers, or des tâches qui étaient dévolues à la médecine générale auparavant pourraient sans nul doute être effectuées par les infirmiers», dégagés de la tutelle du médecin. «L’objectif des soins non programmés, au fond, c’est de remettre les gens dans un parcours de soins programmés», résume-t-il. 

Quelle situation du côté des EHPAD en Ile-de-France ? 

Eric Bongrand, Responsable du Département Organisation de l’Offre pour les Personnes Âgées à la Direction de l’Autonomie de l'ARS Île-de-France, revient sur le contexte des soins non-programmés dans la région. Premier élément: le vieillissement de la population, avec «700 000 personnes de plus de 75 ans. L'entrée en EHPAD se fait ainsi à un âge de plus en plus avancé (autour de 85 ans). Parmi la population de plus de 90 ans, 1/3 des gens résident en EHPAD». Deuxième élément de contexte : «la plupart des personnes âgées souhaitent rester à domicile, avec des risques de décompensation et de dépendance plus importants».

«Les EHPAD d'Ile-de-France accueillent plus de 10% de la population âgée de plus de 75 ans (soit 65 000 places). Par ailleurs, on évalue environ à 20% les EHPAD démunis en médecin coordinateur en Ile-de-France, ce qui est très largement supérieur à la moyenne nationale - qui est plutôt de 10%», selon Eric Bongrand.

Des médecins salariés pour encadrer l'exercice infirmier

Pour faire face à ces situations, aggravées par le manque de médecins traitants, l'Ile-de-France a développé «une organisation observée au plan national», à savoir : «des médecins prescripteurs, salariés, qui vont permettre de suivre des situations et encadrer l'exercice infirmier», explique encore Eric Bongrand. «Des IDEL peuvent aussi intervenir en EHPAD mais on n'a pas de données sur cette collaboration. En revanche, sur le développement des infirmières de nuit : on est actuellement à 66% des EHPAD de la région couverts par un dispositif d’astreinte (465 EHPAD sont concernés) et l'URPS IDEL a bien investi ce champ. C'est aussi un sujet qui est actuellement travaillé au plan national». 

Des équipes mobiles de gériatrie

Enfin, les équipes mobiles de gériatrie sont assez bien développées en Ile-de-France avec «38 équipes mobiles de gériatrie externes (composées de gériatres et d'infirmiers). Elles n'ont pas normalement vocation à intervenir dans des situations d'urgence mais dans les faits, ça peut être le cas», souligne Eric Bongrand. «Elles mènent actuellement des actions de formation. Le programme « Assure » (Amélioration des SoinS d'URgence en EHPAD et à domicile), développé depuis 6 mois, propose de la formation par des médecins hospitaliers urgentistes et gériatres pour améliorer les compétences des équipes soignantes en EHPAD dans des situations d’urgence relative, notamment pour éviter des hospitalisations».

Quant au soin à domicile ? 

En ce qui concerne le soin à domicile, on se trouve plutôt sur un champ mixte : d'une part les SSIAD (services de soins infirmiers à domicile), d'autre part les IDEL qui collaborent pour la prise en charge de soins techniques (programmés ou non programmés). «On parle aujourd'hui de virage domiciliaire pour évoquer la réforme structurante qui adviendra dans les années à venir», rappelle Eric Bongrand. 

Création de plus de 25 000 places de SSIAD d’ici 2030

«Les pouvoirs publics ont annoncé un programme de création de plus de 25 000 places de SSIAD d’ici 2030, ce qui pourrait représenter environ 4 500 places pour la région Ile-de-France. Parallèlement à cela, la réforme de la tarification des SSIAD a pour intérêt de mieux prendre en compte les profils qui sont pris en charge pour mieux valoriser, en fonction de ces profils, les moyens des SSIAD, et, en cascade, le recours à des infirmiers libéraux. Il faut aussi évoquer la réforme des services à domicile qui vont réunir à la fois les SSIAD et les services d'aide à domicile pour simplifier le parcours des patients âgés». 

Des IDEL impliqués dans la télésurveillance

En matière de soins non programmés, Eric Bongrand évoque encore «des actions récentes», comme «les unités mobiles, qui étaient l'une des mesures du rapport Braun». Les IDEL devraient aussi voir leur rôle prendre de l'ampleur dans le cadre de la télésanté ou de la télésurveillance. «Il y a un projet phare actuellement en Ile-de-France qui s'inscrit dans le cadre d'un article 51 (et qui est donc soumis à une expérimentation en cours à l'hôpital des Rives de Seine) où les patients en sortie d'hospitalisation et qui sont encore relativement instables font l'objet d'une télésurveillance avec les objets connectés qui peuvent générer des alertes, ce qui déclenche l'intervention d'IDEL à domicile. Ces IDEL font alors le point et peuvent dialoguer avec des médecins gériatres hospitaliers pour savoir la conduite à tenir». 

Quelle réponse de l'URPS ? 

L'URPS (Unions Régionales des Professionnels de santé) a distingué les deux dossiers sur la réponse aux soins non programmés, résume sa directrice Sophie Michel. «On s’est concentré sur la question des soins non programmés la nuit en EHPAD et la réponse a été apportée depuis février 2020 (dans le cadre d'appels à projets régionaux par l'ARS) avec des infirmiers libéraux d'astreinte. le projet a connu un essor ces dernières années et aujourd'hui effectivement, près de 160 établissements, 132 collègues sont investis dans ce sujet sur ces départements. Et des acteurs se montrent satisfaits : on constate notamment un très faible turnover de nos collègues infirmiers libéraux sur ce sujet et des interventions qui permettent la plupart du temps d'éviter des hospitalisations - et en tout cas la dégradation de la santé des résidents la nuit dans leurs structures».

L’autre champ des soins non programmés concerne la ville, soit les patients à leur domicile, cœur de métier des IDEL. «Et là il en va plus de la structuration et de la reconnaissance de ce que les infirmiers libéraux font déjà (c'est à dire de répondre à des soins non programmés pour leurs patients, comme il arrive toujours des choses imprévues dans les prises en charge). Ce travail a commencé à être mené dans le cadre des mesures Braun, en juillet 2022 et ce qu'il y a de très intéressant,  c'est que le modèle des EHPAD est très reproductible sur la ville. Seul prérequis : sécuriser leur exercice, notamment en bordant les soins sur lesquels ils vont être envoyés».

*Evénement du 12 septembre 2023 à Montrouge


Source : infirmiers.com